Darkestrah - Manas
Chronique
Darkestrah Manas
(Манас)
Je me souviens encore de 2004 comme si c’était hier, lorsque du haut de mes 26 ans j’aimais découvrir des groupes venus de pays originaux. Il y avait alors PERSEFONE qui venait d’Andorre, ERESHKIGAL du Mexique (et j’allais découvrir plus tard que c’était un pays avec beaucoup de bonnes choses), et surtout DARKESTRAH du Kirghizistan. Ah oui, quand même ! Le Kirghizistan ! L’un des seuls pays que l’on a encore plus de mal à bien orthographier qu’à situer sur une carte ! Un pays méconnu d’Asie centrale qui partage des frontières avec entre autres la Chine et le Kazakhstan. Un pays où est employé le kirghiz (langue turque) mais également le russe puisque cette région était auparavant une république de l’URSS. Un pays montagneux dont la religion principale est un islam sunnite laissant une certaine place au chamanisme. Un pays qui a vu trois alphabets se succéder en vingt ans, passant de l’alphabet arabe introduit en 1924 à l’alphabet latin en 1928 puis cyrillique en 1941. Un pays qui semble figé dans le temps et duquel on conserve l’image des peuples nomades vivant dans des yourtes et vénérant leurs chevaux si importants dans les arts et histoires populaires…
Le Kirghizistan, le pays de DARKESTRAH, seul groupe actif du pays répertorié sur Metal Archives… Et quel groupe ! Certains ne le connaissent peut-être pas encore mais il a réussi à faire son trou petit à petit depuis 10 ans. Il avait commencé avec un Sary Oy surprenant par ses compositions déjà matures et avait alors réussi à appâter le label très réputé No Colours. C’est chez celui-ci que sortaient les deuxième puis troisième opus, de plus en plus inspirés, efficaces et surtout personnels, au point d’ensuite taper dans l’oreille d’Osmose. Ce célèbre label français les a signés et après un EP alléchant en 2011, Khagan, voilà en 2013 le cinquième et nouvel album, Манас (lire « Manas »). Et malgré quelques petites défections dans le line-up ainsi qu’un déménagement en Allemagne, nos courageux passionnés sont plus que jamais décidés à assumer leurs origines, à l’image en quelque sorte des Taïwanais de CHTHONIC qui ont eux aussi su dompter le black metal pour y ajouter des éléments de leurs contrées.
C’est là que l’on comprend l’importance du premier paragraphe de ma chronique car les 40 minutes de cet album parviennent à transmettre toutes les informations qu’il contient. On y trouve l’alphabet cyrillique, mis en avant pour la première fois sur le nom de l’album, mais également des pistes et des paroles. Même chose pour la langue employée, qui est devenue celle des membres et non plus l’anglais comme par le passé. Les instruments avec entre autres une guimbarde kirghize (Temir-Komuz), les samples d’animaux ou de nature mais aussi les déclamations en kirghiz nous envoient directement dans les décors atypiques de nos protagonistes. Par contre les ambiances restent crédibles et il n’y a jamais la naïveté dans laquelle beaucoup de groupes folk tombent.
Est-il d’ailleurs correct de parler de « folk » pour DARKESTRAH ? Pas comme on l’entend habituellement en tout cas car s’il fallait réduire leur musique à une étiquette, on pencherait plutôt pour « Black Metal atmosphérique ». Beaucoup de passages sont effectivement rapides, entrainants ou agressifs, et les éléments extérieurs cités plus haut ne sont que ponctuels, apparaissant avec beaucoup d’intelligence. Ils viennent soit se greffer momentanément au reste, soit introduire ou conclure un titre dans le but de nous faire voyager. Si je prends en exemple le morceau « Память (Старик) », il commence par 10 secondes d’instruments traditionnels avec crépitement de feu et hennissement de cheval, enchaine avec une minute atmosphérique, continue avec des atmosphères empruntées à DRUDKH, s’emballe, laisse de la place à un instrument à corde (violon ?) s’emballe à nouveau et hop, termine en douceur avec en plus la voix féminine de la chanteuse. Ah oui, j’ai oublié de le rappeler, mais l’autre particularité de DARKESTRAH est d’avoir une femme front(wo)man. Je viens de parler de son chant clair, mais elle n’en fait usage que rarement, préférant hurler comme un homme avec un timbre faisant penser à celui de Cadaveria à ses débuts dans OPERA X.
Chaque titre est tout aussi travaillé, avec de bons changements de rythme et un équilibre savant entre l’agressivité et les moments de répit qui empêchent toute monotonie de s’installer. Les ambiances sont réussies et l’on est projeté exactement là où nos Kirghizes le souhaitaient : chez eux, dans la nature mais aussi dans l’Histoire de leur pays, puisque le concept de l’album et de ses 5 titres tourne autour de « Manas ». « L’épopée de Manas » (Si Dieudonné en faisait une version moderne il l'appellerait sans doute « Le show à Manas ») est en fait une œuvre poétique kirghize inscrite au patrimoine culturel immatériel de l’humanité et elle est d’une telle longueur que plusieurs jours seraient nécessaires pour la conter. Elle parle de la lutte d’indépendance des nomades kirghizes contre les Chinois, un thème idéal pour un groupe de black qui désire sortir des clichés du satanisme. C’est d’ailleurs là l’autre point commun avec CHTHONIC qui s’attarde toujours sur les rapports entre Taïwan et la Chine. Mais musicalement, les groupes les plus proches de DARKESTRAH sont plutôt DRUDKH, NOKTURNAL MORTUM et ARKONA, trois formations à la forte personnalité qui ont à cœur de faire voyager l’auditeur dans leurs contrées. DARKESTRAH a le même souci de s’adresser à l’imagination et à l’âme de celui qui l’écoute. Et même si c’est un poil moins marquant que chez ces grands groupes, le résultat est très plaisant. Notons que les titres n’ont pas non plus des durées exagérées, comme Epos qui n’avait qu’un seul titre de 33 minutes, et qu’ils font en moyenne 8 minutes, temps idéal pour le style.
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