La scène Black Metal est remplie d'Arlésiennes : de Mysticum en passant par Into The Woods, les formations cultes qui se sont faites désirer(et dont le retour ne survit malheureusement que rarement à la hype) sont légion. Et il y a tous les petits, les groupes un peu plus obscurs mais pas moins intéressants, dont Slagmaur fait partie. Les amateurs de Black Metal avec supplément Dépakine connaissent très certainement la formation, faisant le grand écart entre Brekstad et Trondheim. Pour les autres, et pour les fidèles lecteurs de Thrashocore, mention était faite du projet de General Gribbsphiiser dans chacune de mes chroniques de Terra Tenebrosa. Car les deux groupes, hormis la provenance nordique de leurs membres et la teneur avant-gardiste de leurs œuvres, partagent aussi un goût prononcé pour l'imagerie travaillée et les masques étranges - et sont d'ailleurs bien les seuls à ne pas rendre le port de ces derniers complètement ridicule. Si chez les ex-Breach, le sérieux et la démence de leur musique ôtera toute envie de sourire face à leurs tronches en carton-pâte, chez Slagmaur, nous n'avons jamais véritablement su si c'était du lard ou du cochon - il vous suffit de jeter un œil à la
pochette initiale de
"Svin" pour comprendre l'incrédulité générale.
Si barré soit le projet (le costume de grand-mère est de retour, s'affichant jusque sur la pochette), Osmose protège son poulain comme une mère son enfant, à qui il aura fallu huit ans pour gribouiller le successeur du fantastique
"Von Rov Shelter", point culminant de ce que la formation du General Gribbsphiiser proposait : guitares acérées et saturées à l'extrême, batterie lente amplifiée par une production gonflée aux basses, voix oscillant entre la gargouille de cathédrale et le poivrot couché dans une bouche d’égout, au service d'une ambiance empruntée aux tableaux d'un Chirico - sa
pochette figée en étant le reflet direct.
"Thill Smitts Terror", pourtant sorti fin Mars, ne jouît d'aucune vidéo promotionnelle sur Youtube, pas plus que de streaming intégral. Trois titres, tout au plus, balancés à la foule comme trois poings dans la gueule :
"Vous n'êtes pas prêts pour ce qui va suivre."
D'aucuns ont reproché à Slagmaur, tout au long de ses sorties, de péter plus haut que son cul, se revendiquant d'une école qui défonce les codes et les gimmicks d'un style alors que ses disques sont aussi simples que dépouillés. Soyons clairs,
"Thill Smitts Terror" ne plaira pas plus aux détracteurs du combo que
"Von Rov Shelter" ou
"Skrekk Lich Kunstler" : les artisans masqués ont gardé les mêmes fixations tordues, les mêmes outils, les mêmes méthodes de travail... Mais en mettant un peu plus de cœur à l'ouvrage qu'à l'accoutumée.
Les trois-quart d'heure que durent
"Thill Smitts Terror" sont lents. Très lents. Les rares accélérations de la section rythmique, jouissant encore une fois d'un son tenant plus de la boîte à rythme que d'un kit acoustique, sont réservées aux dôme de la ride et aux cymbales d'effets ("Bestemor Sang Djevelord", aux frappes presque
funk dans l'âme), qui semant leurs tintements en contretemps qui rendent fou. Si la courte introduction classique (en forme d'hommage à Prokofiev et clin d’œil à la pochette de leur premier
full-length) pourrait laisser présager un disque burlesque,
Tim Burton-esque dans l'âme, le reste de
"Thill Smitts Terror" fait rapidement déchanter ceux qui seraient venus y chercher autre chose que de la folie pure, dispensée comme les cachets d'un pilulier : méthodiquement, prévisiblement - quel album de Black Metal ne l'est pas ? Les cordes sont toujours glaciales, nappes de grésillements entre le bruit blanc d'un téléviseur et les ondes statiques d'un vieux poste radio. Elles planent sur les compositions et enveloppent le reste des arrangements proposés sur
"Thill Smitts Terror", rendant le ton tantôt menaçant (les riffs saccadés d'un "Werewolf"), tantôt plus orthodoxe (les tremolo tournoyants de "Hekeskritt Og Djevelritt"). Ceux qui avaient aimé les sursauts des deux albums précédents apprécieront les incursions mélodiques dispensées sur les huit titres de l'opus : Slagmaur ne renie pas son amour pour le classique, matérialisé par le piano dansant de "Bestemor Sang Djevelord", où les chœurs graves et chants fous (plus ou moins appuyés) que l'on retrouve au détour de "passages à vide" (le stentor fou en guise de fond mélodique sur "Hansel Unt Gretel") et comme manière de renforcer l'atmosphère solennelle de la fin du disque ("Ja vi Elsker Dette Landet", l'un des titres les plus efficaces de
"Thill Smitts Terror").
L'album entier est intéressant, puisqu'il ne nous renseigne pas plus qu'avant sur les motivations des norvégiens : au vu de son contenu, impossible de dire si Slagmaur est un groupe purement et simplement dingue, ou une bande de collègues souhaitant rendre hommage au Black Metal à leur manière, quitte à frôler le ridicule. Quoiqu'il en soit, des costumes jusqu'aux passages les plus surprenants de l'opus, Slagmaur danse sur la frontière entre bon et mauvais goût - et remplit aisément sa mission de déstabiliser l'auditeur. Le chant, plus aboyé et dégueulé que crié, contribue beaucoup à cette ambiance de grand délire général - Gribbsphiiser a d'ailleurs su faire varier sa palette vocale et s'entourer, et le résultat est aussi convaincant que prenant. Hormis l'outro, qui n'est en fait que le titre d'introduction accéléré et passé à l'envers (lassitude ou doigt d'honneur final à l'auditeur ?),
"Thill Smitts Terror" constitue un ensemble homogène, impénétrable si l'on essaye de le disséquer piste par piste. L'on progresse d'un démarrage presque inquiétant jusqu'à la seconde moitié, bien plus agressive. Si les amateurs de musiques tordues,espérant trouver chez Slagmaur des expérimentations tentaculaires, pourraient regretter le trop grand dépouillement des compositions (voir certaines parties un peu bancales, comme la batterie nue posée comme un cheveu sur la soupe en guise de final de "Hansel Unt Gretel"), ceux qui seront à la recherche d'une expérience plus cinématographique que musicale trouveront leur bonheur en parcourant ce
"Thill Smitts Terror".
Un peu plus varié que ses précédents méfaits (ce qui n'est pas bien difficile), mais toujours aussi soucieux de rester implacablement froid, Slagmaur donne un digne successeur à
"Von Rov Shelter"... Même si, à titre personnel, j'aurais apprécié d'y retrouver un peu plus de nouveautés que deux/trois chants clairs et des arrangements classiques.
"Thill Smitts Terror" donnerait presque l'impression que le groupe s'est bridé dans ses élans créatifs. Ce qui ne l'empêche pas d'être une excellente cuvée pour un groupe qui s'est autant fait attendre, et saura combler ses fans de la première heure.
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