L’accueil pour le moins mitigé réservé à
Boggy Depot à sa sorti en 1998 n’aura pas entamé la motivation d’un Jerry Cantrell toujours bien décidé à ne pas subir l’arrêt forcé des activités d’Alice In Chains en se lançant corps et âme dans une carrière solo à laquelle il avait pourtant toujours rechigné jusque-là. C’est pourquoi peu après la parution de ce premier album, Cantrell choisira d’aller s’isoler plusieurs mois dans les montagnes pour tenter de donner une suite un peu plus consistante à ce premier galop d’essai jugé à l’époque relativement anecdotique par beaucoup de gratte-papier et plus récemment par certains tape-clavier investi par une mission d’utilité publique bien qu’à la base très personnelle, celle de (re)mettre en lumière sur Thrashocore tous ces artistes de la scène Grunge / Alternative ayant marqué de leurs empruntes les années 90 ainsi que bon nombre d’adolescents de l’époque.
Malgré cette motivation restée intacte, la composition, l’enregistrement et la sortie ce deuxième album intitulé à juste titre
Degradation Trip n’auront pas été une mince affaire. En effet, si Jerry Cantrell a choisi d’aller s’isoler dans la chaîne des Cascades c’est pour faire face à ses démons et à tous ses problèmes. Un processus qu’il exprimera d’ailleurs en ces mots :
"I got into a writing session which lasted for three or four months where I just continued to spew and pour all of this shit out of the depths of myself from every level and aspect of my life. I dealt with a lot of issues that aren't easy for me to verbally get across. I think it's easier for me to do it in a musical venue. But it was the hardest thing I've ever done in my life. I'm glad I did it and I'm glad I went through the experience, but it's certainly something I don't ever want to do again".
Cette expérience très forte aura permis à Jerry Cantrell de composer une trentaine de titres (dont "Died" et "Get Born Again" qui deviendront finalement par la suite les deux derniers morceaux d’Alice In Chains avec le regretté Layne Staley au chant). Pour les coucher sur bande, celui-ci fera appel cette fois-ci à Mike Bordin de Faith No More, Robert Trujillo d’Ozzy Osbourne (bien moins démonstratif ici que chez Suicidal Tendencies ou Infectious Grooves) et au producteur Dave Jerden déjà responsable de la production des deux premiers albums d’Alice In Chains. Malheureusement, les choses ne se passeront pas comme prévu entre les trois musiciens et le producteur qui sera finalement remercié après seulement deux jours passé en studio. Il faudra attendre alors plusieurs mois avant que les trois puissent être à nouveau réuni sous la direction d’un Jerry qui bon gré mal gré et en compagnie de Jeff Tomei assurera en effet le rôle de producteur. En parallèle, Cantrell est lâché par Columbia Records et doit donc assumer l’intégralité des frais d’enregistrement et de production de sa poche. Et quand celui-ci réussit à signer un contrat avec Roadrunner Records pour la sortie de ce nouvel album, on lui fait comprendre que dans un premier temps une quinzaine de morceaux serait amplement suffisant histoire de ne pas effrayer le chaland. Résultat des courses, il existe aujourd’hui deux versions de
Degradation Trip. La première dont il n’est pas question ici propose effectivement quatorze morceaux alors que la seconde intitulée
Degradation Trip Vol 1 & 2 parue quelques mois plus tard avec un artwork différent propose quant à elle vingt cinq compositions avec, pour le premier volet, un tracklisting quelque peu remanié.
Probablement à l’écoute des critiques qui n’ont pas toutes été tendres à l’époque, Jerry Cantrell a choisi ici de revoir sa copie. Si
Boggy Depot s’éloignait assez significativement de l’univers d’Alice In Chains ce n’est pas le cas de
Degradation Trip Vol 1 & 2 dont la grande majorité des titres aurait très bien pu figurer sur un album du groupe de Seattle. Un choix qui me va plutôt bien (et a priori je suis loin d’être le seul) puisque monsieur Cantrell a toujours été le principal compositeur derrière les albums d’Alice In Chains. Moins enclin à explorer de nouveaux horizons que son prédécesseur sur lequel on pouvait notamment distinguer quelques digressions Country relativement marquées, ce deuxième album renoue avec cette approche beaucoup plus « Metal » à laquelle le chanteur/guitariste nous avait jusque-là habitué avec son projet principal. Un constat flagrant dès que résonnent les premiers accords de "Psychotic Break" servit en effet par une production beaucoup plus lourde et abrasive que celle de
Boggy Depot. Malgré un contenu pour le moins intimidant (il y a en quand même pour plus de deux heures de musique ici), ces quatre minutes et neuf secondes suffisent à rassurer (pour ne pas dire enthousiasmer) l’amateur jusque-là probablement un petit peu échaudé par un premier album mi-figue mi-raisin n’ayant clairement pas fait date dans la carrière de Jerry Cantrell. Et le plus beau dans tout ça c’est que la suite ne faiblit pas d’un poil avec notamment une quantité indécente de compositions marquées par ces riffs sabbathiens à la signature rythmique et à la couleur si particulières (avec notamment cet usage de la pédale wah wah), par cette noirceur qui faisait également pas mal défaut à son prédécesseur et par ce sens inée de la mélodie sombre et désabusée. De "Bargain Basement Howard Hughes" à "Owned" en passant par "Mother's Spinning In Her Grave (Glass Dick Jones)", "Hellbound", "Spiderbite", "Pro False Idol" et tout un tas d’autres titres présents sur le second volume de cet album fleuve (à l'image de ce "Anger Rising" absolument tubesque), difficile de ne pas tomber sous le charme du travail incroyable et particulièrement conséquent de Jerry Cantrell. Outre tous ces titres marqués par ce riffing lourd et abrasif, on va trouver également quelques chouettes balades acoustiques (ou électro-acoustiques) au ton introspectif, sombres et désabusées qui auraient tout à fait pu trouver leur place sur les excellents
Sap ou
Jar Of Flies. Parmi elles, mentionnons notamment la superbe "Gone" avec (même si je n’ai trouvé aucune information officielle permettant de l’attester) la voix grave et abimée de monsieur Mark Lanegan en renfort de celle d’un Jerry Cantrell impeccable de bout en bout. Une petite pépite qui vient clore ce premier volet d’une bien belle façon, en vous donnant tout simplement la chair de poule...
Alors oui, sur vingt-cinq morceaux proposés ici, certains comme "Feel The Void", "What It Takes", "Hurts Don't It?" ou "She Was My Girl" peuvent paraître un petit peu plus faibles ou tout simplement un peu moins intéressants de prime abord (notamment à cause de leur construction étrange ou en dehors des sentiers battus) mais en toute honnêteté, il n’y a quand même pas grand chose à reprocher ni même à jeter sur ce double album aussi généreux et ambitieux que réussi et captivant.
Pour conclure, si
Degradation Trip Vol 1 & 2 s’avère effectivement moins "expérimental" et "surprenant" que son prédécesseur, il est surtout bien plus abouti et cela à tous les niveaux. De cette production lourde et abrasive à cette noirceur retrouvée en passant par ces riffs plombés et cette filiation avec Alice In Chains désormais évidente, ce deuxième album (et accessoirement le dernier en date) est ce que l’on peut appeler une franche réussite qui malgré sa durée intimidante se laisse écouter avec grand plaisir, sans jamais broncher ni même montrer un seul moment de lassitude. Jerry Cantrell semble ici embrasser pleinement cette carrière solo, prenant ainsi conscience du fait que l’aventure Alice In Chains touche désormais à sa fin et que par conséquent il est alors totalement libre de s’exprimer sans avoir à se dire que tel riff ou telle séquence aurait trouvé sa place sur un hypothétique prochain album de son groupe qu’il relancera finalement quelques années plus tard avec l’arrivée de William DuVall dans la formation. Bref, si
Boggy Depot n’a rien d’indispensable, ce n’est pas le cas de
Degradation Trip Vol I & II qui plaira à tous les amateurs de Jerry Cantrell et de son jeu si personnel.
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