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Thyrathen - Thanatopsis

Chronique

Thyrathen Thanatopsis
Lorsque l’on évoque la Grèce et le black metal, l’on a tout de suite une myriade de groupes qui viennent à l’esprit, et ceci, depuis les années mille neuf cent quatre vingt dix. Et si votre humble serviteur a un gros faible pour cette scène, c’est parce qu’elle a, pour une bonne part de ses formations, des singularités assez intéressantes qui fait qu’elle s’est depuis toujours démarquée des scènes scandinaves et qu’elle a trop souvent été éclipsée par ces dernières et d’autres scènes. Surtout, au vu de l’Histoire et de son emplacement géographique, nombre de formations ont souvent fait référence à sa culture antique, avec parfois une démarche assez poussée si l’on prend l’exemple de formations telles que Kawir - notamment pour ce qui est du polythéisme et de la religion grecs -, Macabre Amen ou, plus récemment, Aherusia, avec de grandes références au passé. C’est donc dans cette veine que l’on va retrouver Thyrathen, dont le patronyme désigne quelqu’un qui a des liens avec des forces cosmiques et surnaturelles, et dont les thématiques seront centrées sur la culture antique dans une acception large: philosophie, tragédies, poésies, mystères dionysiaques et mythologie.

S’il a fallu attendre la fin du mois de novembre deux mille vingt et un pour que le premier album de Thyrathen, le présent ThantOpsis, ne sorte, la genèse du groupe remonte pourtant à l’année deux mille onze, bien que l’idée de cette formation avait germé dès le milieu des années mille neuf cent quatre vingt dix. Fruit de la collaboration entre Corax S. - en charge de la batterie et des percussions - et Alex Z. - en charge des guitares, de la basse, et membre notamment de Kawir depuis quelques années -, Thyrathen a donc pris son temps pour composer cet album un peu particulier et riche, avec une démarche assez poussée. Évidemment, ce sont ces particularités qui ont été mises en avant par le label Ván Records, au même titre que la présence d’invités prestigieux, lors de la phase promotionnelle en prélude de la sortie de l’album, pouvant aussi donner quelques craintes quant au contenu de cet album. Elles avaient été en partie levées dès la mise en ligne du premier extrait de cet album, elles ont totalement disparu dès l’écoute de ce premier album.

Dans sa fiche promotionnelle, Thyrathen décrit sa musique comme étant du black metal diachronique et lyrique, une formulation un peu pompeuse, mais qui met pourtant bien en avant les particularités de la physionomie du groupe, tant au niveau des concepts abordés sur cet album que dans sa démarche musicale, mais qui montre aussi le gros travail de recherche effectué par les deux musiciens. À cet effet, l’on a énormément de références à la littérature et à la philosophie dans les paroles des titres, et le livret accompagnant le digibook de cet album est très riche en informations et commentaires, l’on soulignera à ce propos tout le soin apporté par Ván Records, une nouvelle fois, dans ce très beau digibook. Cela étant dit, si les concepts sont bien étayés, le duo n’a aucunement négligé son approche musicale, qui est assez étoffée. Et s’il y a bien un terme qui peut résumer leur approche c’est l’authenticité. Ainsi, le groupe annonce qu’il n’a eu recours à aucuns claviers ni synthétiseurs pour enregistrer cet album: tous les instruments utilisés sont réels, le duo ayant recours à certains utilisés durant l’Antiquité grecque.

L’on retrouve ainsi tout le long de cet album de la lyre d’Apollon, - dont les représentations iconographiques sont très connues -, des tambourins et du diaulos, instrument à vent de l’Antiquité, ces deux derniers étant souvent utilisés pour certaines célébrations religieuses, ainsi que d’autres percussions. Ces instruments ont été reconstitués, rappelant un peu la démarche d’Einar Selvik pour Wardruna, à ceci prêt qu’ici le duo a fait appel à des musiciens professionnels pour jouer ces instruments. Ces musiciens font partie de ce que le duo aime à appeler le line-up lyrique de cet album, auxquels il faut ajouter une chanteuse soprano et un chanteur ténor, mais également une actrice de théâtre antique en charge des déclamations et narrations, dont notamment sur le premier titre. Ce d’autant plus que tous ces musiciens, outre leurs spécificités, ont également participé aux nombreux chœurs présents sur cet album. Et histoire d’être un peu plus complet, l’album est divisé en deux chapitres, le premier étant axé sur les mythes et l’Histoire et comprend les quatre premiers titres, le second étant axé sur la Philosophie et concerne les six derniers titres.

Autant l’avouer de suite, cela nous donne évidemment un album qui est riche en arrangements et en atmosphères, et l’on est rapidement conduit dans une machine à remonter le temps, voguant ainsi dans un voyage dans l’Antiquité qui n’est nullement surfait, et encore moins fait de carton-pâte ni de pastiche. La production naturelle met éminemment à l’honneur toutes les composantes de la musique de Thyrathen, avec un son à la fois chaleureux et ample et qui laisse de l’espace à tous les instruments et à tous les types de chant. Si par les concepts et les instruments utilisés, les Hellènes ne nient aucunement leurs origines géographiques, cela se retrouve évidemment dans leur propos musical: l’on a bien évidemment à faire ici à du black metal d’appellation d’origine contrôlée, et l’on a aucun doute là-dessus dès les premières notes de … Of Mistress Earth and Zagreus.

La part belle est ainsi faite à ces riffs mélodiques et incisifs sur une bonne part de cet album, et l’on retrouve à de très nombreuses reprises ces mélodies à la fois prenantes et résolument épiques. Si la musique prend souvent des attraits héroïques, elle revêt également des pourtours nostalgiques, et surtout très mystérieux, notamment sur le second chapitre de l’album. Comme l’on pouvait s’y attendre, et fort heureusement même, l’on retrouve beaucoup de variétés dans les titres mêmes, notamment au niveau des rythmes, où l’on alterne très souvent au sein même de ces derniers entre passages rapides et intenses et d’autres plus lents, où les musiciens vont justement y imprimer quelque chose de plus solennel, voire même d’augural. C’est évidemment clichesque d’utiliser ces termes, mais l’on a ici un rendu vraiment sincère, tant l’on y croit vraiment. Dans tous les cas, Thyrathen est parvenu à mettre en musique ce qu’il avait imaginé, rejoignant ainsi dans cette démarche ce qu’ont pu faire auparavant des formations telles que Kawir, Tatir, Fiendish Nymph, et, dans une certaine mesure, Daemonia Nymphe.

Si l’ossature black metal reste assez classique, elle n’en est pas moins excellente, et l’on a assez souvent des clins d’œils qui vont nous rappeler d’autres formations en provenance de Grèce, je pense à quelques passages qui ne sont pas sans évoquer Rotting Christ, notamment dans ses épanchements les plus guerriers et mélodieux, aussi bien les premiers albums, que les œuvres les plus récentes. À ceci prêt que le travail établi par les guitares est vraiment garni, et non pas juste basé sur des guitares rythmiques pauvres, notamment quand le groupe prend des allures plus martiales. L’on sent bien qu’il y a eu ici un gros travail de composition et d’écriture, le duo ayant très souvent travaillé et réécrit certains titres, mais le résultat est on ne peut plus bluffant, car il n’y a pas de moments faibles sur cet album. La variété des compositions est l’une des forces de cet album, mais aussi l’utilisation des différents instruments et types de chants enrichissent chaque titre.

Surtout, il y a un côté un peu théâtrale que l’on retrouve également dans le chant saturé qui est assuré non pas par un seul chanteur, mais par deux, et pas des moindres: Stefan Necroabyssious - Varathron, Katavasia, Zaratus, Funeral Storm - et Alexandros de Macabre Omen. Des choix, là aussi, on ne peut plus pertinents car les deux chanteurs vont vraiment se compléter l’un l’autre, instaurant surtout une forme de dialogue, complété par les chœurs et les chants lyriques. Le premier des deux fait toujours autant merveille avec son chant black metal plus profond et déclamatoire, prenant en charge également certains murmures et souffles, tandis que le second se démarque par son chant plus écorché et aiguë, plus désespéré d’une certaine manière, assurant aussi des parties de chant clair. En tout cas, les deux excellent dans leurs registres respectifs, et c’est aussi leur participation à cet album qui lui donne un cachet supplémentaire, dans ce va et vient entre ce chant plus abyssal et l’autre plus dionysiaque, comme l’annonce le livret de l’album, et qui ne font qu’enrichir ces compositions. Le propos de l’un et de l’autre sont toujours appropriés et mettent bien en avant la diversité qui est de mise ici.

Si le fait que cet album est divisé en deux chapitres, avec même trois parties intégrées à ces chapitres pourraient donner le tournis et freiner même sa découverte, il ne faut aucunement avoir peur car tout y est très cohérent. À tel point que lorsque retentissent les dernières notes de Exodus - Catharsis, l’on n’a point vu le temps s’écouler. C’est cela le tour de force de cet album, c’est qu’il prend le temps de nous faire voyager dans le temps et nous faire ressentir différentes émotions et différentes ambiances. L’on peut passer par de moments plus rageurs et colériques, aussi bien au niveau du chant qu’au niveau des parties instrumentales, que par des moments plus solennels, d’autres plus nostalgique et d’autres encore plus éthérés, notamment ces moments où ne résonnent que les instruments antiques et les chœurs. Certes, il y a eu un gros travail d’écritures, une grosse réflexion sur les arrangements et sur les choix des types de chant, mais il faut reconnaître que le talent et l’inspiration sont clairement au rendez-vous.

Même les déclamations théâtrales présentes sur deux pistes s’y intègrent parfaitement, permettant de souffler mais aussi de s’imprégner de l’ambiance de cet album. Il faut insister grandement sur cette grande fluidité et cette très grosse cohérence dans tout cela. Rien n’apparaît ici comme étant surfait, ni sur-joué, et chaque élément est utilisé à bon escient et apporte sa touche à chaque intervention. Si des instruments folkloriques sont utilisés ici, antiques serait même plus approprié comme terme, ce n’est pas fait de manière grossière et inepte, comme si l’on se devait d’utiliser ces gadgets de manière inappropriée comme le font trop souvent les formations de metal extrême. Tout est bien pensé ici, et l’on n’aura pas de moments festifs vulgaires, car l’on est plutôt dans une volonté de se rapprocher de certaines sonorités antiques, dans une veine processionnelle, plutôt qu’autre chose. Le tout garde surtout une cohérence entre les moments Anciens, si je puis dire, et les éléments modernes que forment les éléments propres au black metal.

Authenticité, intelligence, inspiration, sont les maîtres mots pour définir ce premier album de Thyrathen. ThanatOpsis n’est pas un album de plus dans cette longue tradition de rendre hommage à l’Antiquité, mais bien une très belle mise en valeur d’un héritage complet, le tout fait avec passion et dur labeur, avec en sus une forme de théâtralité qui singularise clairement cet album. Cette réalisation est tout simplement une merveille et l’on ne se lasse guère de son ambiance unique, de ses mélodies pluri-millénaires, de ses assauts épiques mais également de ses moments déclinant une forme de mystère. Il y a quelque chose d’assez magique dans ces dix titres, une forme purement païenne palpable à chaque instant et où l’on sent tout le poids d’une culture qui n’a pas fini de nous émerveiller. ThanatOpsis est certes une œuvre exigeante, de celle qui ne se dévoile pas tout de suite, de celle qui recèle de nombreux détails signes d’une grande richesse musicale, mais elle vous déclinera ses charmes au fil des écoutes et vous enchantera par son propos, aussi bien dans le sens premier que second du terme. Il ne fait aucun doute qu’elle devrait ravir les amateurs de black metal grec, et notamment les références émaillées ici ou là, et devrait, à mon sens, recevoir bien plus de suffrages et d’intérêt, la sortie de cet album ayant malheureusement coïncidé avec celle d’une réalisation bien plus tendance de la part du même label, qui a malheureusement bien trop éclipsé celle-ci. Dans tous les cas, l’on ne peut que saluer tout le travail, herculéen, réalisé par Thyrathen, en espérant qu’il ne faudra pas autant d’années pour la sortie d’une prochaine réalisation.

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Thyrathen
Black Metal
2021 - Ván Records
notes
Chroniqueur : 8.5/10
Lecteurs :   -
Webzines : (1)  7.33/10

plus d'infos sur
Thyrathen
Thyrathen
Black Metal - 2011 - Grèce
  

tracklist
01.   ["Praelūdium" (Parodos):] Νυκτωδία  (06:17)
02.   …of Mistress Earth and Zagreus  (05:12)
03.   The God of Mount Nysa  (07:04)
04.   Diarchy - United as One  (04:45)
05.   Villa dei Papiri (The Philosophical Library)  (04:42)
06.   Kyriai Doxai (Part Ι - The TetraFarmakos Epitome)  (06:49)
07.   Transmogri[e]fication  (05:30)
08.   Flēbilis Moriendum (Μονωδία)  (03:43)
09.   ThanatOpsis  (07:23)
10.   Exodus - Catharsis  (09:02)

Durée : 60:27

line up
parution
26 Novembre 2021

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