Souvent, lorsque l’été commence à pointer le bout de son nez, que les jours rallongent, que les températures grimpent et que les jupes raccourcissent, j’ai envie d’autre chose que de Death Metal ou de Black Metal (ne faites pas cette tête, ce n’est pas bien grave). Bien sûr, cela ne dure jamais très longtemps mais ayant été également nourri au Hardcore, au Punk à roulettes et à ce que l’on nomme vulgairement le Grunge durant toute mon adolescence, je trouve généralement cette période propice à l’écoute de ces genres que beaucoup de metalheads considèrent encore aujourd’hui comme responsables de tous les maux de la scène.
Après avoir évoqué avec vous ces deux perles que sont
Superunknown et
Badmotorfinger, continuons de rebrousser chemin pour nous intéresser cette fois-ci au deuxième album studio des Américains. Un disque qui à sa manière marque le début et la fin de pas mal de choses pour Soundgarden.
Sorti en septembre 1989 sur A&M Records (aujourd’hui propriété d’Interscope),
Louder Than Love représente un pas de géant pour Soundgarden qui, après Sub Pop et SST Records, se retrouve alors catapulté sur une major avec tout ce que cela implique (chroniques dans la presse, publicité dans les magazines, tournées à rallonge aux Etats-Unis et même en Europe, clips sur MTV, single radio...). Une étape forcément très importante pour un groupe de cette envergure qui malgré son succès d’estime n’a encore jamais goûté à tout cela. D’ailleurs, de tous ces groupes issus de la scène de Seattle, Soundgarden est le premier à signer sur un label de cette envergure. Étonnement, Hiro Yamamoto n’attendra même pas de voir tout cela se concrétiser puisque contre toute attente il décidera de quitter le groupe juste après les sessions d’enregistrements. S’il n’en a pas terminé avec la musique (vous êtes invités à vous pencher sérieusement sur le premier album de Truly), ce dernier souhaite néanmoins en finir avec ses études et délaisse ainsi Soundgarden à l’orée d’un succès grandissant.
En signant sur A&M Records, Soundgarden va pouvoir s’acheter les services du producteur Terry Date (Metal Church, Liege Lord, Overkill, Chastain…) et faire rempiler Jack Endino (Nirvana, L7, Tad, Screaming Trees...) qui vont ainsi accompagner et conseiller le groupe durant l’enregistrement de ce deuxième album dans les fameux (enfin pas encore) London Bridge Studios de Seattle où seront également captés et arrangés les premiers albums d’Alice In Chains, Pearl Jam, Mother Love Bone, Temple Of The Dog... Il en résulte ainsi un son brut et dense mais néanmoins naturel, typique de la fin des années 80 et des grosses productions de l’époque c’est-à-dire sans artifice, capable de passer l’épreuve du temps les doigts dans le nez tout en conservant les caractéristiques de son époque. Spécialisé dans les productions de types Heavy Metal/Thrash, Terry Date va tout de suite donner au son de Soundgarden toute sa force et ainsi mettre en avant ce caractère abrasif et dissonant ainsi que cette espèce de lourdeur sabbathienne émanant des riffs zeppeliniens de Chris Cornell et Kim Thayil pour qui les deux groupes anglais ont toujours été sources majeures d’influences.
Moins bien ficelé qu’un
Badmotorfinger ou en tout cas plus sauvage,
Louder Than Love porte déjà en lui l’essentiel de ce qui fait et fera le charme de Soundgarden dans les années à venir. De la voix puissante et versatile de Chris Cornell (qui toutefois ne se sert pas encore ici aussi bien ni aussi pleinement des fréquences basses de son spectre vocal) aux riffs tortueux, torturés et psychédéliques (dont émanent déjà quelques sonorités orientales que l’on discerne discrètement ici et là) de Kim Thayil en passant bien entendu par ces constructions pleines d’étrangetés qui rendent ainsi les morceaux de Soundgarden aussi insaisissables (peut-être même plus que sur son successeur), on retrouve en effet une grande partie de ce qui caractérise ce groupe à la personnalité d’ors et déjà si affirmée.
Mais la particularité de
Louder Than Love est probablement de faire la part belle aux mid-tempos lourds et poisseux ainsi qu’aux atmosphères tout aussi obscures et pesantes ("Ugly Truth", "Gun", "Power Trip", "Loud Love", "I Awake", "No Wrong No Right"). Loin d’être un album aussi facile d’accès que ceux connus du grand public et par lesquels le succès est arrivé, ce deuxième album est en fait un véritable petit bijou de noirceur Heavy/Rock/Blues. Une bizarrerie aux résonances Sludge/Noise que beaucoup ne veulent encore aujourd’hui ni voir ni entendre tant elle ne propose rien auquel se raccrocher. Car effectivement il n’y a là ni tube (même si "Hands All Over" en est un en puissance), ni refrain accrocheur, ni même aucun riff dont on peut véritablement s’enticher aux seules premières écoutes mais bel et bien une succession de moments absurdes et dissonants emprunts d’une vraie/fausse maladresse qui vont ainsi faire de
Louder Than Love un album étrange coincé à bien des égards entre le plus Punk et direct (mais aussi moins personnel)
Ultramega OK et le plus écrasant (bien que plus catchy)
Badmotorfinger. Et le constat est exactement le même lorsque Soundgarden délaisse ces mid-tempos fatalistes au profit de séquences Punk alternatives comme sur la dernière partie de "Gun" ou le rafraîchissant "Full On Kevin’s Mom". Autre bouffée d’air frais, l’étonnant "Big Dumb Sex" et son refrain aussi puéril qu’équivoque (
"Ya I know what to do? I'm gonna fuck fuck fuck fuck you. Fuck you I'm gonna") dont les paroles ont semble-t-il été écrites pour se moquer de tous ces groupes de Glam des années 80. Et oui, Soundgarden a un temps versé dans l’humour potache. Qui l’eût cru ?
On parle bien souvent de Kyuss, de Monster Magnet ou de Sleep comme les précurseurs du Stoner Rock tel qu’on le connaît aujourd’hui (Et non, je n’oublie pas l’influence de groupes comme Black Sabbath, Hawkwind, Saint Vitus, Trouble ou encore Blue Öyster Cult parmi tant d’autres) mais très rarement de Soundgarden. Pourtant, à l’écoute d’un album comme
Louder Than Love, il ne fait aucun doute que le groupe de Seattle réunit tout ce qui caractérise le genre à commencer par ces guitares qui prennent presque toute la place, la lourdeur de ces riffs épais et ces atmosphères chaudes et râpeuses. Alors c’est vrai, ce dernier n’est probablement pas l’album le plus facile ni même celui que l’on préférera retenir. Pour autant, il transpire une certaine jeunesse et surtout témoigne d’un groupe encore en pleine construction qui a toujours eu à offrir plus que ce que les gens veulent bien fourrer derrière l’étiquette "Grunge". Et quant à ceux qui écoutent Soundgarden mais n’ont encore jamais posé leurs oreilles sur
Louder Than Love, sachez qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire. Même si c’est un peu la honte quand même.
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