Cela sonne sans doute un peu cliché mais : les premières fois en musique, n’est-ce pas ? Quand on rencontre un groupe un peu par hasard, qu'il s’agit de son premier album, que celui-ci est bien un premier album avec tout ce que cela comprend de fraîcheur, d’essais manqués et réussis, d’expérimentations, d’aléas qui le rendent à part... Quand on tombe directement amoureux, à la fois surpris et curieux de tout ce que cela va donner par la suite. C’est ce qu’a créé
Forever The End chez moi dès sa découverte.
Atriarch a changé depuis. Il est devenu un groupe institué, connu et reconnu, signé sur des labels réputés, avec ses hauts (encore récents, cf. le prenant
Dead As Truth), ses projets annexes (que devient
Barren Harvest d’ailleurs ?), ses bas aussi. Mais à l’époque de
Forever The End, il était alors toute autre chose. Un fantôme, un extraterrestre, une anomalie difficile à situer car elle semblait faire son lit des interstices, glissant entre doom, black et post metal, deathrock, le froid intérieur, les couleurs rendues grises, l’hiver existentiel dans lequel on erre, le translucide et le diaphane devenant les matières fondant notre réalité. Une manière de vérité, que la bande transmet avec une simplicité confondante : les minutes s’écoulent et tout paraît aller de soi, fluide, obstiné, tel le gel qui prend possession de l’environnement.
Cette ambiance tient pourtant à peu de choses, au point de voir au départ en
Forever The End une œuvre modeste, marquée par l’undergound, bizarrerie comme on en trouve parfois en creusant sur internet, estimée puis oubliée, d’une durée montrant une attention à ne pas s’imposer plus que de raison. C’est d’ailleurs ce qu’elle est en partie, l’écoute se terminant dans une amnésie de ce que l’on vient de traverser en sa compagnie, malgré des moments formellement forts (« Downfall » ; « Shadows » et sa ligne de basse...). Et pourtant, elle est plus que ça, là, dans les recoins qui sont son monde, par une voix qui frissonne dans ses passages « Christian Death » et glace dans ses élans blackened, sa batterie morte, ses guitares et sa basse rachitiques, portées à bout de bras tremblants par une production essoufflée. Un souvenir terne de musique vibrante, qui devient un souvenir vague d’un disque à écouter encore et encore, informe, si spectral qu’il s’échappe constamment, encore aujourd’hui et malgré des années à passer et repasser les œuvres de la formation de Portland.
Si, avec le recul,
Forever The End paraît bien contenir ces quelques défauts que l’on qualifie « de jeunesse », à commencer par des longueurs qui se subissent un peu trop, il conserve cet émoi particulier ressenti lors de sa rencontre. Car Atriarch poursuivra certes dans ses créations suivantes une grande part de ce qu’il déploie ici – avec toute la réussite que l’on sait – mais perdra aussi un peu de son charme énigmatique, ainsi que de cette intensité particulière, éperdue, que l’on ressent le long de ces trente-six minutes. Comme une découverte faite devant nous de ses propres envies et talents à éteindre les lumières et laisser entrer le froid. Ah, les premières fois...
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