Bruit de parpaings métalliques chutant dans un bain d'acide bouillonnant avec la régularité de pistons métronomiques. Voix féminine désincarnée façon
« Les voyageurs du vol Air Necrology à destination de la morgue sont invités à se rendre en salle d'autopsie n°13 pour embarquement immédiat ». Grincement de porte de chambre froide qui se referme… Ces 47 secondes introductives fleurant bon la vieille compresse gorgée de pus et la javel trop diluée constituent la mise en condition idéale pour aborder cette légendaire leçon de médecine légale qu'est « Necroticism », 3e cours magistral dispensé par les professeurs es autopsie de Carcass. Après avoir grandement participé à l'élaboration du grindcore, en posant notamment les fondements de la filiale « goregrind » sur leurs 2 premiers opus, Carcass décide en 1991 de se tourner résolument vers le death metal, un death forcément plus posé que le grind initial du groupe, mais un death dangereux et poisseux, à la couleur marron orangé évoquant la rouille des vieux scalpels élimés, le sang à moitié coagulé et la viscère tiédasse abandonnée aux moisissures naissantes.
« Necroticism » est donc un album charnière entre l'hystérie grind des débuts (
même si « Symphony of Sickness » amorçait déjà le virage) et le death bien plus épuré et mélodique de
« Heartwork ». Un album classique également, en cela que chacun de ses 8 morceaux est soit un monument du genre à part entière (
et là il faudrait citer pas loin des 2 tiers de l'album, avec « Inpropagation », « Symposium Of Sickness », « Incarnated Solvent Abuse » ainsi que les deux derniers titres), soit comporte son moment d'anthologie (
le break mélodiquement groovy à 4:03 sur « Corporal Jigsore Quandary », la progression retorse mais vicieusement séduisante de « Pedigree Butchery » qui part de 3:06 et va s'épanouir sur un chouette lead à 3:42, l'accélération thrash fulgurante à 2:28 sur « Carneous Cacoffiny » qui se prolonge ensuite en mode blasté …). Un album référentiel enfin, car sans lui point de
Aborted, point de
Impaled, de
Exhumed, de General Surgery ou de Haemorrhage, groupes qui pour la plupart, au moins à leurs débuts, ne font que décliner ad mortem aeternam la formule mise au point au cours des 48 minutes de cet album. Mais comment pourrait-on le leur reprocher? Car il est dur de ne pas être enthousiasmé à l'extrême par un tel album qui – comme toutes les grandes œuvres – est riche des saveurs opposées qu'il fusionne avec une évidence bluffante, à savoir le vitriol des vocaux black/grindisant de Jeff Walker avec la mélodie des leads aérés d'un Mike Amott (
d'ailleurs embauché pour cet unique usage, Bill Steer restant aux commandes de la rythmique), la froideur d'une atmosphère de vide-ordure de morgue avec la chaleur d'un groove rampant mais imparable, une section rythmique flirtant souvent avec les mid tempo et une agression de chaque instant.
Ce bouillonnement de créativité métallique est condensé ici en seulement 8 morceaux dont la durée tourne généralement autour des 6-7 minutes (
autant pour le passé grind !), démarre en général sur un speech morbide et alterne ensuite une myriade de plans jouissifs expertement agencés les uns aux autres avec toujours, de loin en loin, les leads de ce bon vieux Mike qui viennent éclairer d'un peu de lumière une table de dissection musicale autrement bien blafarde. Dur de mettre en avant un morceau plutôt qu'un autre ici, mais dur également de ne pas craquer à l'écoute du lourd et lent bûcheronnage à 5:55 sur « Inpropagation » qui semble rythmer l'avancée implacable d'une lame incisive et vicieuse dans des chairs moribondes. Dur de refuser au riff « chaise électrique » démarrant « Symposium of Sickness » le droit de figurer au panthéon des ouvertures de morceaux de légende. Dur de ne pas headbanguer à 4:22 sur « Incarnated Solvent Abuse », lorsqu'après un embourbement doomesque, on assiste au réveil du mégalosaure qui s'ébroue lourdement, mais avec style et groove. Dur encore de résister à ce putain de break démentiel à 0:32 sur « Lavaging Expectorate of Lysergide Composition », qui – plein de lourdeur et de puissance – porte à bout de bras la guitare lead d'un Mike Amott encore une fois bien inspiré.
Quoi qu'on pense du récent retour sur le devant de la scène des vieux briscards grands bretons (
« Carcass repart. Carcass l'impasse? », à fredonner sur l'air du jingle d'un fameux spécialiste en pare-brise), on ne pourra pas leur retirer ce rôle de défricheurs géniaux de terres métalliques quasiment vierges. « Symphony of Sickness », « Necroticism »,
« Heartwork » – allez,
« Swansong » aussi: cette succession d'albums est la plus éclatante démonstration par A + B que l'« intégrité » si farouchement défendue par les gardiens autoproclamés du metal (
surtout ne jamais dévier de la ligne directrice originelle sous peine d'être un vendu-pourri-pas-beau) est une fieffée connerie: on aura rarement fait autant d'albums référentiels successifs en brûlant à chaque fois les ponts avec le passé que la bande à Jeff Walker. Et aux côtés de
« Heartwork », « Necroticism » vous offrira ce que Carcass peut proposer de mieux à tout amateur de metal extrême de bon goût (
N'en déplaise aux inflexibles adorateurs des 2 premiers efforts du groupe). Culte.
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