On a tous un ami comme ça, qui semble meilleur que nous en tout point : plus charismatique, plus sensible, plus intelligent, plus sympathique, plus « vivant » en somme. Un ami qu'on peut perdre de vue, qui parfois s'en va, pris dans une vie qui paraît aux antipodes de la nôtre, mais avec qui rien ne change quand on le revoit. Un ami qui ne nous rend même pas jaloux, tant il arrive à nous faire nous sentir un peu comme lui lorsqu'il revient.
« On a tous un ami comme ça »... Du moins, je l'espère pour vous. Mais si cela n'est pas le cas, vous pouvez très bien vous faire une idée de ce type de relation avec Planes Mistaken for Stars (et après vous allez sortir rencontrer des gens, ça ne vous fera pas de mal). Le groupe originaire de l'Illinois nous avait laissé sans nouvelles après le dévastateur
Mercy, album qui semblait pousser son style furieusement punk, rock et hardcore à son paroxysme, jusqu'à une reformation en 2010 et une réédition de sa dernière œuvre l'année dernière. Il m'aura fallu attendre la sortie de
Prey pour le retrouver, les questions habituelles sur son état de santé en tête.
Questions qui ont vite trouvé réponse. Non, Planes Mistaken for Stars n'a pas changé. Il est toujours le même et nous donne toujours l'impression d'être semblable à lui. Parti plus longtemps qu'auparavant – je ne lui en veux pas –, il n'en est revenu que plus affirmé encore, plus sûr de lui, maître de sa musique à la fois iconique (toujours tenté de dire qu'il est le rock, malgré une personnalité à part entière) et au bouquet particulier, un peu comme Gorguts l'a fait avec
Colored Sands, si cela peut vous aider à juger le niveau auquel on se situe ici. Davantage de rides, davantage de cicatrices, mais au fond toujours le même homme qui l'avait mis
Up in Them Guts : dès la hargneuse « Dementia Americana », le plaisir de réentendre cette voix rocailleuse, calme en surface mais laissant deviner les torrents de sentiments qui coulent en elle, est palpable, nous asseyant si confortablement qu'il ne reste plus qu'à profiter.
Ce petit miracle (même le producteur Sanford Parker s'est montré à la hauteur, offrant un rendu naturel et puissant à ces trente-six minutes) est donc bien un retour de Planes Mistaken for Stars tel qu'on l'avait connu. Un constat qui est loin de décevoir, tant sa musique est unique et fait vivre ici, comme précédemment, des virées remplies de bourbons et de fumée de cigarettes se terminant sur des aires d'autoroute où, alcoolisé et heureux, on étale ses états d'âme entre quatre yeux, d'homme à homme (ce qui peut sembler hasardeux à la lecture mais s'avère jouissif – ahem – à vivre, je vous l'assure). Une histoire que cet album retranscrit parfaitement, par une fluidité, un déroulement, réfléchis de bout en bout. Parsemé de tubes (difficile de ne pas avoir envie de prendre ses clés de bagnole à l'écoute de « Fucking Tenderness » ou « Pan in Flames » par exemple),
Prey épate surtout dans son déballage constant de compositions se répondant les unes aux autres, formant un ensemble qui, s'il met un peu de temps à se mettre en marche passée « Dementia Americana » (« Til' It Clicks », seul passage de l'album un peu transparent), s'avère si cohérent que l'on ne souhaite rien y changer.
Tour à tour ravageur et émotionnel – mais encore plus souvent les deux en même temps –,
Prey se révèle constamment honnête dans sa démarche. Sans aller jusqu'à déclarer qu'il demande un effort de notre part pour s'apprécier pleinement, les écoutes successives montrent qu'il appelle à grandir en nous, à laisser aller ses petits morceaux et se prendre à ce jeu de mémoire de ses rancœurs, frustrations, pour mieux les envoyer valser comme on dégoupille une cannette. Dans ses accès de violence comme ses moments de calme (l'acoustique « Black Rabbit »), Planes Mistaken for Stars se console et nous console, mettant son envie de « bouillir malgré tout » au centre de son atmosphère faite de moteurs rugissants, petits boulots enchaînés de mauvaises passes et autres nuits que l'on passe comme des journées. Une ambiance de film américain moderne aussi contemplatif qu'enragé, mais dont on ressort rempli d'une énergie nous aidant à rempiler.
Et on se quitte comme on s'est revu, avec des mots simples, sans avoir à en rajouter car on se connaît assez bien pour savoir ce que l'un et l'autre ressentent.
Prey rappelle à quel point une formation comme Planes Mistaken for Stars – vous aurez deviné que l'expression n'est qu'usuelle : il n'y a pas de groupes « comme » lui – avait manqué dans le paysage hardcore actuel. Loin de tout effet de mode, il arrive et repart dignement, dans un « Alabaster Cello » aux accents post-hardcore et nineties délicieux de soul. Des rencontres faites avec les Ricains,
Prey est sans doute la plus belle... jusqu'à la prochaine. En attendant, serrons-nous la main.
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