Profitant comme tant d’autres de l’énorme succès artistique et médiatique rencontré par ceux qui se sont rapidement imposés comme les plus grands ténors de la scène Rock Alternative autrement baptisée "Grunge" (Nirvana, Pearl Jam, Alice In Chains et Soundgarden), les Californiennes de L7 ne seront pas sans susciter l’intérêt des grandes maisons de disques qui, attirées par la promesse d’un profit facile, auront à n’en point douter passé quelques nuits blanches à éplucher les catalogues de Sub Pop et C/Z Records (deux labels incontournables de Seattle à qui l’on doit en grande partie la naissance de ce phénomène ayant marqué la première moitié des années 90) en quête d’une pépite capable de leur rapporter gros.
Le cas des turbulentes demoiselles de L7 est néanmoins un petit peu différent dans la mesure où Slash Records, fondé à Los Angeles en 1978 par Bob Biggs, est longtemps resté indépendant (on lui doit dans ses premières années les signatures de groupes tels que Fear, The Germs, X ou bien encore Violent Femmes) avant d’être rattaché dès 1996 au label London Records alors propriété d’Universal Music Group. Une structure à l’esprit résolument Punk mais jouissant néanmoins depuis le début des années 80 d’une distribution bien plus large que n’importe quel autre label indépendant grâce au réseau de Warner Bros. avec qui celui-ci était alors en contrat. Bref, l’endroit idéal pour un groupe aussi déglingué que L7 passé jusque-là entre les mains d’Epitaph et de Sub Pop Records et bien décidé lui aussi à conquérir le monde entier.
Après avoir collaboré avec Brett Gurewitz (Bad Religion, NOFX, Rancid, No Use For A Name, Samiam...) et Jack Endino (véritable figure emblématique de la scène alternative de Seattle ayant notamment travaillé pour des groupes tels que Green River, Soundgarden, Mudhoney, Skin Yard, Nirvana, Screaming Trees...), L7 va pour ce deuxième album faire le choix d’embarquer monsieur Butch Vig (Killdozer, Bastards, Tad, Nirvana, The Smashing Pumpkins, Garbage...). Enregistré entre Los Angeles et la petite ville de Madison, Wisconsin,
Bricks Are Heavy jouit encore aujourd’hui d’une production particulièrement abrasive qui sied à la perfection à cette mixture offerte par les Californiennes. Un son âpre et brut qui retranscrit parfaitement l’énergie Punk de L7 tout comme son côté déglingué et bordélique.
Considéré à juste titre comme l’album le plus essentiel de la discographie des Californiennes,
Bricks Are Heavy est effectivement un concentré du meilleur de L7, le témoin d’une époque aujourd’hui révolue et le fruit de circonstances propices à son intemporalité. Sorti en avril 1992, celui-ci marche à grandes enjambées dans les pas des deux précédentes réalisations de la formation et notamment de l’excellent
Smell The Magic paru deux ans plus tôt. Turbulentes mais pas forcément téméraires, les quatre demoiselles n’ont en effet jamais eu l’intention de s’aventurer en terres inconnues et encore moins de changer leur fusil d’épaule. On va donc retrouver tout au long de ces trente-sept minutes tout ce qui faisait déjà le charme des Californiennes auparavant même si le groupe en a tout de même profité pour affiner un petit peu sa recette.
Située à la croisée des chemins entre Punk Rock (avec toujours ces petites touches de Rockabilly et de Surf Music dispensées le temps de quelques accords ou d’un bref solo), Metal et musique Pop (au sens noble du terme), la formule proposée par L7 a très vite été associée au mouvement "Grunge" de par son caractère un brin fourre-tout et son esthétique générale à la fois foutraque, bruyante et tape à l’œil. Si la production de Butch Vig n’est évidemment pas étrangère au succès de ce deuxième album (guitares bien épaisses, batterie dépouillée, beaucoup de grain...), il ne faudrait pas oublier non plus le caractère particulièrement instantané de ces compositions jamais bien compliquées mais surtout ô combien entêtantes. C’est là, en partie, que L7 réussit à tirer son épingle du jeu, grâce à des titres fédérateurs qui rentrent immédiatement dans la tête, à des refrains qui ne vous lâchent pas et continuent trente-deux ans plus tard de résonner dans un coin de votre caboche… Un caractère définitivement Pop qui rend la musique des filles particulièrement attachante et leur permet d’enchaîner les tubes avec succès. De "Wargasm" à "Pretend We’re Dead" en passant par "Everglade", "Slide", "One More Thing", "Monster", "Shitlist" ou bien encore "This Ain't Pleasure",
Bricks Are Heavy enquille en effet les hymnes acerbes et féministes que l’on ne manquera pas de scander avec l’assurance d’être aussi convaincant que l’une de ces quatre demoiselles.
Moins "tout feu, tout flamme" que
L7 ou
Smell The Magic,
Bricks Are Heavy est l’expression d’un groupe souhaitant quelque peu lever le pied et rendre son propos plus harmonieux sans bien évidemment trahir ni son identité ni ses racines. En effet, bien qu’ils conservent une dynamique évidente, on peut tout de même constater que les morceaux se font dans l’ensemble plus posés. On va ainsi retrouver davantage de ces mid-tempos entêtants sur lesquels dodeliner gentiment de la tête ("Wargasm", "Scrap", "Pretend We're Dead", "Diet Pill", "Everglade", "One More Thing"...) et moins de ces brûlots Punk déglingués menés pied au plancher ("Slide", "This Ain't Pleasure"). Une baisse de régime et d’intensité (même les solos se font désormais bien moins foutraques qu’auparavant) qui cependant ne lui est pas véritablement préjudiciable même si on imagine bien que certains pisse-vinaigres ont dû à l’époque crier au scandale... Car difficile malgré tout de ne pas tomber une fois de plus sous le charme de ces hymnes Punk / Alternatifs aussi délicieux qu’abrasifs ou de ces voix douces et féroces à la fois, nasillardes et revêches aussi...
Deuxième album aux atours un poil plus bordés que ses prédécesseurs,
Bricks Are Heavy s’est rapidement imposé comme le meilleur album de L7. Un statut qui bien entendu n’est pas lié uniquement à ses qualités intrinsèques relativement nombreuses mais également au contexte dans lequel celui-ci est paru. Sorti quelques mois seulement après
Nevermind,
Ten ou bien encore
Badmotorfinger, le deuxième album des Californiennes a en effet profité largement de l’intérêt porté par les médias mais également par le public à cette déferlante venue de Seattle. Matraqués ici en France (Best Of Trash) et un petit peu partout dans le monde (notamment sur MTV), ces trois singles que sont "Pretend We’re Dead", "Monster" et "Everglade" ont tous largement contribués à l’essor des Américaines dans les sphères dites "alternatives" en collant bien évidemment à l’esprit créatif du moment mais également en insufflant quelque chose de frais. Déjà parce que L7 est un groupe exclusivement féminin. Ensuite parce que ces femmes n'ont jamais hésité à prendre leur place et à faire du bruit pour y parvenir quitte à se faire remarquer et même un peu plus encore (je vous laisse regarder sur YouTube leur prestation « sanguinolente » à Reeding en 1992 ou bien encore leur passage la même année dans l’émission The Word de Channel 4...). Aussi parce que leur musique, même si on peut lui apposer cette étiquette Grunge un brin fourre-tout, s’avère avec ses influences Punk évidentes bien différente de ce que tous ces autres groupes ont pu apporter à la même époque. Enfin parce que ces filles ont toujours su insuffler un vent de liberté, de légèreté et de folie déglinguée à leur musique là où beaucoup d’autres groupes préféraient dévoiler des visages soit plus sérieux, soit plus sombres, soit plus torturés... Bref, moins fédérateur et emblématique que ces albums cités plus haut,
Bricks Are Heavy n’en reste pas moins un indispensable de l’époque et un disque qui encore aujourd’hui n’a rien perdu de sa superbe.
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