Sortir des sentiers battus pour offrir à ses auditeurs une expérience unique et remarquable est un art qui n’est pas donné à tout le monde. Les Français d’Epitaphe s’y étaient risqués avec succès en 2019 le temps d’un premier album particulièrement convaincant. Certes, celui-ci n’était pas exempt de défauts (notamment quelques passages trainant parfois inutilement en longueur) mais le groupe faisait déjà preuve d’excellentes prédispositions en la matière. Trois ans plus tard, la formation iséroise est de retour avec la sortie de
II le bien nommé. À cette occasion Epitaphe nous revient sous la forme d’un trio puisqu’il semble que monsieur DRZ ait depuis tiré sa révérence. Une défection sans incidence puisque c’est son ancien collègue LB (ou LBK) qui en plus des guitares, synthétiseurs et autres petits effets se charge désormais de cette basse laissée vacante.
Pour illustrer ce nouvel album, le groupe s’est de nouveau tourné vers le peintre finlandais Petri Ala-Maunus. La seule différence dans le processus créatif est que cette oeuvre baptisée "Celestial Explosion" est une commission à laquelle l’artiste a répondu sur la base de quelques éléments transmis par la formation (titres de chansons, thèmes abordés...) alors que celle présentée sur son prédécesseur n’est que le fragment d’un travail plus ancien et plus conséquent intitulé "The Sky Is Falling" (2015). Dans les deux cas, difficile de ne pas tomber sous le charme de son travail, ses paysages et ses couleurs possédants en effet la faculté de vous embarquer ailleurs, loin du réel.
Pour ce qui est de la production, Epitaphe à là encore sollicité l’expertise d’un ancien collaborateur puisque c’est à James Leonard du groupe Barús qu’à de nouveau été confié l’enregistrement et le mixage de ce nouvel album capté pour la seconde fois consécutive au Plastic Lobster Studio. Pour ce qui est par contre du mastering, le groupe a choisi cette fois-ci de faire appel à monsieur Greg Chandler, leader du groupe anglais Esoteric et producteur de renom au curriculum-vitae particulièrement chargé (Ateiggär, Cantique Lépreux, Chthe’ilist, Cruciamentum, Fluisteraars, Qrixkuor, Ungfell, Vacivus et j’en passe). Un choix qui n’a évidemment rien d’anodin puisqu’il est par son travail et ses réalisations l’une des influences majeures des Français. Les deux hommes signent pour le groupe une production impeccable avec notamment des guitares au caractère bien trempé, une batterie au naturelle, une basse audible mais discrète et un équilibre très juste permettant à Epitaphe de naviguer sans contrainte et avec aisance entre ces univers variés qui sont les siens.
Bien qu’il soit un groupe ouvert aux digressions, Epitaphe n’entend pas changer son fusil d’épaule avec ce nouvel album mais « simplement » (l’importance des guillemets) peaufiner sa recette. Le hasard faisant souvent bien les choses, il s’avère que les quelques griefs que j’avais à l’encontre de
I sont aujourd’hui de l’histoire ancienne. En effet, malgré des compositions dont les durées se sont considérablement allongées ("Celestial", "Melancolia" et "Insignificant" culminants tous les trois à plus de dix-huit minutes), on ne trouve aucun moment donnant le sentiment désagréable qu’Epitaphe tire sur la corde pour ne rien dire. De la même manière, les influences Black Metal déjà présentes sur son prédécesseur mais qui se mêlaient assez maladroitement avec le reste sont désormais intégrées de manière beaucoup plus habile et harmonieuse. Pour autant, deux petites choses me chagrinent à l’écoute de ce deuxième album. Il s’agit des titres "Sycomore" et "Merging Within Nothingness" qui font respectivement office d’introduction et de conclusion et qui me passent complètement au-dessus. Deux courtes compositions acoustiques et instrumentales dont les riffs et le déroulé m’ennuient profondément et que je ne trouvent absolument pas intéressantes... Alors heureusement cela n’a pas vraiment d’incidence sur la qualité globale de
II mais il est toujours dommage d’ouvrir et de clôturer un album sur deux compositions aussi peu captivantes.
Au delà de ces deux irritants, Epitaphe nous régale une fois de plus de son Death / Doom funéraire et progressif dont la particularité est de chercher à brouiller les pistes en empruntant de nombreux détours et autres chemins de traverse. Car si l’étiquette donnée deux lignes plus haut colle effectivement à la peau du trio pour tout un tas de raisons évidentes, le groupe prend néanmoins un malin plaisir à s’épanouir à travers d’autres sonorités extrêmement variées. Pink Floyd et King Crimson jouent ainsi un rôle évident dans l’approche progressive, mélodique et texturée qui qualifie en partie la musique d’Epitaphe (cette manière qu’à le groupe de prendre son temps, de développer ses idées, d’y amener différentes sonorités par le biais d’un jeu feutré et tout en nuances...). Des liens de parentés dilués à travers une approche souvent plus agressive qui le lie également aux Norvégiens d’Enslaved grâce à cette union subtile de séquences directes et de mélodies célestes et particulièrement chargées en émotions ("Celestial" entre 0:40 et 8:26, "Melancholia" entre 5:26 et 10:54, "Insignificant" entre 13:48 jusqu’à cette conclusion à 18:38). C’est même encore un petit peu plus flagrant sur ces passages où PB délaisse le growl pour du chant clair déclamé et prophétique à l’image de ce que l’on peut entendre sur "Celestial" à 1:39 ou 3:08 ainsi que sur "Melancholia" à 8:28. On trouve même parfois une pointe de Jazz, notamment dans certains patterns de batterie qui renvoient à une manière très particulière (vive et dynamique) de jouer avec les toms (les premières secondes de "Melancholia" constituent à ce titre un bon exemple).
Lorsqu’il ne fricote pas aussi ouvertement avec la bande à Grutle, Epitaphe délivre un Death Metal organique, intense et complexe dont la densité et le caractère particulièrement chaotique rappelle des formations comme Abyssal, Antediluvian, Portal, Mitochondrion, Impetuous Ritual ou Malthusian dans une version cependant moins dense et étouffante. Lors de ces moments ("Celestial" à 8:27, "Melancholia" à 1:11, "Insignificant" à 9:16), les Français délaissent toute notion de subtilité pour s’engouffrer dans la brèche d’une musique viscérale servant alors de véritable exutoire, autant pour les trois musiciens d’Epitaphe que pour ses auditeurs qui apprécieront de se faire secouer de la sorte à coups de riffs tendus, chaotiques et parfois même un brin dissonants, de blasts épileptiques dispensés par le biais d’une batterie au son particulièrement naturelle (et c’est appréciable) et de lignes de chants profondes et caverneuses. Bref, dans ces moments-là, les Français ne font pas semblant ce qui, vous l’aurez compris, permets d’apporter du relief à des compositions qui n’en manquent pas.
J’aurai pu évidemment rentrer davantage dans le détails de chaque composition, vous parler du soin accordé aux mélodies, du sens du détail qui anime la formation à travers par exemple l’usage de nappes de synthétiseurs discrètes mais souvent présentes, de son envie de toucher à tout et de nous sortir de notre zone de confort (l’utilisation de ce saxophone sur "Melancholia" est une belle surprise) mais je crois que c’est à l’auditeur de se faire une idée exacte de ce que lui réserve Epitaphe et surtout de faire l’effort de parvenir à en saisir les nombreuses nuances et autres subtilités dispensées tout au long de ces soixante-deux minutes pour à son tour y céder et y succomber. Certes, à l’image de son prédécesseur,
II n’est pas un album facile à appréhender et il vous demandera assurément un peu de temps, quelques écoutes et pas mal de votre disponibilité pour être apprécié à sa juste valeur mais comme souvent dans ce genre de cas, le jeu en vaut la chandelle. J’aurai aimé ne pas autant buter sur ces deux titres servant ici de préambule et de conclusion mais pour le reste, voilà du très bel ouvrage de la part d’un Epitaphe désormais en pleine maitrise de ses moyens.
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