Maïeutiste - Veritas
Chronique
Maïeutiste Veritas
Après un disque éponyme très réussi et remarqué l’entité de Saint-Etienne est enfin de retour avec son attendu successeur, qui aura mis le temps pour voir le jour mais qui sur le papier se montre plus que prometteur. En effet entre les concerts et le processus créatif il s’est passé pas moins de quatre années, période pendant laquelle il y’a eu du remous en interne avec le départ d’un des fondateurs (le chanteur Eheuje), mais heureusement le guitariste historique Keithan est toujours de l’aventure aux côtés de son compère Temüdjin. Du coup on peut supposer que la base musicale va rester globalement semblable, même si avec ses mouvements et l’expérience accumulée en commun il y’a de bonnes raisons de croire que la musique sera poussée plus loin qu’auparavant. Et le moins que l’on puisse dire c’est que comme d’habitude le groupe ne manquera pas de diviser tant il se montre encore une fois unique en son genre via une musique inclassable et parfois difficile à assimiler.
Pourtant au départ on est quand même assez surpris par la relative accessibilité de « Veritas I » qui débute de façon assez classique via une alternance entre des rythmiques lentes et les blasts, qui sont complétés dans la foulée par des cassures techniques se mêlant assez facilement les unes aux autres. Certes on y retrouve des éléments propres au collectif via un break acoustique et des passages qui partent dans tous les sens, mais au milieu de tout ça des parties épiques en mid-tempo et des ambiances éthérées amènent un côté plus direct et accrocheur où l’on se surprend à ne pas décrocher en cours de route (tant l’ensemble se montre fluide et cohérent malgré ses nombreuses variations et influences diverses). Cela se confirmera un peu plus loin via « Universum » où ces mêmes plans se retrouveront mélangés afin d’obtenir une espèce de gloubiboulga musical où l’électrique côtoie les guitares sèches (portées par des ambiances free-jazz où se signale une voix douce et parlée), d’où des relents presque martiaux se calent sur des tempos doomesques écrasants (signant de fait un titre encore assez simple à approfondir). Mais on sait bien que la bande aime brouiller les pistes, et « Infinitus » va en montrer le chemin en jouant sur le grand-écart stylistique où la brutalité va côtoyer la tribalité, et où le chant religieux va se mêler à des passages d’une noirceur totale d’où aucun espoir ne semble émerger. Tout cela en poussant la technicité plus loin et en n’hésitant pas à varier les notes de façon importante, afin de perturber l’auditeur qui l’était pourtant déjà suffisamment au préalable, tant on a du mal à se rattacher à quelquechose de précis.
Mais à ce moment-là le tout reste encore intéressant malgré les difficultés d’accès à venir, car les gars n’ont pas encore poussé les choses au maximum de leur durée, ce qui va apparaître après le court interlude « Spiramus ». Particulièrement apaisant et doux il laisse place à un ensemble violon/violoncelle mélancolique qui nous emmène en pleine époque médiévale et nostalgique, permettant ainsi de souffler et de (re)prendre sa respiration avant la suite qui s’annonce plus ambitieuse encore. Car située un peu plus loin la pièce-maîtresse intitulée « Vocat » (et ses quinze minutes au compteur) va passer en revue toute la palette de ses créateurs qui se lâchent littéralement en laissant le temps aux longues vagues instrumentales de s’exprimer complètement, et de dévoiler toutes leurs saveurs, mais au risque de faire décrocher l’auditoire en chemin. Mixant tout ce qui a été déjà entendu précédemment tout y est ici étiré à l’envie et poussé à son paroxysme dans un délire cosmique et spatial chaotique et splendide. Mais heureusement malgré quelques longueurs évitables tout ceci se révèle paradoxalement plutôt digeste, et on est étonnement surpris que l’on soit encore relativement attentif une fois arrivé au bout de cette plage. La dernière surprise viendra de la conclusion (« Veritas II ») qui va prendre le contre-pied en ne durant qu’un tiers des près d’un quart-d’heure annoncés, car pendant plus de huit minutes on va avoir droit à un blanc inexplicable et inexpliqué (d’où ne sortiront ensuite que quelques chœurs féminins angoissants). Avant cela c’était le calme qui régnait via des arpèges doux et apaisants, puis la tempête rugissante portée par des blasts et cassures, avant le retour à une sérénité de façade suite à un riff froid joué seul au milieu de nulle part, signe de l’arrivée de ce long et imprévisible silence.
Du coup avec cette fin en trompe-l’œil on se retrouve au sein de quelquechose de difficilement descriptible (à l’instar du reste de cette galette), d’où il n’est pas évident de faire ressortir un passage plus qu’un autre. Car cette œuvre bien que méritant le respect pour l’impressionnant travail accompli ne se laissera pas facilement apprivoiser et demandera du temps et de la patience pour être appréhendée comme elle le mérite, tant son analyse et son décorticage seront longs à mettre en place. Il est donc certain que cela ne plaira pas à tout le monde et ne laissera personne indifférent, mais il serait dommage de ne pas lui laisser sa chance, car si l’on veut être happé correctement il ne faudra pas se fier à la première impression ressentie, mais au contraire insister et persévérer. A la fois barré et brutal, planant et obscur, ce disque pas parfait dans son rendu (à cause de longueurs évitables et d’une construction parfois trop alambiquée) maintiendra ses auteurs à un certain niveau hiérarchique, même s’ils ne grimperont pas forcément plus haut. Mais bon quand on pratique un genre assez unique comme c’est ici le cas ça n’est sans doute pas la priorité numéro un, vu que pour eux l’originalité et l’intégrité priment à priori sur la notoriété et la visibilité.
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