En 1998 le monde entier à délaissé le Grunge au profit d’autres genres plébiscités bien souvent par des médias toujours en quête de nouvelles sensations sur lesquelles surfer. Il faut dire aussi que parmi les têtes de gondoles ayant contribué à son essor aux début des années 90, peu étaient encore de la partie. Nirvana bouffait les pissenlits par la racine depuis 1994 et le décès de Kurt Cobain, Layne Staley toujours en prise avec ses propres démons, forçait malheureusement Alice In Chains à cesser toutes activités après la sortie de son album éponyme en 1995. L’année suivante c’est Soundgarden qui annonçait sa séparation alors que de son côté The Smashing Pumpkins allait explorer d’autres sonorités en prenant un virage Goth/Electro qui marquerait la fin d’une époque pour bien des fans. Et puis il y a Pearl Jam l’indéboulonnable qui contre vents et marées continuait son petit bonhomme de chemin avec le soutient d’une fanbase particulièrement dévouée.
Intitulé
Yield, ce cinquième album semble de prime abord assez quelconque avec cette photo que l’on croirait avoir déjà servi de fond d’écran à Windows XP ou d’illustration à un Power Point pour cette réunion de deux heures calée juste après la pause déjeuner du vendredi... Évidemment il n’en est rien puisque cette photo a été prise dans le Montana par Jeff Ament quelque part sur la Highway 200 entre Lincoln et Great Falls. Mais au-delà de ce paysage évoquant les grands espaces américains, on y voit surtout (merci le trou dans l’artwork fait à cet effet) un panneau céder le passage (ou "yield" en anglais) à un endroit qui a priori n’a pas lieu d’être. Et c’est justement ce qu’a souhaité évoqué ici Pearl Jam, laissez passer ses angoisses, ses craintes, ses attentes et aborder ainsi les choses d’une manière plus légère et plus décontractée. Quand on sait à quel point les tensions ont été omniprésentes ces dernières années entre les membres du groupes, on imagine le soulagement que cela a pu être pour eux à l’heure d’aborder l’enregistrement de ce nouvel album.
Pas encore décidé à aller voir ailleurs (chose qui viendra avec l’album suivant), Pearl Jam fera appel pour la cinquième fois consécutive à l’expertise de Brendan O’Brien pour assurer la production de
Yield. Une production très proche de celle de
No Code pour sa nature directe, rugueuse et hyper naturelle. Enregistré cette fois-ci à Seattle, ce dernier est le fruit d’un effort collectif, Eddie Vedder ayant concédé à laisser beaucoup plus de place aux autres membres du groupe afin qu’ils puissent pleinement s’exprimer. Une décision accueillie avec beaucoup d’enthousiasme par des musiciens évidemment ragaillardis à l’idée de prendre part à nouveau au processus créatif longtemps trusté par monsieur Vedder.
Pourtant
Yield n’est pas fondamentalement différent de ses récents prédécesseurs. On va en effet y retrouver ce Rock alternatif abrasif et dépouillé emprunt d’Americana, de Hard Rock, de Blues, de Folk et de Punk Rock. Seulement à la différence d’un
Vitalogy, l’atmosphère y est ici beaucoup moins sombre et torturée et les musiciens moins enclins à l’expérimentation (allez, il y a bien "Red Dot" mais du haut de ses 1:06 on va dire que cela ne compte pas, tout comme ce "Hummus" servi en fin de parcours et qui fait ici office de morceau caché). Surtout, à la manière d’un
No Code, Pearl Jam offre à nouveau tout un tas de compositions aux structures plutôt simples et épurées et aux mélodies ou aux refrains particulièrement accrocheurs. Un élan presque Pop qui fait de ce cinquième album un disque dans lequel il est extrêmement facile de se plonger car faisant preuve d’une immédiateté évidente.
Pearl Jam enchaîne ainsi pendant près de cinquante minutes les titres directs et accrocheurs menés avec cette énergie et cette intensité qu’on lui connait ("Brain Of J." et son entame très "garage", "Faithfull", "No Way", "Do The Evolution" pour lequel le groupe signera son premier clip en six ans, "MFC", "All Those Yesterdays"), les compositions plus posées qui à l’image de cette photo prise par Jeff Ament (et toutes celles à l’intérieur du livret) invitent davantage à la contemplation ("Whishlist", "Low Light", "In Hiding") et celles qui mélangent un peu les deux ("Given To Fly", "Pilate", "Push Me, Pull Me"). Une formule tout en équilibre qui rend une fois de plus l’écoute particulièrement agréable même si à l’image de son prédécesseur assez dépouillé il faut bien reconnaître que l’on n’a plus tout à fait affaire au Pearl Jam du début des années 90. L’aspect bigger than life hérité de ces groupes de Hard Rock des années 70 s’est ici largement estompé. Certes, Mike McCready a réussi à retrouver un peu de sa place (les solos de "Brain Of J." à 1:58, celui de "No Way" esquissé en arrière plan, "Whislisht" à 1:56 ou "Low Light" à 1:48) mais on ne trouve plus dans la musique de Pearl Jam ces solos capables de vous hérisser le poil comme celui de "Alive" ni même ces mélodies ou ces refrains fédérateurs qui trente ans plus tard continuent d’animer fiévreusement les stades dans lesquels Perl Jam continue de tourner. Il en va de même des thèmes abordés par Vedder et de sa manière d’envisager l’écriture de ses paroles. S’il était plutôt dans la colère et la dénonciation dans ses premières années au sein du groupe de Seattle, celui-ci a décidé d’appréhender son écriture d’une manière plus positive, préférant désormais se focaliser sur les solutions envisageables aux problèmes énoncés. Une vision d’adulte pour une musique libérée de toutes contraintes.
Découvert très tardivement, après des années passées à bouder cette partie de la discographie des Américains sous prétexte que les trois premiers albums me suffisaient amplement, il faut bien reconnaître que
Yield a toujours été et reste encore aujourd’hui un excellent album si tant est que l’on soit en mesure d’accepter que le Pearl Jam des débuts s’est transformé en un Pearl Jam moins grandiose, moins fédérateur et également moins rageur. Dans la continuité d’un
No Code et malgré la période amène, ce cinquième album n’a pas manqué de trouver le succès, réussissant même à se vendre plus que son prédécesseur. Mais au-delà de ce qui ne sont que des chiffres, on ne peut nier que ce côté dépouillé et décomplexé (production abrasive, titres simples mais efficaces, mélodies accrocheuses), débarrassé de toute pression extérieure et surtout intérieure, a fait énormément de bien à Pearl Jam qui a su aller au-delà des simples frontières du Grunge afin de tracer sa propre voie et cela quitte à perdre de plus en plus de fans de la première heure.
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