Dans chaque style, chaque courant artistique, il y a bien souvent un maître que l’on se doit de connaître avant d’avoir un avis définitif sur tout un pan de l’art, avant de se dire que tout cela n’est définitivement pas pour nous. Moonsorrow fait assurément parti de ces maitres. Rarement aura-t’ont vu un groupe dominer à ce point une scène, celle que l’on connait sous la dénomination de « Pagan Metal » en l’occurrence (Primordial étant un cas un peu à part considérant ses multiples influences). Et pour cause, le niveau atteint par la musique des Finlandais depuis quinze ans transcendant un genre qui peine aujourd’hui à trouver une réelle crédibilité aux oreilles de nombreux mélomanes. Mais voilà, cinq ans plus tôt les cousins Sorvali et leur troupe nous avait laissé avec un
Varjoina Kuljemme Kuolleiden Maassa en deçà de leur précédentes œuvres, amenant pour la première fois le doute sur leur capacité à tenir la distance sans lasser. L’amorce d’un album, ayant par la suite été abandonné par le groupe en 2013, ce dernier estimant que le résultat n’était pas à la hauteur de ses précédentes sorties, laissait encore plus perplexe. On pouvait être à la fois rassuré par la démarche sacrément authentique des artistes et leur recul sur leur propre musique vraisemblablement retrouvé (ce qui semblait être le tort de leur dernier travail), mais aussi inquiété par une potentielle baisse d’inspiration qui tendait à se confirmer.
Alors cinq ans plus tard, où en est Moonsorrow ? Et bien ces petits contretemps ne les auront pas perturbés, car le groupe n’a en rien changé ses habitudes de compositions et d’enregistrement. Et après avoir décliné son metal épique et paganique sous plusieurs facettes sur ses six précédents essais,
Jumalten Aika (« The Age of Gods » en anglais) en présente tout naturellement une synthèse. Car oui, tout est dans ce
Jumalten Aika. On y retrouve ces structures à tiroirs de douze à seize minutes (!) dans un ton globalement sombre, caractéristiques des albums plus récents, au sein desquels se mêlent au fur et à mesure tous les éléments présents depuis la carrière des Finlandais. La grandiloquence du titre éponyme, les chœurs majestueux de « Ruttolehto incl. Päivättömän Päivän Kansa », le belliqueux « Sunden Tunti », la mélancolie et la fête sur « Mimisbrunn », la violence de « Ihmisen Aika (Kumarrus Pimeyteen) »… Tout nous rappelle les anciens albums du groupe avec un plaisir réel et rassurant. On sent une certaine sagesse, une véritable expérience qui émane de ce septième essai. Les travers dans lesquels une telle musique pourrait tomber sont judicieusement évités. Le groupe a opté pour une production plus naturelle pour un rendu beaucoup moins compact que sur
Varjoina Kuljemme Kuolleiden Maassa, et ces guitares plus sèches servent d’autant mieux les riffs très orientés black metal du disque (on pense souvent à Bathory, influence revendiquée et assumée). Le son respire, on se délecte sans forcer des nombreux détails et autres instruments traditionnels qui parsèment l’album, sans compter une basse qui n’avait jusque-là jamais été aussi bien mise en valeur. Les bruitages ambiant de nature sont toujours de la partie (ce petit ruisseau sur « Mimisbrunn »), mais ne créent pas de longueurs excessives comme cela pouvait être le cas sur
Verisakeet.
Avons-nous pour autant le meilleur album de Moonsorrow entre les mains ? Difficile de l’affirmer. Evidemment, la fluidité de compositions s’étendant sur un quart d’heure, enchaînant les ambiances avec une aisance admirable, impressionne. Seul un plus agressif « Suden Tuti » dénote un peu avec ses sept minutes, qui en font le titre le plus court composé par la troupe depuis bien longtemps. Alors certes ainsi ceinturé par les quatre autres géants qui constituent la track-list, cela paraît bien peu, mais il permet une petite pause bien agréable en restant efficace dans son genre. Autrement, on aurait bien du mal à parler de « chansons », mais plutôt de « travaux » (de titans) pour cerner les compositions de ce
Jumalten Aika. La seule chose qui nous empêche de mettre ce dernier sur un piédestal est peut-être cette absence de morceau se démarquant réellement. L’ensemble est quasiment irréprochable, particulièrement homogène, le retour en force des éléments folkloriques est plus qu’appréciable, mais il manque un moment qui nous fasse dire que nous avons à faire à un classique instantané.
Malgré son absence presque totale de surprise,
Jumalten Aika, excellent de bout en bout, trouvera sans soucis sa place dans l’œuvre riche de Moonsorrow. Si l’on peut être perplexe quant au futur d’un groupe qui semble avoir tout dit, les Finlandais sont sans doute dans cet « âge des dieux », contemplant du haut de leur montagne avec un œil sévère et dédaigneux la masse des troubadours alcoolisés (suivez mon regard) qui tentent de lui faire de la concurrence. On leur souhaite bien du courage, car il va être encore bien difficile d’aller challenger les Finlandais pour la place de l’album pagan metal de l’année.
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