Sorti quelques mois avant le célèbre
Nevermind de Nirvana, le premier album de The Smashing Pumpkins aurait très bien pu être l’album de toute une génération. L’histoire à cependant montré qu’en dépit de ses qualités évidentes, celui-ci serait rapidement relégué aux oubliettes notamment parce que toutes les têtes étaient à l’époque tournées vers la seule ville de Seattle et sa scène alors en pleine explosion. A titre personnel, il m’aura d’ailleurs fallu de nombreuses années avant que je ne me décide à m’y intéresser, préférant naturellement me tourner vers
Siamese Dream entre quelques albums d’Alice In Chains, Nirvana, Pearl Jam ou Soundgarden.
Formé en 1988 à Chicago par Billy Corgan et James Iha, le groupe sera rapidement rejoint par D’Arcy Wretzky et Jimmy Chamberlin. Après un premier single paru en 1990 sur Limited Potential Records, le groupe enchaîne la même année avec un second single sorti cette fois-ci sur Sub Pop Records, célèbre label de Seattle ayant largement contribué au son et à l’expansion du Grunge (ou plutôt du Rock alternatif américain) en signant les premières sorties de groupes tels que Green River, Soundgarden, Nirvana ou Mudhoney. Il n’en fallait pas plus pour qu’une major commence à s’intéresser au cas de The Smashing Pumpkins puisque le groupe signera quelques semaines plus tard un deal avec Caroline Records, division du groupe Virgin.
Avec une enveloppe de 20000 dollars en poche, le groupe quitte Chicago pour aller s’enfermer en studio dans le Wisconsin en compagnie de Butch Vig, producteur encore relativement méconnu (quelques productions à son compte, notamment pour Touch And Go Records) dont la carrière finira cependant par exploser quelques mois plus tard avec la sortie de
Nevermind. Pourtant, son travail sur
Gish (malgré des qualités évidentes à commencer par ces guitares rugueuses et cette batterie naturelle qui claque exactement comme il faut) n’est pas exempt de reproches avec notamment un mixage peu favorable aux parties les plus calmes de l’album. Ainsi, il n’est pas rare d’avoir à monter le son (ou à tendre l’oreille) pour espérer entendre quelque chose de certaines séquences (flagrant sur un titre comme "Siva" à 1:51 ou 2:51) ce qui, sans porter particulièrement préjudice à l’album, s’avère tout de même un petit peu embêtant. C’est aussi Butch Vig qui a vraisemblablement poussé Billy Corgan à jouer l’essentiel des parties de guitare et de basse sur l’album dans un souci d’homogénéité face à ce qu’il appelait un certain manque d’expérience. On imagine la tronche qu’on dû tirer D’Arcy Wretzky et James Iha en se faisant couper de la sorte en plein enregistrement de leur premier album... Dès lors, les relations qu’entretiendront entre eux les membres de The Smashing Pumpkins seront toujours particulièrement tendues avec un Billy Corgan dans le rôle du tyran despotique. Une situation explosive qui atteindra d’ailleurs son paroxysme sur l’album suivant…
Néanmoins, tout cela ne doit cependant pas faire oublier à quel point
Gish est un album particulièrement abouti au regard de la relative inexpérience de ses membres et de leur âge finalement peu avancé (la petite vingtaine au moment des faits). D’autant plus que si le groupe sera très vite affilié au mouvement Grunge, il possède dès le départ un son et une identité qui lui permettront de très vite tirer son épingle du jeu : Billy Corgan et sa voix nasillarde (bien que ce trait de personnalité ne soit pas aussi marqué que sur les albums à venir), Jimmy Chamberlin et son touché à la fois subtil et pourtant particulièrement nerveux, la basse tout en rondeurs de D’Arcy Wretzky, les riffs abrasifs de Corgan et Iha contrastés par ces nombreuses séquences aux atmosphères vaporeuses si envoûtantes, ces structures finalement bien plus complexes et ambitieuses que la moyenne… Bref, autant d’éléments qui mis bout à bout font là toute la singularité de The Smashing Pumpkins.
Et si
Gish n’est peut-être pas aussi abouti que son successeur (difficile d’être au niveau d’un album comme celui que le groupe sortira deux ans plus tard), on aurait tort de ne pas le considérer comme un disque majeur de la scène Grunge et plus généralement du Rock Alternatif américain. Car s’il ne s’est pas aussi bien vendu ou hissé aussi haut dans les tops qu’un
Siamese Dream ou un
Mellon Collie And The Infinite Sadness, l’album bénéficie malgré tout d’une telle qualité d’écriture qu’il n’y a tout simplement aucun titre à jeter tout au long de ces quarante-cinq minutes. Efficace et dynamique, la musique des Américains possède effectivement la fougue et l’énergie de cette jeunesse bercée au Hard Rock et au Heavy Metal ("I Am One", "Siva", "Bury Me", "Snail", "Tristessa" et cette quantité de solo dont nous dispenses Corgan et Iha tout au long de l’album...) mais pour autant tout à fait capable de jouer sur d’autres tableaux pour le moins différents. Ainsi, la musique de The Smashing Pumpkins déborde également de mélodies Pop vaporeuses dont la sensibilité à fleur de peau ne laissera sûrement pas indifférent ces adolescents tiraillés entre l’envie de satisfaire leurs parents et celle de s’émanciper, entre ce besoin d’exister et la nécessité de s’accepter pour y arriver, de refrains entêtants et de séquences psychédéliques et progressives ("Rhinoceros", "Crush" et sa guitare acoustique, "Suffer" tout en nuances et en retenu, "Window Paine", "Daydream" chanté par D’Arcy) amenant naturellement l’auditeur à s’échapper de son quotidien.
Sorti probablement quelques mois trop tôt et surtout du mauvais côté des États-Unis, ce premier album de The Smashing Pumpkins aurait pu faire beaucoup plus de bruit si la presse de l’époque s’en était fait l’écho. Les jeunes, eux, ne s’y sont pas trompés puisqu’en dépit de ce manque d’intérêt de la part d’une presse dite spécialisée,
Gish finira en haut du classement des radios universitaires. Le groupe réussissant ainsi à vendre plus de 100000 copies en moins d’un an. Quoi qu’il en soit, s’il n’aura jamais la stature ni l’aura d’un
Siamese Dream ou d’un
Mellon Collie And The Infinite Sadness dans le cœur des gens, il n’en reste pas moins un album particulièrement solide sur lequel on retrouve tout ce qui fera deux ans plus tard le charme et la personnalité de The Smashing Pumpkins. Un début extrêmement prometteur qui, s’il progresse encore un petit peu à tâtons et manque de cette vision qui fera la grandeur des deux albums à venir, laisse cependant aisément percevoir l’étendue des qualités et des capacités de Billy Corgan et sa bande.
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