Si cela fait un moment que vous consultez notre site, vous le savez certainement : Thrashocore prend le parti de distinguer l’art et les idées, laissant à ses chroniqueurs le soin de parler de musique avant toutes choses, quitte à traiter d’albums véhiculant des opinions politiques sulfureuses, pour employer un mot neutre (« finies à la pisse » sera plus proche de notre avis).
Cela est la décision commune – ce qui ne veut pas dire que nous sommes tous d’accord sur le sujet. En effet, d’autres – dont nous faisons partie – pensent que la musique et les idées ne font qu’unes, que traiter de musique revient nécessairement à laisser une place aux discours proférés par leurs auteurs. Honnêtement, on se demande bien comment font ceux qui décident de faire la part des choses, trouvant une absurdité à se dire que d’écouter des œuvres partageant des points de vue d’une stupidité crasse est une décision intelligente. Au mieux, un aveuglement volontaire. Au pire, une propagation involontaire de ce qui se rapproche à de la propagande d’extrême droite.
« L’Art est politique » ; « La musique est un vecteur d’idées parmi d’autres » ; « Ne pas choisir, c’est choisir le pire » : c’est à ces pensées-là que renvoient ces questionnements et c’est à l’occasion de ce nouvel album de Sordide,
Les idées blanches, que la problématique s’est de nouveau posée. Car on aura beau chercher à fermer les yeux, à vouloir faire le tri, cela sera ici impossible : son idéologie anarchiste, anti-raciste, anti-nationaliste, Sordide la hurle à plein poumons et de la façon la plus claire possible, au point qu’elle transpire sur l’ensemble de l’album, devenant un élément essentiel de son black metal.
« Je n’ai nul pays,
Je n’ai nulle patrie,
Mais j’embrasse l’espoir
D’un noir pouvoir. »
Le groupe ne change donc pas de fusil d’épaule et continue, avec verve, de mener la lutte – combat des mots – débutée en 2014 avec
La France a peur. Pourtant à la vue du bel artwork épuré avec ses touches de blanc immaculé, du titre de ce dernier long format ainsi qu’à l’espoir caressé sur « Je n’ai nul pays » (ouvrant les hostilités), les musiciens laissaient entrevoir une victoire à porter de main et une certaine quiétude. Cette impression ne durera qu’un petit temps, s’estompant bien vite au fil de l’écoute. Adieu bout du tunnel et bonjour mine de charbon crasseuse et obscure ! Si le précédent album suintait l’amertume tout en regorgeant de titres fédérateurs, Sordide vous surprend en délivrant des sonorités et des textes beaucoup plus funestes – à l’image de la société dans laquelle ses membres évoluent. Une sorte de papier carbone imprimant toutes les horreurs actuelles et nos travers. La vague de violence vous arrive en pleine face dès les premières minutes de « Ruines futures » avec ce refrain/leitmotiv repris à plein poumon par plusieurs voix. Le rythme soutenu et les quelques riffs dissonants viennent définitivement clouer votre optimisme au pilori.
Les idées blanches dégouline de bile, vous saisit par des ses sonorités plus black metal. Quelque soit le tempo, la formation crache sa haine, ses désillusions. Elle ne vous laisse aucun répit comme sur « Ne savoir que rester » avec des lignes de guitares répétées à l’envie, jusqu’à épuisement. Cet abattement se fait plus présent et plus sinistre au gré des compositions. Ayant depuis longtemps baissé les armes, vous suivez, résigné, votre convoi funéraire guidé par les notes de basse sentencieuses.
« Continuer
À hurler,
À sombrer,
À foncer
Vers jamais. »
Une histoire de décadence, de chute qui ne finit jamais : son aigreur, Sordide paraît de plus en plus l’accepter, fait à la défaite. Pour autant, aucun apitoiement, aucune mélancolie dans ces lignes étrangement dynamiques, presque dansantes à bien des endroits – ce groove qui guide « L’atrabilaire » et « Le silence ou la vie » –, plutôt une dignité qui se trouve dans un monde d’échecs, la noblesse se terrant dans les titres que l’on s’invente. « Ne savoir que rester » devient alors ici une cinglante et limpide confession (en sus d’être l’un des meilleurs morceaux d’une formation en ayant plusieurs dans sa besace), de celles qui marquent le crâne à coups de boots. Une impression qui habite cet album hanté, ces trente-neuf minutes ayant une clarté dans leur propos – musique et discours entremêlés – laissant penser que l’expérience Void Paradigm a porté ses fruits,
Les idées blanches pouvant se voir comme le pendant féroce, tueur – c’est qu’aimer se faire autant du mauvais sang demande à s’alimenter chez celui des porcs –, de
Ultime pulsation | Demain brûle. L’un cauchemarde de songes abjects dans son plumard ; l’autre équarrit ses contemporains bien trop cons le long de son trimard. On pourra certes trouver dans ce disque tranchant quelques parties émoussées (le morceau nommant l’album, légèrement en deçà après l’éclatant « Ne savoir que rester ») ; les tripes n’en sont pas moins exposées, les Rouennais vidant aussi bien leur sac que celui de leurs ennemis dans une acrimonie qui s’essaye à l’anatomie, la charogne de notre société sur la table.
« Contempler le silence
De nos mains fatiguées
Brûlantes
Des feux mourants
Des aubes mutilées
Toujours crier l’absence
De nos voix asséchées
Grinçantes
Et lentement
Les voir se déchirer
Les aphorismes éructés
Toujours affirment
L’aveu infirme : ne savoir que rester »
À la manière du Meatball de Crumb,
Les idées blanches vous frappe, souhaite éveiller les consciences bien trop longtemps endormies. Il raisonne même après l’écoute, vous prenant à chantonner certains airs ou scander des paroles marquantes. Le groupe continue d’entretenir son feu sans faiblir et signe une entrée remarquée chez Les Acteurs de L’Ombre avec ce dernier long format hautement qualitatif.
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