Nota : cette chronique est basée sur la tracklist de la (superbe) édition vinyle rassemblant le double album en un seul tout et proposant ainsi son propre ordre de chansons.
Nota 2 : pour les curieux, une interview de Sylvain Bégot – tête pensante du groupe – a été réalisée ICI après la sortie de Epsilon Aurigae.
Si
Monolithe s’inscrit clairement dans une lignée
doom metal, il n’en reste pas moins un explorateur à la frontière des genres, un groupe flirtant subtilement au delà du metal pour y trouver l’inspiration. Jusqu’ici, le groupe peut se targuer de proposer une musique exigeante, faisant partie de celles qui ne se livrent pas dès la première écoute. En effet ses morceaux d’un seul tenant de 50 minutes induisent une forme d’effort – ce qui n’est pas sans rappeler l’effort nécessaire à l’appréhension de certaines grandes œuvres d’arts. Oui, lancer un titre de
Monolithe, c’est un peu comme appréhender un gros bouquin. L’écoute passive est possible, mais délicate. Au début, on patauge un peu… et puis on se concentre pour finir par s’immerger totalement dedans. Une fois l’oeuvre digérée, par delà les collections de riffs massifs et les atmosphères spatiales, on peut alors avoir une vision plus globale :
Monolithe, c’est un véritable monde en soi.
Le premier cycle de
Monolithe, intitulé
« The Great Clockmaker » , est composé des quatre premiers albums du groupe (
Monolithe I, II, III et
IV) et use donc d’un mode de composition très étiré. Mais à l’inverse, le nouveau double album
Epsilon Aurigae (2015) et
Zeta Reticuli (2016) rompt avec ce processus d’écriture. L’épopée est terminée et le groupe nous propose des
« spin-off », c’est à dire des histoires situées dans le même univers que
« The Great Clockmaker » mais focalisées sur d’autres situations, d’autres personnages ou d’autres temporalités. Les titres sont ainsi plus courts (15 minutes) afin de s’adapter aux divers récits. L’approche est vraiment pertinente, notamment lorsque l’on connaît le premier cycle et que l’on saisit le formidable potentiel onirique qu’il représente. En étoffant sa mythologie,
Monolithe nous replonge dans une atmosphère proche des
Space Opera d’
Asimov,
Simmons, ou
Bordage. Et musicalement, il peut se vanter de le faire bien. Plus accessible et plus intense,
Epsilon Aurigae et
Zeta Reticuli nous proposent un
Monolithe à son meilleur : sincère, inspiré et passionné.
Concrètement, le propos du groupe n’a intrinsèquement pas changé : la musique est épaisse et étouffante et les ambiances nous bourlinguent dans les profondeurs de l’espace. Avec un bon caisson de basses, le sol se mettrait presque à trembler ! De même, et à vint-mille lieux d’une quelconque technicité démonstrative,
Monolithe continue à piocher dans le répertoire de composition classique pour créer des sonorités sollicitant notre imaginaire « extra-terrestre ». Les riffs primitifs et directs se succèdent, ponctués de voix gutturales tandis que les mélodies se désarticulent au grès de quartes, quintes et autres contrepoints. Le tout premier solo de l’album – situé au premier tiers de
Synoecist – est d’ailleurs un bel exemple de ce que peuvent être ces étranges mélodies de l’espace : s’écartant des codes habituels, elles semblent en effet se (de)structurer comme par l’accolement hasardeux de notes célibataires : Do sol si fa# sol do ré sib sol…
Synoecist est vraisemblablement le morceau le plus dissonant de l’album. Mais il est aussi le plus dense et le plus écrasant – ce qui n’est pas surprenant quand on sait que le titre raconte justement l’histoire d’un être titanesque et absolu rassemblant et condensant l’univers en un seul point :
« Everything must be one again ». Dans la même veine,
Ecumenopolis nous parle d’une planète-ville (comme
Coruscant ou
Trantor). Elle retranscrit alors la gravité, l‘émerveillement et le malaise que l’on pourrait rencontrer à la perception d’une telle cité ; une mégalopole complètement asphyxiée par sa surpopulation et étouffée par la densité de ses architectures infinies :
« The building never ends ».
Le groupe arrive avec talent à conjuguer musique et récit pour former un ensemble cohérent. Et il le réussit d’autant mieux que ces deux « parties» de l’œuvre fonctionnent indépendamment : la fiction est vraiment de qualité et pourrait tout simplement s’écrire tandis que la musique, elle, est capable seule de nous renvoyer à nos propres fictions mentales. Chacun est ainsi libre de se créer son histoire, de se raconter son épopée ou bien de la rattacher à des enjeux dramatiques classiques : trouver la source du vent en extrême-amont, stopper les desseins destructeurs des Scaythes d’Hyponéros ou découvrir l’emplacement de la seconde fondation…
Si les instrumentaux
Tma-0 et
Tma-1 font évidemment référence à
2001, l’Odyssée de l’Espace, ils sont également les morceaux les plus
doom (voir
funeral doom) et font directement écho aux compositions de
« The Great Clockmaker » . De ce fait,
Tma-0 est le titre le moins verbeux de l’album mais aussi le plus lent, à la fois du point de vue de son rythme et de son développement. N’atteignant sont acmé qu’à la onzième minute, il pourrait presque donner l’impression d’être un titre de 50 minutes ayant été coupé… A l’inverse,
Tma-1 est à l’image du double album : comme si le fait de raccourcir les chansons à 15 minutes avait induit une forme d’urgence, il en ressort une densité et une intensité particulière. On notera d’ailleurs le superbe solo vers la cinquième minute proposant un passage halluciné et épique, à l’image d’un cri d’espoir tentant de s’échapper de la chape de guitares.
Mais c’est
Everlasting Sentry qui remporte la palme du titre le plus grandiloquent et le plus captivant. Narrant l’histoire d’un gardien, d’une sentinelle Monolithe condamnée à une éternelle solitude aux confins de l’univers, il parvient à suspendre notre respiration à coup de riffs lancinants, se répétant aussi inlassablement que la vie d’observateur du Monolithe. L’émotion est habilement appuyée par de nombreux arrangements orchestraux arrivant à insuffler un élan dramatique à la chanson par l’utilisation de cordes (la solitude :
« So eager to find companionship ») ou instaurer une ambiance inquiétante par l’exploitation de cuivres (le regard inquisiteur du gardien sur l’immensité de l’univers). L’excellent
The Barren Dephts clôture le double album avec un certain sens du
cliffhanger. Nous aurions pu fantasmer une chanson particulièrement violente, ou abyssale, un titre marquant avec panache un point final de l’univers de
« The Great Clockmaker »… mais non ! Contre toute attente, ce n’est pas la voix caverneuse de
Richard Loudin qui pose la dernière pierre de
Epsilon Aurigae et
Zeta Reticuli mais le chant clair d’un invité,
Guyom Pavesi. Et cela marche vraiment bien. De la même manière que le groupe avait utilisé un accordéon dans
Monolithe II, l’utilisation de la voix claire permet d’apporter des sonorités nouvelles dans l’épopée du groupe. Il exploite également autrement le contraste massif/aérien que l’on retrouve dans chaque composition (avec les fameuses mélodies désincarnées). Ainsi, et tout simplement,
Monolithe prouve qu’il a encore de grandes possibilités d’explorations : le double album entier en témoigne, s’imposant comme une pièce majeure – le pinacle – des
Monolithes. Et si l’on ne peut que fantasmer les dimensions de la fresque musicale et spatiale du groupe, il est clair que
Epsilon Aurigae et
Zeta Reticuli est une invitation à continuer le voyage. Que la suite se rattache ou non à
« The Great Clockmaker » n’a finalement pas d’importance : on a hâte de découvrir la suite.
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