Cela ne vous arrive jamais d’être face à des albums dont vous avez tellement entendu parler que finalement vous avez finalement le sentiment de les connaître par cœur alors qu’en fait il n’en est rien ? Je suis exactement dans ce honteux cas de figure avec les trois premiers albums de
CARCASS. Il faut dire qu’en 1988 («
Reek of Putrefaction »), 1989 (
« Symphonies of Sickness ») puis 1991 (
« Necrotism – Descanting the Insalubrious »), j’étais encore un peu jeune pour avoir conscience que tant de fureur était à portée de mes doigts. Je la voyais bien pourtant cette pochette de «
Necrotism » chez mon disquaire favori (Discoshop, à Bayonne, où je me languissais alors adolescent de la vendeuse) mais, pour une raison dont je ne me rappelle plus, je ne l’ai jamais acheté. Quel con, aujourd’hui je serai le fier possesseur d’une édition vinyle d’époque… Bon, ça ne sert à rien de regretter, j’ai, comme beaucoup, réellement découvert les Anglais avec
« Heartwork », un disque que j’apprécie encore énormément. Mais on s’en fout certainement de mes souvenirs.
Il est difficile de vouloir parler de «
Reek of Putrefaction », album fondateur du
goregrind sans être tenté de chercher à refaire la genèse du truc, planter le décor d’un Liverpool pendant les années 80 et de ce qu’était la musique dominante à cette époque-là. A quoi bon de toute façon ? Ils sont tellement à l’avoir écrit avant moi que l’effort me semble un peu vain… Le seul truc un tant soit peu intéressant, ça reste de se demander si plus de trente ans après, cette musique tient encore la route et pourrait être conseillée à de jeunes pousses qui souhaiteraient se familiariser avec le style. Evidemment que la réponse est « oui », je me demande même pourquoi je me la pose. Et les raisons sont innombrables.
Déjà, il y a l’illustration originale. Putain, ce collage de chair autour de ce visage central qui mange des corps, on pense à la gueule des Enfers (enluminure du Maître de la Cité des Dames, début XVème), aux nombreuses représentations du Diable dévorant des humains, c’est à la fois immonde et une véritable œuvre d’art que l’on a envie d’accrocher au mur, pas de la daube contemporaine façon Andres Serrano qui prend sa merde en photo.
Ensuite, tu as le pseudonyme des mecs :
Frenzied Fornicator of Fetid Fetishes and Sickening Grisly Fetes pour
Jeff Walker (basse, chant),
Gratuitously Brutal Asphyxiator of Ulcerated Pyoxanthous Goitres pour
Bill Steer (guitare, chant) et
Grume Gargler and Eviscerator of Maturated Neoplasm pour
Ken Ownen (batterie, chant), ça pèse tellement que les mots me manquent. Ce trio, c’est une putain de
dream team appuyée par le label extrême de l’époque :
Eararche Records, l’un de ceux qui ont le plus compté dans l’histoire du
metal au sens large.
Enfin, s’il est exact que
CARCASS n’a pas inventé le
grind (
NAPALM DEATH était là avant, il y avait aussi
TERRORIZER, les monstres belges d’
AGATHOCLES, etc.), les mecs ont en revanche introduit (du moins je crois) le concept de l’imagerie médicale là où, globalement, les autres formations faisaient de la politique (héritage du
punk hardcore), voire recyclaient des thématiques issues du
thrash ou du
death metal. Eux sont partis dans le dégueulasse, la médecine légale pratiquée par des pervers ayant développé une fascination pour les instruments du légiste, les fluides corporels, le mucus, les cavités, l’éviscération, le démembrement, les organes génitaux, le travail des asticots sur un cadavre, etc., etc., etc. Tu as envie de vomir ? C’est bien.
Autre élément majeur à prendre en compte lorsqu’on part à la découverte de cet album : le son. Clairement, l’évolution de la production tout au long de la discographie me semble symptomatique du rapport même qu’a le groupe à son concept. Plus l’on avance dans le temps et plus l’imagerie passe de la barbaque au clinique (cf. la pochette de
« Surgical Steel » notamment), le rendu sonore étant à l’avenant : nous sommes passés du brouillon noise baveuse à la précision froide. Vous me direz que d’une, cela est avant tout lié à la qualité des infrastructures d’alors (en gros, les studios ne savaient pas encore trop bien comment faire sonner correctement cette musique), de deux le style étant radicalement différent, on imagine mal les compositions de
« Torn Arteries » enregistrées comme en 1988. Effectivement, cela n'aurait que peu de sens même si les deux mondes ne sont pas si irréconciliables que cela, une formation telle que
LIPOMA parvenant très habilement à faire cohabiter le
goregrind avec des plans clairement
death mélodique dans l’esprit des récents
CARCASS donc… Mais le son de «
Reek of Putrefaction », qu’en dire ? Pas grand-chose si ce n’est qu’il est exactement celui que nombre de musiciens actuels cherchent à obtenir en y mettant les moyens. Grésillant, chaotique, frôlant parfois l’inaudible, brutal et sans concession aucune à une once d’agréabilité, c’est du papier de verre frotté sur des tympans à vif, rien de plus. En synthèse, il faut aimer ce qui ne respecte aucune norme d’hygiène et ne pas être trop mélomane : on ne pige clairement pas tout ce qu’il se passe au cours des vingt-deux titres, je me demande même parfois si les instrumentistes comprennent eux-mêmes ce qu’ils jouent bien que j’imagine qu’exercer son art à un tel niveau d’intensité, en termes de vitesse comme d’obscénité, doit plonger dans une espèce de transe, d’état second où l’intention finit par primer sur la précision. Quoi qu’il en soit, la rigueur, le trio s’en fout pas mal (à l’image de l’exécrable tentative de solo sur « Vomited Anal Tract ») et on lui pardonne bien volontiers lorsqu’il assène des branlées ultimes telles que « Splattered Cavities ».
Du côté du chant, il est bien sûr au diapason de la musique.
Jeff Walker n’a pas encore adopté le timbre qu’on lui connaît, même si les prémisses sont déjà là, bien appuyés. Nous sommes plutôt dans l’ultra caverneux emprunté au pire
death metal qui soit avec évidemment des pointes hystériques caractéristiques du
grind. D’ailleurs, le chant et la basse sont selon moi les deux éléments saillants du disque, le pauvre
Ken Owen ayant du mal à exister au milieu de ce maelstrom de distorsion. Par conséquent il avoine, fracasse ses cymbales mais ce n’est qu’à partir de «
Necroticism » que l’on pourra comprendre à quel point c’est un batteur génial.
Quant à
Bill Steer, il vaut peut-être mieux voir sa prestation ici comme une forme de performance artistique, avec une vision globale, plutôt que chercher des riffs mémorables car, à part sur « Genital Grinder » et les quelques passages plus lents (genre « Pyosisified Rotten to the Gore »), il m’est bien difficile de retenir autre chose qu’un gargouillis de larsens (« sourd, on devient sourd, toutes ces sirènes dans nos cours, ça nous gêne » -
Zazie parlant du jeu de
Bill dans sa chanson « Larsen »), des dérapages incontrôlés, le tout m’occasionnant un peu de pitié pour son instrument. Bon, compte-tenu de ce qu’il fera par la suite, on se contentera ici de s’extasier devant un tel effort de nuisance.
Evidemment, cet article n’a pas pour ambition de remettre en question le statut qu’a acquis «
Reek of Putrefaction » au fil des ans, son importance ainsi que son influence parlent pour lui. Disons que cela a été surtout pour moi l’occasion de me pencher sérieusement sur un disque jusqu’alors survolé afin de mieux comprendre la fascination qu’il exerce encore aujourd’hui, tout en m’acquittant de mon devoir de mémoire. « Dans cent ans peut-être aussi encore » (si vous avez la référence).
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