Jerry Cantrell - Boggy Depot
Chronique
Jerry Cantrell Boggy Depot
Faire parti d’un groupe c’est devoir composer avec plusieurs autres individualités que la sienne et espérer en tirer régulièrement le meilleur sans avoir à se tirer dans les pattes les uns les autres à cause d’égos parfois démesurés. C’est aussi devoir faire face à des situations parfois hors de votre contrôle comme ce fût par exemple le cas pour Sean Kinney, Mike Inez et Jerry Cantrell qui après une pause forcée de près de deux ans suite aux problèmes de dépression et d’addiction de Layne Staley seront à nouveau obligés de couper court à leurs ambitions après cette overdose survenue lors du retour d’Alice In Chains sur les planches en première partie de Kiss... De cette situation malheureuse est née, on le devine aisément, un soupçon de frustration. Cette frustration, Jerry Cantrell a décidé de s’en servir comme d’un catalyseur pour produire quelque chose de concret, choisissant bon gré, mal gré de se lancer dans l’aventure solo. Le chanteur/guitariste va ainsi mettre à profit cette mise à l’écart pour composer les douze titres que l’on retrouvent proposés ici sur ce premier album.
Sorti en mars 1998 sur Columbia Records, Boggy Depot tire son nom d’une ville fantôme de l’Oklahoma près de laquelle le père de Jerry Cantrell a grandit. De l’artwork aux photos que l’on peut visionner dans le livret, toutes sont issues de cette région dont il ne reste aujourd’hui plus grand chose si ce n’est les fondations de ce qui était alors une petite ville particulièrement dynamique avant l’arrivée du chemin de fer en 1872.
Si Jerry Cantrell est bien l’unique compositeur et la seule tête pensante derrière ce projet, celui-ci n’a pas manqué de se faire accompagner pour l’occasion. On retrouve ainsi à la batterie Sean Kinney d’Alice In Chains alors qu’à la basse vont se succéder tour à tour son autre collègue Mike Inez ("Cut You In", "Jesus Hands", "Devil By His Side"), Rex Brown de Pantera ("Dickeye", "My Song", "Keep The Light On", "Satisfy", "Hurt A Long Time"), Les Claypool de Primus ("Between", "Cold Piece") et John Norwood Fisher de Fishbone ("Settling Down", "Breaks My Back"). Notons également qu’Angelo Moore, leader charismatique des excellents Fishbone, est lui aussi de la partie pour quelques notes de cuivre sur "Cut You In" et "Cold Piece". Côté production, Jerry Cantrell a fait appel aux services de Toby Wright (Biohazard, Fear Factory, Korn, Slayer...) avec qui Alice In Chains avait déjà collaboré par le passé pour l’enregistrement de son album éponyme et du MTV Unplugged. Comme souvent à ce niveau d’exigence, il n’y a pas grand chose à reprocher à la production de monsieur Wright. Tout y est clair et limpide avec ce qu’il faut de puissance et de caractère pour ne pas vraiment trouver à y redire...
Généralement, lorsqu’un artiste quelqu’il soit se lance dans une carrière en solo, c’est bien souvent dans l’idée de s’émanciper de l’influence de ses petits camarades de jeu afin par exemple d’explorer des contrées qui ne sied pas toujours à l’univers musical du dit groupe. Alors évidemment lorsque Jerry Cantrell, principal compositeur d’Alice In Chains, s’attelle à son tour à ce genre d’exercice, c’est tous les amateurs de Rock alternatif et de la scène Grunge en particulier qui prêtent attentivement l’oreille (même si à titre personnel je n’ai découvert que très tardivement les deux albums solo de Jerry). Pourtant, malgré certaines similitudes pour le moins évidentes, Boggy Depot n’est pas vraiment ce que l’on peut appeler une copie carbone d’Alice In Chains. On va notamment y retrouver une influence Country particulièrement prononcée tout au long de ces soixante-deux minutes. Un genre musical dans lequel Jerry Cantrell a baigné toute son enfance et qui a donc forcément contribué à la construction de l’artiste qu’il est devenu. Alors non, l’homme originaire de l’état de Washington n’a pas troqué ses chemises en flanelle contre le chapeau de Willie Nelson, les costards noirs de Johnny Cash et les santiags de Hank Williams mais les sonorités empruntées à cette musique du sud des Etats-Unis n’en sont pas moins évidentes. Outre quelques titres et/ou séquences acoustiques sur lesquelles souffle ce petit vent chaud venu du sud ("Hurt A Long Time" et "Between"), ce son typique quelque part entre Folk, Blues et Cowboy Music va également se retrouver distillé dans des éléments nettement plus Rock et donc plus proche de l’univers de Jerry Cantrell et de ses riffs sabbathiens (ah bah oui, la Country ça va bien deux minutes mais chassez le naturel, il revient au galop). Que ce soit "Settling Down", "Devil By His Side", "Keep The Light On", "Satisfy" ou "Cold Piece", l’affiliation ne fait effectivement aucun doute (renforcée par une instrumentation relativement riche et variée menée à coup de piano, de clavinet, d’orgue, de steeldrum...) et donne ainsi à voir et à entendre une autre facette de monsieur "Riff Master" qui sur le sujet n’est pourtant pas en reste ici. En effet, le pédigrée de Cantrell se fait naturellement bien vite ressentir, en particulier à l’écoute de certains titres comme "My Song", "Jesus Hands", "Keep The Light On" où l’on reconnait aisément ce riffing lourd qui a fait la renommé d’Alice In Chains depuis Facelift. Quant aux quelques morceaux restants et dont on n’a pas parlé, ces derniers oscillent entre le plutôt plaisant mais sans pour autant se montrer particulièrement renversant ("Dickeyes", "Cut You In", "Cold Piece") et l’anecdotique voir agaçant ("Breaks My Back") qui du haut de ses sept minutes n’apporte pas grand chose à l’ensemble.
Malgré tout cela, Boggy Depot n’est pas ce qu’à composé de mieux Jerry Cantrell. En dépit d’un line-up particulièrement alléchant (mais quelque peu sur la réserve), de nouveaux territoires explorés et d’un musicien qui s’affirme ici davantage en tant que chanteur, ce premier album solo manque d’un petit quelque chose pour réussir véritablement à convaincre et donner envie d’y revenir avec envie. Certes, il y a tout de même quelques titres attachants et d’autres plus dynamiques qui rappellent que monsieur Cantrell est un excellent compositeur mais on ne retrouve pas ici cette profondeur émotionnelle ni cette noirceur qui font le charme d’Alice In Chains. Surtout, bon nombre de compositions ont tendance à s’étirer un peu trop en longueur, plombant ainsi la dynamique de l’album sans apporter véritablement de relief. Certes, il y a quelques vrais bons morceaux comme "My Song", "Jesus Hands" et "Hurt A Long Time" qui à chaque fois font mouche chez moi mais j’ai tendance à trouver le reste de l’album plus anecdotique qu’autre chose et en tout cas bien moins séduisant que ce à quoi Jerry Cantrell nous avait jusque-là habitué. Aussi, sans être une catastrophe, on lui préférera de loin son successeur, très long également mais au final bien plus sombre et inspiré que ce premier effort sympathique mais qui a bien du mal à soutenir la comparaison par rapport à tout ce qu’à pu sortir Alice In Chains avant et même après.
| AxGxB 3 Juin 2021 - 1024 lectures |
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