Réglé comme du papier à musique, Pearl Jam signera son entrée dans les années 2000 avec la sortie d’un sixième album intitulé
Binaural. À bien des égards celui-ci marque pour le groupe de Seattle le passage à une nouvelle ère puisqu’au-delà de cet exploit qui est d’avoir survécu aux années 90 (dès fois que ça aurait un peu de mal à rentrer, je vous rappelle qu’Alice In Chains, Nirvana et Soundgarden ne sont à ce stade plus de la partie et que The Smashing Pumpkins s’apprête à tirer sa révérence), on note effectivement quelques changements de taille. Le premier est l’intronisation officielle de Matt Cameron (ex-Soundgarden) dans les rangs de la formation. Présent derrière les fûts depuis le départ de Jack Irons en 1998,
Binaural est néanmoins le premier album qu’il enregistrera en compagnie du groupe. L’autre grande nouveauté est le choix de Pearl Jam de ne pas faire appel aux services du producteur Brendan O’Brien. À la place, les Américains choisiront d’embaucher Tchad Blake (Elvis Costello, Peter Gabriel, Tom Waits, U2, Fiona Apple, Fishbone...), déjà pour voir si l’herbe est plus verte ailleurs mais surtout pour s’essayer à de nouvelles choses comme notamment la technique de l’enregistrement binaural que maîtrise plutôt bien ce bon monsieur (technique d’enregistrement garantissant une restitution en trois dimensions ainsi qu’une spatialisation sensée être identique à ce que peut capter l’oreille humaine). Pas rancunier, Brendan O’Brien fera cependant son retour pour le mixage, Pearl Jam ayant été finalement assez peu satisfait du travail de Tchad Blake sur certains titres de l’album que le groupe souhaitait plus "lourds". Enfin, pour en finir avec les présentations d’usage, sachez que l’artwork représente une photo de la nébuleuse du sablier prise par le télescope Hubble en 1996. Un choix vraisemblablement justifié par l’atmosphère de l’album et le fait que face à l’immensité de l’univers nous ne sommes en fin de compte que bien peu grand chose.
Enregistré entre 1999 et 2000 au Litho Studio de Seattle,
Binaural s’offre ici une production beaucoup moins abrasive que pour
No Code ou
Yield. Habitué des productions léchées, Tchad Blake va effectivement donner à ce sixième album une couleur bien différente de celle de ses prédécesseurs avec un côté toujours très naturel et très Rock mais cette fois-ci bien plus propre et cristallin. D’une certaine manière, le travail effectué sur ce sixième album se rapproche de ce qui a été fait à l’époque par Rick Parashar sur
Ten. Tout y est extrêmement limpide avec un côté chaud, cosy et particulièrement agréable. Une production au service de chaque instrument et notamment de cette basse ronde et vibrante qui n’a peut-être jamais aussi bien sonnée que sur cet album. D’ailleurs, peut-être que cette fameuse technique de l’enregistrement binaural y est pour quelque chose (la question peut légitimement se poser à l’écoute de titres comme "Nothing As It Seems", "Light Years" ou "Of The Girl" où le son est effectivement très organique et immersif) ? En attendant, si
Binaural semble effectivement avoir moins de caractère que ses aînés, il faut bien avouer que l’on s’y sent particulièrement bien. Une production raffinée et tout en sobriété pour un groupe définitivement entré dans l’âge adulte.
Pourtant, à en juger par les trois premiers titres, on pourrait croire que Pearl Jam tente d’une certaine manière de renouer avec ses plus jeunes années. De "Breakerfall" à "God’s Dice" en passant par ce "Evacutation" composé par Matt Cameron dont on reconnait immédiatement la patte, tous s’inscrivent dans une catégorie de morceaux plutôt directs et entrainants. Certes, on sent bien que l’intensité et l’énergie ne sont plus tout à fait les mêmes qu’il y a une petite dizaine d’années mais la volonté du groupe de ne pas tirer un trait sur son passé et ses racines reste néanmoins toujours bien vivante.
Après cette entrée en matière rythmée, Pearl Jam va néanmoins calmer le jeu significativement à coup de titres électro-acoustiques sombres et mélancoliques porteur d’atmosphères délicieusement feutrées. Certes, la transition pourra sembler un peu difficile à avaler après un tel début mais cette baisse de régime ne fait que mettre en lumière l’un des principaux atouts de Pearl Jam, celui d’être avant toute chose un excellent groupe de Rock que ce soit sur le terrain de compositions débordantes d’énergie faites pour transpirer ou celui de titres plus introspectifs et touchants. Digne héritiers de ces formations iconiques qui ont marqué la jeunesse de chacun des membres du groupe (de Led Zeppelin à The Who en passant par Neil Young ou Lynyrd Skynyrd), Pearl Jam continue à l’aube de cette nouvelle décennie de s’affranchir de ces carcans dans lesquels on l’a gentiment placé au début des années 90 avec l’effervescence de la scène alternative. Si "Breakerfall", "God’s Dice" et "Evacutation" sont donc effectivement de très bons morceaux, ce ne sont finalement peut-être pas eux que l’on retiendra à l’issu de ces cinquante deux minutes. On leur préfèrera sûrement des compositions certes plus posées et moins immédiates mais aussi plus riches et marquantes telles que la troublée et troublante "Nothing As It Seems" avec notamment un Mike McCready en très grand forme (sans parler de ces délicieuses lignes de basse), ce "Thin Air" simple mais terriblement attachant, "Insignificance" ou "Sleight Of Hand" soufflant tous les deux à merveille le chaud et le froid, "Of The Girl", ses percussions entrainantes et son puissant feeling Americana/Blues/Folk, "Grievance" au dénouement intense et poignant ou encore ce "Rival" façon piano-bar du far-west avec là encore un Mike McCready fort inspiré. Finalement, il n’y a bien que "Soon Forget" qui pour le coup peine à me convaincre. Un titre au yukulele plutôt anecdotique que Vedder à écrit et composé alors qu’il faisait face à la panne de l’écrivain...
Malgré cette phase de transitions amorcée depuis plusieurs mois (le départ de Jack Irons, l’arrivée de Matt Cameron, le changement de producteur, les déboires de santé de Mike McCready parti en cure de désintoxication, le manque d’inspiration d’Eddie Vedder...),
Binaural s’avère être néanmoins un album particulièrement bien mené. Certes, il peut sembler manquer un peu d’homogénéité avec ces trois premiers titres par forcément très raccord avec le reste de l’album mais Pearl Jam a toujours aimé naviguer en eaux troubles, prenant ce qu’il y avait à prendre à gauche ou à droite dans ces genres qu’il affectionne tant. Par conséquent, si
Yield n’avait pas forcément fait l’unanimité à l’époque de sa sortie et même encore aujourd’hui, nombreux sont ceux qui s’accordent à dire que ce sixième album figure parmi les meilleurs du groupe de Seattle. Une position qui vaut ce qu’elle vaut mais qui suggère néanmoins qu’après dix ans de carrière, Pearl Jam continue de faire preuve d’une très grande pertinence.
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