1994:
Pantera se cogne au plafond du Billboard américain avec « Far Beyond Driven ». En un clin d'œil, le vacarme pour grosses brutasses décérébrées qu'était il y a encore peu le metal dit extrême se voit promu au rang de style musical « bankable », en même temps que le chevelu qui sent la bière accède enfin au titre envié de portefeuille sur pattes, comme toute ménagère de plus de 40 ans qui se respecte. Tels des requins blancs alléchés par les émanations menstruelles de touristes allemandes s'ébattant dans les flots californiens, les majors s'en vinrent alors reluquer avec gourmandise le catalogue des « gros » labels metal indépendants. Et il se trouve que justement, un an plus tôt, la bande à Walker a sorti chez Earache un
« Heartwork » bien sous tous rapports, abrasif, léché, puissant, mélodique et qui fit un carton aussi bien parmi les rangs de la critique spécialisée qu'auprès du public. Quoi de mieux, pour ces traders en music business qui brassent la production artistique mondiale comme d'autres jonglent avec les flux de capitaux, que ce groupe respecté, au CV plus qu'impressionnant, abordant sereinement la pente ascendante d'une processus de maturation artistique à la direction pleinement assumée? Et tchac, le squale Columbia happe le groupe d'un puissant coup de mâchoire accompagné de l'habituel lâcher de paillettes aveuglantes … Puis finit par recracher la carcasse de sa victime un an plus tard, la mode, le Strat Plan et les critères d'obtention des primes sur objectifs de ces messieurs de la major ayant changé… C'est donc un groupe désabusé et fragilisé par des tensions internes qui s'en retourne en 1996 dans le giron earachien pour livrer au sens propre comme on sens figuré son chant du cygne (
… traduction française littérale de « Swansong », pour les réfractaires à l'hangliche).
Impression immédiate quand le cygne se met à chanter à travers nos enceintes: le groupe a une fois de plus réussi sa nouvelle mue, en évoluant cette fois vers des rivages plus rock'n'roll et aérés, tout en conservant cette patte immédiatement reconnaissable. L'évolution nouvelle – qu'elle ait été subie, suggérée ou voulue – va clairement dans le sens d'une plus grande accessibilité et de l'accroissement corollaire de son potentiel commercial. Mais là où le premier
Metallica venu se gonfle les lèvres et les nib's au botox et enfile une jupe rase-touffe pour aller faire des passes sur MTV, le groupe réussit l'exploit grand écart-esque consistant à devenir plus présentable, plus rock, plus abordable sans pour autant devenir lisse. Bien au contraire, bien qu'ayant laissé au placard ses plus gros calibres, Carcass reste cette petite teigne inquiétante qui te griffe au visage, te plante sa lame entre les côtes et te laisse sur un ricanement pisser ton sang en te demandant comment ce big rock/metal ronflant peut bien avoir autant de points communs avec le plus evil et retors des death metal. Bref: Carcass joue à présent ce qui s'apparente à du bon vieux rock craspouille, tape exclusivement dans des tempos allant du mid au gluant, simplifie ses structures … Mais reste Carcass, quasiment sans perdre une once de personnalité (
en même temps je parle là aux amateurs de « Necroticism » et de « Heartwork », le grind étant quand même bien loin derrière dorénavant…). Sur le papier, tout cela semble aussi crédible que l'annonce du succès artistique de Christine Boutin interprétant le rôle d'une bombe sexuelle dans Basic Instinct 3, on est d'accord … Et pourtant c'est vrai!
Et pour une fois, l'étiquette « Rot'n'Roll » accolée à cet album n'est pas uniquement le fruit d'un brainstorming entre créatifs à cravates vert pomme et gel dans les tifs. Non: l'appellation est tout particulièrement appropriée, le rock de papa se voyant ici avantageusement agrémenté du fiel vocal de Mr Walker, de l'abrasivité des guitares de Bill Steer et Carlos Regadas, ainsi que de ce sens du mordant et du groove pernicieux propre au groupe. Carcass réussit à faire d'un metal fortement teinté de rock une arme fatale, à l'image du para qui transforme la petite cuillère de son dernier né en une redoutable machine à énucléer. Mais revenons au concret en jetant une oreille attentive à la musique proposée: continuant sur la lancée de
« Heartwork », de ce son puissant (
Colin Richardson is in da house), de cette mise en avant des mélodies (
Noooon … Mike Amott n'a vraiment pas apporté sa touche Arch Enemyenne à l'album, vous êtes sûrs?) et d'une relative simplification de la structure des morceaux, le groupe rockifie sa démarche, abandonne les schémas classiques de la batterie metal (
on croirait entendre du tambourin à 0:39 sur « Keep On Rotting in the Free World »! Et ces poc poc à 2:15 sur « R**k the Vote » … on dirait le Cathedral Woodstockisant de « The Ethereal Mirror »!) et met toute sa science de composition au service de l'écriture de tubes aussi vicieusement accrocheurs que viscéralement teigneux. A l'exception d'un « Cross My Heart » un poil trop peu combatif et d'un « Go to Hell » un peu trop téléphoné pour constituer la fin parfaite, l'album ne contient que de bons gros hits, parmi lesquels « Black Star » fait office de premier de la classe avec ce groove rampant et infectieux aussi décontracté qu'il est mortel, les attaques acides de Jeff côtoyant de purs moments de décontraction made in 70's, tel cet accès d'euphorie hippie à 1:15. Au titre des réussites, il faut aussi mentionner la formidable entreprise d'écrasement de masse qu'est « Don't Believe a Word » qui voit le groupe embourber l'auditeur en plein marécage sonore avant d'aller lui masser les tempes à coups de rouleau compresseur. Les nostalgiques de la période où les britanniques vidangeaient les viscères au scalpel ne sont pas non plus complètement délaissés, de nombreux flash backs ayant été consciencieusement disséminés de par les morceaux (
cf. la mélodie rampante à 1:49 sur « Keep On Rotting In The Free World », la coulée baveuse à 0:54 sur « Tomorrow Belongs To Nobody » ou encore l'arrosage systématique à l'artillerie lourde tout du long de « Polarized »). Pour les amateurs de soli, le groupe propose également de quoi se rassasier sur la quasi totalité des morceaux, la moitié de ceux-ci offrant même deux prestations successives, le tout dans une teinte forcément plus roots qu'auparavant, mais en conservant un haut potentiel euphorisant. Et toujours ces moments de grâce Carcassiens, le temps d'une mosh part pesante et dévastatrice à 1:57 sur un « Child's Play » rampant mais groovy en diable, ou sur ces montées mélodiques grandioses qui illuminent pas 3 fois « Room 101 » et se voient au final agrémentées d'un clavier aussi discret que judicieux. A noter aussi un « R**k The Vote » très « back to Heartwork's roots » développant une approche plus melodeath/thrash'n'roll que la tonalité générale de l'album.
Même si, comme à chacun de leurs changements de cap (
autrement dit à chaque nouvelle sortie d'album), Carcass s'est fait vertement critiqué par certains à la sortie de « Swansong », il est difficile de ne pas être épaté par la constante qualité et l'excellence dans la composition dont le groupe continue de faire preuve ici. Conservant intacte leur patte par delà les ralentissements de tempo et le cambouis maculant leur toute nouvelle blouse rock (
ouarf), Carcass propose avec cet album le plus fabuleux – et donc, pour les fans transis, le plus amer – adieu qu'il était possible d'espérer, ajoutant au passage une pierre conséquente (
une pierre de taille quoi) au mur sans cesse plus solide et élevé de l'extrême metal'n'roll de qualité (
aux côtés de Phazm, Entombed, Blood Duster ou encore Massacra sur « Sick » …).
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