Trois ans se sont écoulés depuis la sortie de
Reflecting The Inside et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il s’en est passé des choses du côté des Suisses d’Anachronism. Stoppé dans son élan après la sortie de cet EP fort prometteur, le groupe a malheureusement dû faire face à quelques sérieux changements de line-up. Exit ainsi Julien Waroux (guitare), Nicolas Riederer (guitare, synthétiseur, chant) et Matt Favrr (chant). Seuls Lisa Voisard (guitare) et Florent Duployer (batterie) demeurent dans les rangs. Réduit à un duo, le groupe va choisir de faire contre mauvaise fortune bon cœur. Lisa se décide ainsi, en plus de la guitare, à tenir également le rôle de chanteuse alors que la question d’un deuxième guitariste est résolue avec l’arrivée en 2016 de Manu Le Bé.
Le line-up ainsi complété, Anachronism s’attelle à la composition et à l’enregistrement de nouveaux morceaux. Deux titres inédits seront ainsi diffusés au début de l’été 2017. Un préambule des plus intéressants laissant entrevoir un groupe de nouveau en pleine possession de ses moyens. Un an plus tard, les Suisses signent leur retour aux choses sérieuses avec la sortie d’
Orogeny, un deuxième album une fois de plus autoproduit, illustré par le peintre américain Adam Burke.
A l’exception du mixage et du mastering confié à Raphaël Bovey (batteur de Kruger ayant déjà travaillé en studio avec des groupes tels que Borgne, Rorcal, Schammasch ou bien encore Zatokrev), l’enregistrement de l’album est signé des mains du groupe lui-même. Un désir de tout faire afin de mieux contrôler l’ensemble de la conception d’un disque véritablement surprenant. Non pas pour le style abordé qui fait écho à la musique d’autres groupes déjà confortablement installés dans le paysage actuel (Gorguts, Ulcerate, Artifical Brain, Gigan, Wormed...) mais plutôt pour la grande maîtrise dont fait preuve le trio et cela à tous les niveaux.
A ce titre, la production ne souffre d’aucun défaut particulier et permet même de mettre en valeur toutes les subtilités de la musique d’Anachronism. Moderne et puissante à la fois, elle laisse à chaque instrument la possibilité de s’exprimer que ce soit dans les moments les plus exigeants ou lors de séquences plus aérées où prime alors l’aspect mélodique. Certes, le travail effectué sur
Orogeny, aussi soigné soit-il, ne diffère pas spécialement de ce que l’on peut trouver sur les albums des quelques groupes évoqués un peu plus haut mais au moins le résultat est bel et bien au rendez-vous. Suffisamment puissante pour apporter aux compositions imaginées par Anachronism l’impact nécessaire pour s’imposer face à une concurrence qui n’entend pas laisser sa place aux premiers-venus, elle sait également se montrer d’un équilibre très juste lorsque les choses se calment au profit de passages plus éthérés, où l’aspect mélodique prime sur les dissonances et les attaques épileptiques beaucoup plus frontales.
Plié en un peu plus de trente-cinq minutes,
Orogeny propose des morceaux relativement courts d’une durée moyenne d’environ trois minutes. Des titres explosifs ayant le bon goût de ne pas trop en faire ou en tout cas de ne pas faire durer les choses éternellement. Ainsi, aidés par cette production limpide, les Suisses rendent l’immersion dans ce nouvel album particulièrement aisé en dépit de son caractère imprévisible et de ses nombreuses dissonances. Car c’est bien cela qui définit aujourd’hui le Death Metal technique des Suisses, une musique brutale et agressive construite sur la base de structures chaotiques et bien souvent inattendues mais portant néanmoins une attention toute particulière à la notion de mélodie. L’auditeur navigue ainsi entre séances de blasts punitifs, dissonances agressives et torturées, riffs épileptiques ou à l’inverse cadencés lorsque le rythme se fait plus lourd et enfin digressions mélodiques décomplexées (agrémentées de temps à autre par quelques leads progressifs inspirés par certains groupes du début des années 90). L’ensemble est exécuté sans filet ou presque par un groupe qui malgré ses problèmes de line-up a su poser les choses à plat, viser un but et se donner les moyens d’y arriver. Et que l’on y adhère ou pas ou bien que l’on y trouve beaucoup trop de ressemblances avec certaines formations, on ne peut cependant que saluer la qualité du travail abattu et la dextérité avec laquelle Anachronism s’est appliqué à faire de ce deuxième album une franche réussite. Car c’est bien de ce dont il s’agit ici. Un deuxième album particulièrement maîtrisé qui comblera sans aucun doute tous les amateurs de Death Metal technique et progressif.
Enfin, quelques mots au sujet de Lisa Voisard qui occupe désormais la difficile position de chanteuse au sein d’Anachronism. Si rares sont les femmes dans le Death Metal, plus rares encore sont celles qui osent se tenir derrière un micro et en assurer le rôle avec autant de puissance et de maîtrise. Et si son chant se trouve peut-être un poil trop en retrait dans le mixage en comparaison des autres instruments (et notamment des guitares qui tiennent ici le plus beau rôle) et si quelques variations auraient été les bienvenues, la suissesse n’a certainement pas à rougir de sa prestation. D’ailleurs, il y a fort à parier que nombreux seront ceux à passer un certain nombre d’écoutes avant de réaliser qu’il s’agit bel et bien d’une demoiselle au chant.
Menant sa barque dans son coin depuis déjà plusieurs années, il est étonnant de voir qu’Anachronism n’a pas réussi avec un tel album à intéresser un quelconque label capable de les soutenir et d’assurer une promotion à plus grande échelle. En tout cas une chose est sûre, les amateurs de (Brutal) Death technique et progressif avec des pointes de mélodies (ce superbe "Endotherm", titre instrumental aux passages rappelant Enslaved période
Isa ou
Ruun) devraient trouver chez les Suisses de quoi nourrir leur appétit. Anachronism possède aujourd’hui toutes les clefs pour réussir à plus grande échelle. Il ne lui reste à mon avis qu’à s’affranchir de certaines influences un peu trop pesantes et à progresser un tout petit peu vocalement (je suis certain que Lisa en a encore sous le pied) s’il veut véritablement tirer son épingle du jeu mais c’est déjà un très grand oui.
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