Vous vous souvenez peut-être de
Streets of Rage, ce jeu vidéo qu'a essayé n'importe quel trentenaire ayant possédé une Megadrive dans les années 90. Faisant partie de cette catégorie, je me rappelle de son rythme balourd et son univers aussi dégoûtant que violent, où un héros bodybuildé (personne ne choisissait la femme parmi les personnages jouables, tant ses attaques manquaient de puissance) donnait des coups rigides aux quelques vermines punks ou sadomasochistes qu'il rencontrait en chemin. Avec ses graphismes pixelisés, ses couleurs criardes,
Streets of Rage a autant usé mes yeux que marqué mes rétines.
Je ne sais pas vraiment pourquoi mais je pense à lui à chaque fois que j'écoute
Take the Curse. Peut-être parce qu'il est aussi repoussant au départ. En effet, apprendre à aimer cet album revient à apprendre à aimer un pou : ingrat, épuisant, simplement moche avec ses riffs mornes qui avancent sans se cacher – adieu la production raw de
Misanthropic Alchemy, place ici à une lisibilité qui laisse aux mélodies seules le soin de développer une atmosphère –, il donne rarement envie d'être choisi quand vient le désir d'écouter un longue-durée de Ramesses.
Ce qui fait que j'ai longtemps peiné à trouver à
Take The Curse une identité particulière par rapport à son prédécesseur et son successeur. À la fois horrifique et triste, écrasant et brumeux, il semble ne pas aller aussi loin que ses congénères dans son propos, sans toutefois être particulièrement désagréable. Certes, il y a quelques petites tueries ici, sans doute celles les plus jouissives réalisées par le trio de Dorset : impossible de résister à des morceaux comme « Iron Crow », « Baptism of the Walking Dead » ou encore « Khali Mist » par exemple, dont l'efficacité ravira les amateurs de doom / death aussi plombant que headbanguant. Seulement, quand il s'agit de Ramesses, le groupe capable de mettre la misère aussi bien dans la tête que dans le cœur, on est proche du minimum syndical.
Et pourtant, derrière ces riffs qui traînassent, derrière ces coups de semonces qui ne semblent pas croire en leur force de frappe, derrière ces élans black metal absurdes qui s'arrêtent nets, quelque chose se dessine. Une impression de vouloir mettre à mal ce qui nous entoure et de ne pas pouvoir le faire. Une impression de peser trop lourd, d'être doté de muscles atrophiés qui se jouent de nous à chaque fois qu'on cherche à les utiliser. En somme, une impression d'être maudit, pris dans un monde hostile auquel on aimerait retourner la politesse.
Take the Curse assomme autant qu'il est assommé, sa laideur apparente devenant la nôtre. La voix de Adam Richardson est la meilleure preuve de ce sentiment, ses grognements vengeurs laissant souvent la place à des vocalises plaintives, aussi incantatoires que désespérées.
Oui,
Take the Curse est une déprime sale, qui se jette sur nous et que l'on porte comme un manteau. Un disque terrestre, pourri par les vers et les cadavres animés, dont le sol est une boue dans laquelle on se noie. Mais aussi un disque où battre le pavé en imaginant chaque chose comme une menace à arrêter. Il nous emporte dans sa mêlée, dépeignant un monde nocturne où seuls les poings ont valeur de morale. En cela, il mérite qu'on le voit comme une œuvre à part entière dans la discographie des Anglais (qui quittent ici tout lien qui pouvait encore se déceler avec Electric Wizard,Tim Bagshaw ayant trouvé définitivement sa formule personnelle sur cet album) bien que, malgré les années, je continue de le trouver moins prenant dans ses atmosphères que
Misanthropic Alchemy et surtout
Possessed by the Rise of Magik, en raison d'une deuxième partie moins forte. Difficile de succéder au défilé entamé par « Iron Crow » et clôturé par « Baptism of the Walking Dead » !
Take The Curse s'essouffle particulièrement lors de « Hand of Glory » et « The Weakening », presque inévitablement.
Ce deuxième essai n'en reste pas moins un indispensable de Ramesses, à la fois pour sa personnalité, son accroche, et ce qu'il laisse entrevoir de terne, un cafard qui se développera à son maximum sur
Possessed by the Rise of Magik. Peut-être bien l’œuvre des Anglais la plus étrange,
Take the Curse fascine et écœure autant que son artwork. Un peu comme un beat them all crade sur lequel on se fait aussi mal aux pouces qu'au cerveau, au final.
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