C’est vrai, le récent décès de Chris Cornell a quelque peu précipité les choses. Pour autant, j’ai toujours eu l’idée dans un coin de ma tête, d’aborder un jour ces quelques albums de Grunge sortis dans les années 90, ceux qui ont marqué à jamais mon adolescence et celles d’autres gamins nés dans les années 80. Alors certes, on a sur Thrashocore déjà pas mal évoqué la musique d’Alice In Chains mais pour le reste, on ne peut pas dire que votre webzine préféré soit particulièrement bien fourni en la matière. Une chronique de Nirvana (
MTV Unplugged) et une des Smashing Pumpkins (
Mellon Collie And The Infinite Sadness) et puis voilà, c’est à peu près tout. Pas de quoi s’étouffer ni même crier au scandale.
Si l’actualité peut suffire à justifier aujourd’hui une telle chronique, elle n’explique pas forcément pourquoi cet album en particulier. La raison est simple, voir évidente. Il s’agit tout simplement du premier album de Soundgarden auquel j’ai véritablement accroché. J’avais pourtant été séduit auparavant par l’excellent "Outshined" figurant sur la bande-originale du tout aussi recommandable True Romance mais à l’époque,
Badmotorfinger n’avait pas pour moi l’attrait qu’il a aujourd’hui. C’est donc en 1994, après avoir déjà très largement poncé les albums de Nirvana, Alice In Chains, Pearl Jam et Stone Temple Pilots que je me plongerais avec beaucoup plus d’intérêt dans l’univers de Soundgarden. À ce titre, je souhaite d’ailleurs faire amende honorable auprès des magasins Printemps et particulièrement celui du centre commercial Alma de Rennes où j’y ai dérobé à l’époque la cassette de ce quatrième album intitulé
Superunknown.
Comme beaucoup d’autres adolescents de l’époque, c’est à travers les clips de Best Of Trash sur M6 que mon initiation à Soundgarden va se faire. En grande partie grâce au clip complètement hallucinée de "Black Hole Sun", titre de cinq minutes devenu depuis le tube de toute une génération. Mais avec seize morceaux au total (à l’exception de l’édition américaine),
Superunknown a bien davantage à offrir qu’un simple single, aussi bon soit-il. Entré directement à la première place des ventes lors de sa sortie, vendu depuis à plus de dix millions d’exemplaires à travers le monde et récompensé par deux Grammy Award, cet album de Soundgarden reste à ce jour son plus grand succès. Les raisons de ce dernier sont probablement à chercher du côté des compositions elles-mêmes. Après trois albums passé à peaufiner son style quelque part entre Punk et Metal, le groupe de Seattle franchi ici un cap supplémentaire grâce à des compositions plus abouties, plus matures et surtout beaucoup plus variées. Avec ce disque, Soundgarden s’affranchi presque totalement de ses influences (Post) Punk (à l’exception de "Kickstand" et ses 1:34) pour proposer désormais une musique Rock métissée, largement teintée de psychédélisme (les nombreux et insaisissables solos de Kim Thayil ainsi que l'accordage étonnants des guitares sont là pour en attester), empruntant alors autant au Hard Rock qu’à la Pop, au Blues ou au Doom. Une musique dont les influences vont ainsi de Led Zeppelin aux Beatles en passant par Black Sabbath. Vous pouvez bien froncer les sourcils à la lecture de ces trois noms, c’est pourtant bien dans cette musique des années 70 que Soundgarden, groupe formé je vous le rappelle en 1984, puise une partie de son inspiration. De ces refrains catchy et particulièrement entêtants ("My Wave", "Black Hole Sun", "Spoonman", "The Day I Tried To Live"...) à ces riffs d’une lourdeur insoupçonnée ("Mailman", "Black Hole Sun", "Limo Wreck", "4th Of July"...) en passant par ces titres d’un noir profond ("Fell On Black Days", "The Day I Tried To Live", "Like Suicide"...), Soundgarden n’a rien de l’archétype du groupe mainstream d’aujourd’hui. Autre époque, autre mœurs, les Américains rencontreront comme je l’ai dit un énorme succès presse/public, profitant très largement de cet engouement pour la scène Grunge de Seattle - notamment depuis l’avènement de Nirvana en 1991 - qu’il a lui-même façonné avec la sortie en 1987 sur le tout jeune label Sub Pop d’un EP intitulé
Screaming Life.
Malgré une durée relativement effrayante de plus de soixante-dix minutes,
Superunknown ne souffre ni d’une baisse de régime ni d’une baisse de qualité. Même un titre tel que "She Likes Surprises", morceau bonus figurant sur les éditions européennes et australiennes, se laisse écouter avec beaucoup de plaisir, notamment grâce à sa mélodie enfantine et entêtante. Peut-être aurait-il été cependant plus judicieux de l’intégrer non pas après mais avant les sept minutes plus sombres et plombées de l’excellent "Like Suicide" ? Quoi qu’il en soit, vingt-trois ans plus tard, cet album conserve encore toute sa saveur grâce à une production qui n’a pas pris une seule ride aujourd’hui. Signé Michael Beinhorn (Red Hot Chili Peppers, Ozzy Osbourne, Aerosmith, Social Distortion...), l’exercice du studio n’a semble-t-il pas été de tout repos pour le groupe qui souhaitait alors changer de producteur après deux albums sous la houlette de Terry Date. Un détail puisque l’histoire a depuis montré que Michael Beinhorn avait eu raison de pousser Chris Cornell, Kim Thayil, Ben Shepherd et Matt Cameron dans leurs derniers retranchements. Claire, équilibrée et rugueuse, celle-ci trace un parfait trait d’union entre Rock et Metal, laissant ainsi à chaque instrument la possibilité de s’exprimer même si la guitare et le chant tiennent bien évidemment le haut du pavé.
Enfin, impossible dans le contexte actuel de ne pas évoquer l’importance du chant de Chris Cornell sur la musique de Soundgarden et plus généralement sur la scène Grunge des années 90. Une signature vocale inimitable qui, au-delà de la musique elle-même, va porter une très grande partie de l’identité de Soundgarden. Capable de moduler sa voix sur quatre octaves, Chris Cornell se joue des aigues et des graves avec l’aisance et la puissance d’un chanteur de Soul. En cela, il n’est pas rare d’entendre dire que son chant se rapproche énormément de celui de Robert Plant. Grâce à cette voix formidable et vibrante d’émotions, il va apporter aux compositions du groupe une richesse incroyable notamment par l’utilisation au sein d’un même morceau de plusieurs couches vocales différentes les unes des autres. Celles-ci vont venir se compléter ou bien se superposer pour un rendu à vous hérisser le poil (ces montées dans les aigues, cet enchevêtrement de voix sur l’excellent "4th Of July"). Un régal pour les oreilles d’autant que sa voix vient servir des paroles profondes et viscérales particulièrement bien écrites traitant de sujets difficiles tels que la dépression et la réclusion qui auront malheureusement hantés Cornell jusqu’à son dernier souffle dans cette chambre d’hôtel. Une fin particulièrement tragique pour un homme qui avait réussi jusque-là à surmonter ses démons.
Album du succès et de la reconnaissance,
Superunknown s’impose comme la pièce maitresse d’une discographie exemplaire. C’est aussi et surtout pour Soundgarden l’album de l’émancipation, celui par lequel il a su s’extirper d’une affiliation trop réductrice et ainsi prouver à la Terre entière qu’il n’était pas qu’un simple phénomène de mode. Certes, l’aventure post-
Superunknown aura été de courte durée puisque le groupe se séparera deux ans plus tard, juste après la sortie du très bon
Down On The Upside mais ces deux albums resteront à jamais les étendards d’une génération d’adolescents né dans les années 80 et à la recherche de quelque chose de nouveau capable de faire sens face à leur propre existence.
Please, mother mercy
Take me from this place
And the long-winded curses
I hear in my head
The words never listen
And teachers, oh they never learn
My warmth from the candle
Though I feel too cold to burn
He came from an island
Then he died from the street
And he hurt so bad like a soul breakin'
But he never said nothin' to me, yeah
A'say hello to heaven, heaven, heaven
Say hello to heaven, heaven, heaven, yeah
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