Dans ma chronique de l'album précédent d'Algebra, le fort sympathique
Feed the Ego, je me demandais si le départ du chanteur-guitariste Chaos Edy n'allait pas freiner les ardeurs du groupe, d'autant que j'avais la sensation que les Suisses n'avaient pas encore tout dit. Un commentaire prémonitoire. Les problèmes de line-up ont ainsi bien coupé le combo dans son élan puisqu'il aura fallu attendre cinq ans pour enfin entendre la suite, toujours chez Unspeakable Axe Records, avec finalement le line-up historique. Un nouveau disque intitulé
Pulse? qui prouve en effet qu'Algebra avait encore des choses à dire.
Et les gars ne les ont jamais aussi bien dites que sur ce
Pulse? qui voit le groupe exploiter son potentiel à plein régime en sublimant son style. La belle pochette signée du talentueux Adam Burke (enfin un artwork digne de ce nom !), se place alors comme l'illustration parfaite de l'évolution plus racée de la formation. On avait bien senti à chaque sortie que les Helvètes étaient capables d'aller au-delà du simple thrash à tchouka-tchouka efficace mais c'est ici sur ce troisième long-format (qu'on dit souvent de la maturité) qu'ils se lâchent vraiment et laissent libre cours à leur imagination et leur talent de musiciens. Si on reste dans le thrash metal old-school fin des années 1980/début des années 1990 auréolé de quelques touches plus modernes, le style dérive clairement vers un thrash plus technique et progressif (l'influence de leurs compatriotes de Coroner ?). Plus varié qu'il ne l'était déjà aussi, plus mélodique et plus sombre. En résulte des compositions plus longues (plus de 5'30 en moyenne si on enlève les deux courts interludes instrumentaux), type "à tiroirs", plus riches, plus fouillées, plus développées. Faîtes le calcul, ça nous donne une œuvre qui frôle carrément l'heure de jeu. Ambitieux !
Alors oui, un album de thrash de cinquante-sept minutes, ça peut faire peur. Je ne vous cache pas qu'en général, les disques d'une plombe me gonflent.
Pulse? n'échappe d'ailleurs pas à quelques longueurs (l'interlude acoustique "Prelude to Hate" introduisant "Hateful Source" aurait par contre mérité davantage de temps). Mais c'est trois fois rien tant la qualité globale impressionne. Surtout, Algebra a beau avoir affiné son style en proposant davantage de riffs, de leads, de cassures rythmiques, de plans alambiqués, de solos dans ses titres, il a su conserver ce qui fait l'essence même du thrash : son efficacité, son urgence, sa rudesse. Tant mieux parce que technique et progressif ne sont pas les deux qualificatifs que je préfère quand il s'agit de thrash. Pas de souci,
Pulse? reste un album de thrash pur et dur malgré des atours plus complexes. L'opus demande certainement pas mal d'écoutes pour apprendre à bien le connaître, tout en accrochant dès la première écoute. Les Suisses nous servent toujours du tchouka-tchouka entraînant à la pelle, les riffs headbangants sur du mid-tempo appuyé répondent encore présents, le chant se fait toujours rageur et acerbe, le groove n'a pas disparu, en particulier sur ces passages aux influences hardcore sur lesquels on pourrait faire du 2-step, sur les refrains de "Digital Master" et "Quantum God" ou les quelques backing vocals. Le tout sur un son clair et sec nickel-chrome, ni trop vintage ni trop moderne, mixé et masterisé par Andy Classen. Ils nous offrent même, comme à leur habitude, deux-trois blast-beats sur "Manipulated Soul" et "Pulse?". Algebra n'est pas non plus devenu Mekong Delta ou Watchtower, voilà ce que je veux dire. Les bases restent construites sur le thrash de la Bay Area, Metallica, Megadeth (le début de "Quantum God" à base d'arpèges puis de riff plombé, c'est du Mustaine tout craché !), Heathen, Forbidden, Testament, Death Angel. Du plus underground comme Evildead et Atrophy. Et bien sûr Metallica. Difficile de ne pas voir en ce superbe final mélodique et planant ultra cool sur "Pulse?" un hommage à "Orion" et Cliff Burton. La basse se montre d'ailleurs en de nombreuses occasions. On peut penser également un peu à Pantera lors de certaines parties de chant clair "plaintif" d'un Chaos Edy au registre plus varié qui s'est pas mal amélioré ici même si la voix ne sera jamais l'atout majeur de nos chers voisins. Comme sur "Addicted to Authority" à 1'11 et "Concrete Jungle", titre le plus mid-tempo de la série, qui rappellent vite fait Phil Anselmo. Slayer aussi sur les séquences les plus poilues, ainsi que Sepultura. Algebra clôt d'ailleurs
Pulse? par une reprise de "Dead Embryonic Cells". Une cover certes trop polie car très fidèle à l'originale mais qui me va tout à fait tant
Arise fait remonter chez moi des souvenirs de mes premières rencontres, d'abord visuelles, avec le monde du metal, cette pochette bizarre et horrifique si diablement attirante pour un gamin curieux d'une dizaine d'années. Le poster, jauni par le temps et quelque peu déchiré par les nombreux décollages/recollages, trône toujours fièrement sur les murs de mon bureau où j'écris ses lignes. D'autres noms viennent en tête brièvement mais à des moments uniques tels cette lead mélodique bien sympa à 3'11 de "Digital Master" qui fait penser à Accept, cette autre lead sur "Pulse?" à la Death juste avant la séquence "Orion" ou encore "Hateful Source" et son ouverture aérienne, ses claviers (discrets !) et ses galopades à 0'44 qui fleurent bon le heavy metal.
L'attente en valait la peine. Algebra a enregistré avec
Pulse? son album le plus ambitieux. Le plus réussi, aussi. Ils ont un peu sorti leur
...And Justice for All, toute proportion gardée bien sûr et avec de la basse ! Clairement, les Suisses ont pris du galon, que ce soit en termes d'écriture, de technique ou de feeling mélodique.
Pulse? rappelle ainsi ces grands albums de thrash de la deuxième moitié des années 1980 aux longs morceaux où le chant n'apparaissait souvent qu'après une minute. Ces disques où chaque musicien à la forte personnalité marquait leur présence. Il y a tout ici pour plaire à l'amateur éclairé, même le plus exigeant. La production parfaitement dans l'esprit, l'orgie de riffs, le festival de tchouka-tchouka endiablé, les mid-tempos brise-nuques, les solos de shredders impeccables, les leads mélodiques aguicheuses, la complémentarité des guitares, les intros/interludes acoustiques ou en arpèges, la basse délicieuse, la batterie impériale, les vocaux hargneux, ... Science du riff, feeling mélodique, violence, groove, technique, ambiance, les Lausannois proposent ici à peu près tout ce que le thrash a à nous offrir. On pourra bien sûr râler sur quelques points comme la longueur excessive pour le style ou le fait que tout cela manque encore de la mémorabilité qu'avaient ses modèles intemporels, que ça n'a pas du tout le même impact.
Pulse? n'en demeure pas moins un très bon album de thrash bourré de qualités et Algebra un groupe bien plus convaincant que nombre de formations de revival plus connues et pourtant moins talentueuses (Havok, Evile, Warbringer, Nervosa ...). Je suis les Suisses depuis leur premier EP
Procreation en 2010, me voilà comblé de les voir arriver à ce niveau. Bravo à eux. Bon courage aussi puisque les problèmes de line-up refont surface, le chanteur-guitariste Ed se retrouvant seul aux manettes. Il a depuis trouvé un batteur mais cela risque de prendre du temps avant de reformer un groupe complet. S'il faut patienter de nouveau cinq ans pour un album aussi réussi que
Pulse?, pas de problème, on attendra !
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09/06/2020 16:48