Je n’y croyais plus.
Prelapsarian avait signé ma rupture avec Krallice, la suite ne m’ayant que convaincu que la formation ne me parlait plus, préférant aller vers un étalage technique trop stérile pour me plaire. En effet, que ce soit les expérimentations avec Dave Edwardson ou les disques en solitaire, sorte de gloubi-boulga évoquant les pires heures d’un metal technique extrême et transgenre comme on a pu trop en rencontrer – mais sans le mordant que pouvait avoir des Sulaco ou Crowpath par exemple –, le projet mené par Colin Marston paraissait dilapider son talent dans un onanisme qu’il avait toujours su éviter jusque-là. Le divorce acté, chacun menait son bout de chemin sans rancune, gardant pour ma part
Years Past Matter ou
Dimensional Bleedthrough comme des beaux souvenirs à se remémorer.
Pourtant, quelques signes ont montré la possibilité de faire renaître un intérêt pour Krallice, à commencer par l’intrus
Go Be Forgotten, sa pochette grisâtre, son optique raw, comme une envie de revenir à la source d’un black metal forcément mutant quand il est réfléchi par ce genre de cerveau compliqué et un brin pervers. Cessons le suspense :
Demonic Wealth a concrétisé les espoirs que l’on pouvait avoir de rencontrer à nouveau un Krallice modelant au gré de ses envies un black metal à la fois inchangé dans son essence et pourtant totalement « autre ».
Enregistrement chacun dans son coin et avec les moyens du bords (merci la pandémie) ; pochette aussi minimaliste qu’étrangement menaçante ; lettrage austère, presque médiéval dans son style : autant d’indices signifiant que les choses ne seront pas routinières comme pouvaient le transmettre les précédentes œuvres des Ricains. L’écoute, elle, laisse rapidement subjugué ! Malgré un riffing immédiatement reconnaissable, retrouvant une agressivité rare par la magie d’une production abrasive et crue – Colin Marston est capable de merveilles sur ce plan-là, ce que j’avais oublié –, l’impression générale est de redécouvrir ce dont est capable Krallice, ce sentiment d’être face à une bande de malades extrêmement intelligents, indubitablement metal, mais prenant un plaisir particulier à l’emmener vers des sphères inédites.
L’amour renaît, donc. Mais cela ne veut pas dire que l’on renoue avec le même émerveillement qu’avait pu créer la troupe lors de ses débuts sur Profound Lore. Non, malgré des guitares ayant toujours la volonté de s’échapper, entrelaçant les autres instruments de leurs lignes interminables, on sent rapidement qu’autre chose se dévoile. Ces mélodies-ci sont bien trop thrash, bien trop acérées, presque bruitistes (cf. « Still ») et… ambient. Le mot est lâché :
Demonic Wealth est le disque ambient de Krallice. De l’ambient surchargé, complexe, infernal quand on cherche à séparer les couches, mais un disque dans lequel, pour la première fois avec les Ricains, on trouve son bonheur, ce fameux « déclic » qui a toujours marqué leurs plus belles créations, dans un lâcher-prise où il ne s’agit plus de se concentrer pour suivre un discours riche et alambiqué. Ces claviers vaporeux, délicats, nauséeux par instants (« Disgust Patterns ») ne disent rien d’autres ! Comme lors de la lecture d’une épopée spirituelle se situant dans un futur spatial, l’essentiel ne se trouve pas dans la somme d’informations lancées au lecteur mais dans ce qui se passe entre les lignes, dans l’atmosphère développée.
Une démarche qui, pour lâcher quelques gros mots, rappellera fortement les disques les plus barrés de Wrest, ce qu’il a pu faire au sein de
Lurker of Chalice en particulier, dans cette manière de jouer un black metal ambient griffu, cauchemardesque et cependant enivrant. Pour autant, inutile d’attendre de la part de
Demonic Wealth un doppelgänger : sa trame narrative finit par nous emmener vers d’autres contrées bien à lui, un univers où cohabitent des monstres extra-terrestres bataillant dans des paysages désertiques, blessés d’un froid polaire (« Mass for the Strangled »), où les éléments s’exaltent (la beauté de « Sapphire » et ses lignes de basse renvoyant à un The Cure fan de science-fiction), une vie alien dévorée et dévorante – la voix de Mick Barr, venimeuse comme jamais – trouvant dans cette existence rude une forme de paix, de richesse intérieure.
Pour la première fois depuis longtemps avec Krallice, je retrouve la sensation d’être embarqué dans une œuvre jusqu’au-boutiste, réfléchie de bout en bout, où l’excessivité sert le propos. De terminer l’écoute repu, l’esprit ailleurs, comme lors de la rencontre d’un imaginaire particulièrement marquant. Il y a bien quelques passages à vides, quelques incongruités, notamment dans un premier titre où l’onirisme qui le suit tarde à poindre… Quelques paragraphes où les auteurs divaguent… L’émotion, elle, naissant d’images de xénomorphes acclamant la beauté de leur monde, reste toujours présente. Vous m’avez sévèrement manqué.
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