"Inarrêtables", c’est probablement avec le mot "talentueux" ce qui caractérise le mieux les deux hommes derrière Ateiggär. En effet, si jamais vous aviez loupé le train en marche, je vous rappelle à toute fin utile que la formation helvétique est composée par Fauth Temenkeel et Fauth Lantav tous les deux également impliqués dans de nombreux autres projets particulièrement excitants tels qu’Ungfell, Kvelgeyst, Lykhaeon et Arkhaaik. Cinq groupes qui n’ont justement pas chômés ces dernières années puisqu’on leur doit effectivement tout un tas de sorties toutes plus recommandables les unes que les autres. Parmi elles, le premier album d’Ateiggär paru en octobre 2022 chez Eisenwald.
À cette occasion, le label allemand n’a pas failli à sa réputation en proposant une fois encore des éditions particulièrement soignées, notamment cette version CD proposée sous la forme d’un digipack d’une élégante sobriété sublimé néanmoins par de très belles dorures à chaud. Une édition « augmentée » puisqu’elle embarque avec elle sur un deuxième CD l’intégralité des titres du EP
Us D'r Höll Chunnt Nume Zyt paru en 2019 et disponible jusque-là au seul format vinyle. Une aubaine pour tous ceux qui comme moi pestaient de ne pas pouvoir disposer de ces compositions au format CD.
Côte production, les Suisses conservent une fois encore la main sur l’enregistrement de ces sept nouvelles compositions mais laissent le mixage à leur copain Karapan Darvish (Dakhma, Hadopelagyal, Kvelgeyst, Pale Spektre, Ungfell...) et le mastering à sieur Greg Chandler (Ataraxy, Esoteric, Fluisteraars, Qrixkuor...). Ces derniers, en homme d’expérience, signent une production méticuleuse et soignée à la hauteur des ambitions majestueuses et raffinées d’un Ateiggär plus noble et solennel que jamais.
De la même manière que
Us D'r Höll Chunnt Nume Zyt nous racontait une histoire,
Tyrannemord va s’intéresser à l’assassinat en l’an 820 de l’empereur byzantin Léon V l’Arménien dont les détails s’avèrent dignes d’un véritable film d’horreur. En effet, Wikipedia nous informe que :
"Son corps est démembré et décapité avant d'être emmené dans l'Hippodrome pour être écorché. Ce qu'il en reste est mis dans un navire avec sa femme et ses enfants en direction des îles des Princes, lieu de relégation traditionnel des membres d'une famille impériale déchue. Sa femme est contrainte de devenir nonne et ses enfants, tout comme ceux de Michel Ier, sont castrés pour les rendre inaptes à la fonction impériale". Oui, on savait vivre et punir à l’époque... Une plongée dans l’histoire mise en musique sous la forme d’un Black Metal épique et majestueux de très haut rang.
En effet, comme sur
Us D'r Höll Chunnt Nume Zyt, les titres de ce premier album brillent par leur richesse instrumentale, structurelle et dynamique. En effet, même si Ateiggär puise l’essentiel de son inspiration du côté de la scène norvégienne du début des années 90 (Satyricon et Kvist en tête, Emperor dans leur sillage), celui-ci a toujours cherché non pas à se détacher de ses influences mais plutôt à y amener sa petite touche personnelle afin de faire de cet exercice un hommage vibrant plutôt qu’un plagiat éhonté. Outre ces caractéristiques propres au Black Metal sur lesquelles je reviendrai un petit peu plus bas,
Tyrannemord brille également par son instrumentation étoffée et ses nombreux arrangements qui tout au long de ces quarante-quatre minutes vont lui conférer une aura à la fois grandiose, élégante et majestueuse. À ce titre, il convient encore de rendre grâce au travail exceptionnel de Fauth Temenkeel qui, sans jamais verser dans le pompeux ou le désuet, va nourrir ces compositions d’une puissante aura imprégnée de cette déférence que l’on peut exprimer à l’égard de grandes figures historiques. Des éléments nombreux et variés (petites touches de piano, nappes synthétiques, voix solennelles et lointaines, cuivres et percussions cérémonieux, guitare acoustique, cloches, samples divers...) intelligemment intégrés (ces derniers ne prennent jamais le pas sur la musique) qui vont ainsi largement contribuer à la beauté et la grandeur de ce Black Metal particulièrement inspiré. Saluons également la multitude de voix dont le monsieur fait preuve tout au long de l’album. Déclamé, hurlé, growlé, mélodique... Autant de traits que son chant va revêtir selon les moments et qui là encore vont contribuer à la richesse et à la profondeur de cette formule.
Pour le reste, c’est toujours bon train que les deux Suisses mènent leur barque avec de nombreuses séquences menées pied au plancher (de chouettes successions de trémolo mêlées à de franches cavalcades et autres rasades de blasts) mais également pas mal de contrepoints aux tempos naturellement plus modérés. Une variété dynamique particulièrement plaisante puisqu’elle apporte beaucoup de nuances et de subtilités à des compositions qui à l’exception de "De Dunkli Ort" s’étirent à chaque fois sur plus de six minutes. Une variété également entretenue par l’attention apportée aux mélodies. Un travail toujours aussi soigné entre fulgurances glaciales et impitoyables et séquences bien plus majestueuses et épiques. Bref, du travail d’orfèvre pour un résultat particulièrement prenant.
Après un
Us D'r Höll Chunnt Nume Zyt extrêmement prometteur, il ne faisait aucune doute qu’Ateiggär serait attendu au tournant. Loin de s’être planté avec ce premier album, le duo zurichois prouve à ceux qui en auraient douté qu’il en a sous le pied et que la multitude de projets dans lesquels ses membres sont impliqués n’est en aucun cas un frein à la pertinence de son propos. Car l’entité a beau prendre racine dans un genre ultra-balisé et maintes fois copié (qui plus est sujet à une forte résurgence ces dernières années), il faudrait franchement être de mauvaise foi (ou avoir vraiment mauvais goût) pour ne pas succomber aux charmes élégants et racés de ce Black Metal symphonique et mélodique de haute volée. Alors oui, je sais, j’arrive peut-être un peu tard pour vous parler d’un album qui aurait malheureusement mérité sa place au bilan de fin d’année 2022 mais qui sait, il y en a sûrement parmi vous qui n’ont encore jamais posé leurs oreilles sur le Black Metal d’Ateiggär et qui pourtant possèdent toutes les prédispositions pour en apprécier les multiples saveurs. Bref, comme on dit, mieux vaut tard que jamais.
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