Si pour les fans de Pearl Jam l’entrée dans ce nouveau millénaire aura été marquée par la sortie du très bon
Binaural, l’année 2000 restera néanmoins à jamais gravé dans la mémoire des membres du groupe par la tragédie du Roskilde Festival. Tenu au Danemark depuis le début des années 70, cette édition aura malheureusement été entachée par le décès de neuf festivaliers (et plus d’une vingtaine de blessés) à la suite d’un terrible mouvement de foule. Un évènement qui pèsera lourdement sur la conscience des Américains qui à l’époque se sont même demandés s’il était toujours pertinent de continuer cette aventure...
De retour aux Etats-Unis, Pearl Jam choisira pourtant de remonter sur les planches quelques mois plus tard le temps d’une tournée américaine qui leur permettra de mettre les choses en perspective et ainsi aller de l’avant. Pour autant, le besoin d’un break se fait à l’époque clairement ressentir. Le groupe passera ainsi l’année suivante au vert, chacun vacant à ses occupations tout en prenant le temps de composer pour la suite. C’est ainsi au début de l’année 2002 que Pearl Jam va se retrouver aux Studios X de Seattle pour deux sessions d’enregistrement chapeautées par le producteur Adam Kasper amené à collaborer avec la formation suite aux recommandations de Matt Cameron avec qui il avait déjà travaillé sur certains albums de Soundgarden et The Wellwater Conspiracy. Ne souhaitant pas reproduire les mêmes erreurs que pour
Binaural, le groupe fera directement appel aux services de Brendan O’Brien pour le mixage de ces quinze nouveaux titres. Le résultat est un album au son naturel, plutôt abrasif et une fois de plus bien équilibré.
Paru en novembre de la même année, la sortie du bien nommé
Riot Act s’inscrit dans un contexte particulier, celui de l’après Roskilde Festival mais également celui d’une Amérique meurtrie par les attentats du 11 septembre 2001, par une politique intérieure et extérieure particulièrement intrusive, agressive et vengeresse et par un patriotisme aveugle et nauséabond. Si le groupe n’a jamais eu sa langue dans sa poche, ce septième album sera donc l’occasion pour Pearl Jam d’élever sa voix, d’exorciser certains démons ("Love Boat Captain" qui par cette phrase -
Lost nine friends we'll never know... two years ago today - fait directement référence aux évènements survenus au Danemark), de prendre ouvertement position sur des sujets de société qui le touche ("Green Disease", "Help Help", "½ Full" ou ce fameux "Bu$h Leager" qui vaudra d’ailleurs à Vedder quelques huées en concerts comme on peut le voir sur le DVD Pearl Jam Twenty) et surtout de répandre beaucoup d’amour dans un monde qui en a effectivement bien besoin ("Save You", "Love Boat Captain", "Ghost", "I Am Mine", "You Are", "Get Right"...).
Contrairement à ce que l’on pourrait légitimement penser,
Riot Act n’est pas la suite directe de
Binaural mais s’inscrit plutôt dans la continuité d’albums tels que
Vitalogy et
No Code). Relativement complexe et assurément varié, celui qui baigne dans une atmosphère plutôt sombre (rien d’étonnant à cela étant donné le contexte), dégage de manière paradoxale quelque chose de particulièrement optimiste. Peut-être qu’écrire les paroles de cet album avec tous ces évènements en tête à donné envie à Eddie Vedder d’aborder les choses d’une manière plus positive sans pour autant chercher à les édulcorer ? Un acte contestataire passant davantage par la réflexion et l’introspection que par la mise à sac, les slogans scandés aveuglément et les gesticulations expiatoires. Quoi qu’il en soit, en choisissant de laisser de côté cette énergie Punk que l’on retrouvait régulièrement sur la plupart de ses prédécesseurs ainsi que ces grands élans mélodiques symbolisés le plus souvent par les solos particulièrement inspirés de Mike McCready (qui comme l’attestent "Love Boat Captain", "½ Full" ou "All Or None" est pourtant loin de démériter), le groupe donne à travers ces quinze nouvelles compositions le sentiment de passer à l’âge adulte (les cheveux désormais courts d'Eddie Vedder, les lunettes de Stone Gossard ou l'embonpoint passager de Mike McCready n'y sont peut-être pas étranger non plus). Certes, il y a effectivement moins d’intensité dans la manière dont s’exprime Pearl Jam mais le propos n’en reste pas moins fort et pertinent.
À sa manière donc et même si pour le coup Pearl Jam a effectivement calmé le jeu, ce
Riot Act propose une fois de plus un mélange toujours aussi réussi et efficace de titres relativement directs ("Save You" qui marque les débuts de cette collaboration entre Boom Gaspar (claviers) et Pearl Jam, "Love Boat Captain", "Ghost", "Get Right", "Green Disease") et de ballades Rock plus nuancées dont les sonorités Folk et Americana (et même Blues pour "½ Full") toujours aussi évidentes ("Can’t Keep", "Cropduster", "I Am Mine", "Thumbing My Way", "All Or None") attestent encore une fois de tout l’héritage laissé par Neil Young. Enfin, on trouve également quelques compositions plus expérimentales comme par exemple ce "Bu$hleaguer" sur lequel Vedder de sa voix chaude et posée, comme s’il taillait directement le bout de gras avec l’auditeur, va tirer à balle réelle sur ce bon vieux George W. Bush, "Arc" en forme d’interlude transcendantal où le même Eddie Vedder, à travers de grandes inspirations vocales, va tout simplement communier avec ces neuf âmes perdues et puis cet excellent "You Are", un titre surprenant dont la dynamique entêtante, presque dansante, et les guitares tortueuses et truffées d’effets lui confèrent quelque chose de terriblement addictif et moderne à la fois. Bref,
Riot Act atteste une fois encore de tout le talent d’un Pearl Jam capable de varier les genres tout en restant extrêmement cohérent pendant près de cinquante-cinq minutes.
Après douze années de carrière particulièrement intenses et mouvementées faites de hauts et de bas, de pleurs et de rires, de colères et de joies, de succès et de déconvenues, Pearl Jam prouve ici d’une bien belle manière qu’il a toujours quelque chose à dire et que ce quelque chose à surtout énormément de sens, pour lui d’abord mais également pour ses auditeurs toujours présents malgré les années qui passent et les modes qui vont et viennent. Passer de porte-étendard fougueux d’un mouvement Grunge monté de toute pièce par des médias en quête de buzz à "simple" groupe de Rock ayant su garder les pieds sur Terre n’a semble-t-il posé aucun problème pour la formation de Seattle - somme d’individualités toujours aussi marquées et plus solide que jamais - qui brille ici par son talent pure et une capacité évidente à fédérer. Sorti au début des années 2000,
Riot Act n’est pas l’album le plus remarquable de la discographie des Américains mais il n’en reste pas moins une oeuvre superbe et particulièrement maitrisée dont on retiendra la pertinence du propos, la prestation habitée d’un Eddie Vedder en très grande forme et la variété de compositions en apparence toutes simples mais pourtant tellement riches et exécutées avec feeling. En attendant, si jamais il fallait une fois encore vous le répéter, voici une nouvelle fois la preuve que la carrière de Pearl Jam ne se résume pas à ses trois/quatre premiers albums.
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