En quête d’une nouvelle preuve que le doom et le hardcore sont deux enfants d’une même famille ? Ne cherchez pas plus loin.
On le sent chez Saint Vitus, chez Black Flags, chez Crowbar, chez Starkweather, chez tous ces balourds qui bandent leurs muscles et leur tristesse fondamentale... Et on le sent chez Pulling Teeth, en particulier sur ce disque.
Paranoid Delusions / Paradise Illusions peut, pourtant, donner l’impression d’être tout autre : avec sa durée courte, tel ces œuvres expéditives dont le statut d’album tient plus au caractère définitif avec début et fin qu’à une certaine longévité, il fait imaginer pour qui ne l’a pas encore écouté un brûlot expéditif comme le groupe nous a déjà habitué avec
Vicious Skin et surtout
Martyr Immortal, son hardcore holy terror grimaçant et abrasif.
Sauf qu’on se rend vite compte que les choses sont ici différentes, la tronche faisant six pieds de long, la gueule ouverte de dépit prenant la forme d’un cercueil. Non, Pulling Teeth n’est pas allé encore plus loin dans la course à la violence,
Paranoid Delusions / Paradise Illusions expérimentant à tout crin, faisant de ses détours les directions qu’il souhaite prendre. Tout juste retrouvons-nous nos appuis sur les accélérations de « Bloodwolves » ou la deuxième partie de « Ritual », rappelant les capacités d’étranglement des créateurs de
Martyr Immortal, juste ce qu’il faut pour tomber encore plus fort le cul par terre, victime d’un énième tacle de ces Ricains amateurs de coups de pute.
Car celui qui recherche en
Paranoid Delusions / Paradise Illusions sa dose quotidienne de violence hardcore en sera pour ses frais : lourd, implacable, d’une atmosphère aussi bigarrée que toxique, le disque convoque d’autres images que celles coutumières. Des images de beautés inaccessibles, d’épopées perdues d’avance, de paradis illusoires et de désillusions paranoïaques, comme une apocalypse nucléaire où la révélation s’arrêterait à l’absence de Dieu et l’horreur des hommes. C’est ce caractère prophétique, inéluctable, qui transpire de ces vingt-trois minutes, Mike Riley en prédicateur cynique et cependant éploré, le sourire narquois se déformant dans une tristesse théâtrale – un hurleur qui manque décidément dans le paysage actuel.
Plus qu’à Integrity, auprès duquel on a toujours rapproché Pulling Teeth, je pense ici à
Trouble et son Psalm 9, son doom fiévreux et prêt à en découdre, touchant aussi bien au thrash qu’au heavy, peignant un monde en bout de course proche de se faire engloutir par un dieu vengeur. Sauf que la religion est ici moquée, la fatalité ici exécutée par des mains d’hommes jouant de lumières (le final magique de « Bloodwolves » ; la mélancolie désertique habitant « Paradise Illusions ») et d’ombres (les guitares rampantes de « Unsatisfied » et « Paranoid Delusions »). Certes court,
Paranoid Delusions / Paradise Illusions marque une nouvelle ère pour la bande, dont le testamentaire
Funerary se chargera de développer le propos, loin d’être en gestation – rien à déplorer ici, une fois le parti pris accepté – mais certainement frustrant pris seul.
Plus qu’une étape dans une discographie qui, presque dix ans après la séparation de la formation, épate par sa cohérence et son évolution,
Paranoid Delusions / Paradise Illusions est l’album où Pulling Teeth, ce groupe dont on peine à trouver des équivalents, est passé définitivement dans la catégorie des ovnis musicaux. Si j’ai tendance à retourner vers les pleinement satisfaisants
Funerary et
Martyr Immortal quand me vient l’envie de revenir vers le défunt projet, nul doute qu’il est un troisième choix proche des deux premiers !
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