C’est en cherchant par quel bout entamer cette nouvelle chronique de Pearl Jam que je me suis rendu compte à quel point Jack Irons avait joué un rôle particulièrement important dans la construction du groupe et de son succès. Si effectivement c’est lui qui a permis de mettre le jeune et talentueux Eddie Vedder sur le chemin de ce qui n’était à l’époque qu’un groupe de trois copains en cruel manque d’effectif, la formation de Seattle lui doit également une petite partie de son succès. Éclipsé par la sortie du fameux
Nevermind de Nirvana, il aura fallu plusieurs mois pour que
Ten deviennent à son tour un incontournable de la scène Rock alternative des années 90. Pourtant, on ne peut pas dire que Pearl Jam ait manqué d’engagement, écumant dès la sortie de ce premier album toutes les scènes de son pays avec l’énergie, l’abnégation et la conviction que l’on peut avoir à cet âge-là. Malheureusement, cela ne suffit pas toujours à faire la différence.
C’est donc ici que Jack Irons va à nouveau jouer son rôle d’entremetteur. S’il a déjà quitté les Red Hot Chili Peppers depuis un moment, il va néanmoins suggérer à ses anciens camarades de jeu d’embarquer avec eux le groupe de Seattle pour une tournée américaine accompagnant la sortie de
Blood Sugar Sex Magik. Une série de dates incroyables puisque Nirvana et The Smashing Pumpkins seront également de la partie (enfin partiellement puisque le premier, suggéré par des promoteurs souhaitant voir Pearl Jam quitter la tournée au profit d’un groupe au succès plus retentissant, finira par remplacer le second sur la dernière partie de la tournée après que Billy Corgan ait refusé de partager l’affiche avec le nouveau mec (Kurt Cobain) de son ex (Courtney Love)...). Bien loin de toutes ces histoires de cœur et d'égo, Eddie Vedder et ses petits copains profiteront de cette exposition inespérée pour convaincre un public évidemment beaucoup plus large ainsi que quelques radios qui, jusque-là frileuses, ne manqueront pas de s’engouffrer dans la brèche à coups de "Alive", "Even Flow" et autre "Jeremy". Fort de ce succès grandissant, Pearl Jam continuera à tourner avec acharnement pendant encore quelques mois. D'abord aux Etats-Unis mais aussi en Europe où il jouit également d’une excellente réputation. Ce dévouement, s’il laissera le groupe sur les rotules, sera récompensé de manière symbolique en février 1993, date à laquelle les ventes de
Ten finiront par dépasser sur le sol américain celles de
Nevermind qui l’avait tantôt dissimulé au plus grand nombre...
Malheureusement, ce statut d’icône du Rock alternatif fraîchement acquit va s’accompagner de quelques inconvénients auxquels il semble difficile de se soustraire. Le plus évident est assurément cette pression que les membres du groupe vont se mettre inconsciemment ou non sur les épaules. Bien entendu, tous ne vont pas la vivre de la même façon à commencer par Dave Abbruzzese (arrivé dans les rangs de la formation après la défection de Dave Krusen en août 1991) vraisemblablement ravi de son séjour à The Site, un studio d’enregistrement situé à quelques kilomètres au nord de San Francisco). A l’inverse, Eddie Vedder va devoir faire face à une période pour le moins compliquée, reprochant notamment à ces lieux d’être beaucoup trop confortables pour réussir à en tirer quoi que ce soit. En grande difficulté dans l’écriture de ses paroles, le jeune homme préférera alors prendre la route au volant de sa voiture, préférant dans une quête d’authenticité s’éloigner de tout ce superflu dans l’espoir de retrouver l’inspiration perdue.
Chapeauté par un Brendan O'Brien alors très en vue (on lui doit notamment les productions de Rage Against The Machine, The Black Crowes, Stone Temple Pilot ou Red Hot Chili Peppers), Pearl Jam finira malgré les difficultés évoquées plus haut par accoucher d’un album particulièrement satisfaisant et cela à bien des égards. D'abord pour le groupe qui pour le coup semble particulièrement content de cette production et de son expérience avec monsieur O'Brien. Il faut dire que celui-ci s’est montré à l’écoute tout en apportant son savoir-faire et son expertise de producteur mais également de musicien. Le résultat, finalement bien loin du côté limpide et cristallin de son prédécesseur, va apporter à la musique de Pearl Jam cette animalité (justement très bien représentée par cette photo illustrant
Vs. signée Jeff Ament) et cette intensité que le groupe s’efforce de transmettre sur les planches. Dès l’entame du bien nommé "Go", les choses sont d’ailleurs extrêmement claires : des guitares avec du grain, une basse métallique aux rondeurs absolument délicieuses, une batterie naturelle à la caisse claire claquante (Dave Abbruzzese a clairement apporté une dynamique supplémentaire à la musique de Pearl Jam) et un rendu finalement très brut et beaucoup plus direct (en tout cas pour un disque de ce calibre) qui va faire de
Vs. un album bien plus rugueux et sauvage que son prédécesseur.
Si le groupe est donc plutôt satisfait de son expérience en studio et surtout du résultat final, il en va de même du public qui répondra largement présent dès les premières semaines de la sortie de l’album (quasiment un million d’exemplaires vendus en seulement cinq jours !). Mais au-delà de ces chiffres qui finalement importent peu pour juger de la qualité d’un album, il faut bien se rendre à l’évidence,
Vs. (baptisé initialement
Five Against One) est tout simplement un excellent album. Déjà pour cette production mais aussi parce qu’il est le reflet d’un groupe toujours aussi à l’aise (malgré les difficultés rencontrées), capable d’aller de l’avant et d’explorer de nouvelles sonorités tout en conservant sa pertinence, son énergie et sa personnalité. Il n’y a qu’à voir toutes ces petites touches funky disséminées tout au long de l’album (l’entame du refrain sur l’excellent "Animal", ces guitares qui cocotent sur "Blood", "Rats" et sa basse proéminente (quoi de plus normal pour un titre composé par Jeff Ament ?) et d’une manière plus générale ce groove pour le moins irrésistible) et ces quelques sonorités presque tribales (la batterie tentaculaire d’Abbruzzese et les "Ouh ha" lointains de "W.M.A.") pour se rendre compte à quel point Pearl Jam a su retourner cette pression qui reposait sur ses épaules pour en faire quelque chose d’absolument unique.
Pour autant, au-delà de ce mélange d’influences et de sonorités nouvelles, on retrouve le Pearl Jam "bigger than life" que nous avions quitté deux ans auparavant avec ces hymnes Rock fédérateurs et ces compositions a priori "faciles" et "évidentes" et pourtant débordantes de détails et autres subtilités en tout genre. Comment ne pas s’enthousiasmer une fois de plus face au jeu d’un Mike McCready impeccable dont les solos possèdent ce délicieux feeling mélodique seventies ("Go" à 1:45, "Animal" à 1:49, "Glorified G" à 2:35, "Leash" à 2:36...) ? Comment ne pas se remplir de cette énergie presque Punk que le groupe distille ici et là le temps de quelques morceaux bien sentis ("Go", "Animal", "Blood", "Rearviewmirror", "Leash") ? Comment ne pas vibrer et s’émouvoir lorsque le groupe calme le jeu à coup de ballades acoustiques poignantes (les excellents "Daughter" et "Elderly Woman Behind The Counter In A Small Town" ou encore ce "Indifference" très aérien et tout en retenu en guise de clôture) ? Comment ne pas se régaler de ces mélodies à vous hérisser le poil ("Daughter", "Glorified G", "Dissident", "Elderly Woman Behind The Counter In A Small Town", "Leash"...) ? Comment ne pas se sentir touché d’une manière ou d’une autre par ce qu’écrit et chante de sa voix vibrante un Eddie Vedder toujours aussi sincère et émouvant ? Autant de questions pour lesquelles la seule réponse attendue est évidemment : "impossible !" et qui, une fois de plus, attestent autant de l’excellence que de la singularité de Pearl Jam au sein d’une scène alternative pourtant marquée de très fortes individualités.
En dépit des obstacles qu’il a pu trouver sur son chemin, le groupe de Seattle s’est montré largement à la hauteur des attentes, que ce soit celles des cadres d’Epic Records qui, bien que le groupe se soit refusé à faire ne serait-ce qu'un seul clip vidéo pour promouvoir son nouvel album, n’ont pas eu à attendre longtemps avant de faire un retour sur investissement (plus de 950000 exemplaires de
Vs. écoulés en seulement cinq jours. Un record qui aura tout de même tenu quelques années) mais aussi et surtout celles des fans qui, non-content de retrouver sur disque l’un de leur groupe fétiche, auront dès lors toute la satisfaction de se délecter à nouveau de compositions toujours aussi flamboyantes et fédératrices pour un album qui, à l’image de son prédécesseur, n’a finalement pas pris une ride et continuera de faire référence dans les décennies à venir.
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