Nocturn - Estranged Dimensions
Chronique
Nocturn Estranged Dimensions
Lecteurs de Thrashocore, vous êtes de ceux que l’on aime choyer parce que prendre soin de vous c’est aussi prendre soin de nous. Aussi, après vous avoir permis de découvrir ou redécouvrir l’artwork tout à fait somptueux du premier album de Morbid Saint, j’estimais qu’il était de mon devoir de chroniqueur de vous gâter encore davantage. C’est pourquoi je vous propose aujourd’hui de vous régaler les yeux avec le travail réalisé sur Estranged Dimensions, premier essai longue durée d’un obscur groupe hollandais répondant au patronyme de Nocturn. Un artwork d’une naïveté confondante marqué par quelques éléments étonnants comme ce dragonnet aux proportions étranges (visez moi ces serres !) ou encore ce crâne qui en guise de dents arbore ce qui ressemble à un collier de macaroni... Mais trêves de plaisanteries, c’est aussi ça le charme des années 80/90 si chères à beaucoup d’entre nous.
Nocturm est donc un groupe originaire du plat pays et dont l’existence aura été de courte durée puisque formé en 1989, il cessera de donner signe de vie après la sortie en 1991 d’Estranged Dimensions. Paru sur un obscur label allemand du nom de Old World, il était couru d’avance que ce premier album passerait complètement inaperçu dans ce flot ininterrompu de sorties, mieux produites et mieux illustrées, signées Earache, Nuclear Blast, Peaceville ou Century Media. Tombé ensuite dans les méandres de l’oubli pendant près de vingt-cinq ans, le label américain Dark Symphonies, spécialisé dans le déterrage de vieilles reliques souvent dignes d’intérêt, vient aujourd’hui redonner vie à cet album à travers une réédition toujours aussi respectueuse de la version originale.
Certifié sans remastering ni ajouts inutiles, cette version 2016 d’Estranged Dimensions propose de découvrir l’album tel qu’il est sorti en 1991 ou presque... On trouve en effet quelques bonus intéressants à commencer par ces deux titres issus du EP Shades Of Insanity paru en 1990. Le label Dark Symphonies a également souhaité y inclure quelques photos d’époque afin d’agrémenter le contenu d’un livret assez peu fourni en la matière. Une réédition bien pensée qui a le bon goût de ne pas trop en faire malgré une durée totale dépassant les soixante minutes.
En plus de cette durée quelque peu excessive, cet unique album de Nocturn est marqué par une production crue et quelque peu déséquilibrée. Ca grésille, les guitares manquent un poil de puissance et auraient mérité d’être davantage mises en avant, à l’inverse les fréquences basses sont quant à elles presque trop présentes (un comble quand on sait qu’en général c’est loin d’être le cas)... Une production plus proche des standards de la demo tape que ceux de l’album et qui pourtant, loin de rendre l’écoute d’Estranged Dimensions désagréable, lui confère une certaine authenticité plutôt rafraîchissante. Celle-ci vient également rappeler qu’à l’époque, face aux dispositifs d’enregistrements qui se sont aujourd’hui démocratisés, beaucoup de groupes devaient se contenter de faire avec les moyens du bord. Et pour le coup, même si ce n’est pas leur point fort, les Hollandais de Nocturn s’en tirent ici plutôt bien.
Maintenant que nous avons évoqué les quelques faiblesses (éventuelles - à vous de juger) de cet album, attardons-nous plutôt sur l’essentiel à savoir ces dix compositions à mi-chemin entre Thrash et Death Metal. Nocturn, comme n’importe quel groupe de seconde zone de cette époque, n’est pas de ceux qui ont initié les choses mais plutôt de ceux qui ont repris ce que d’autres ont fait avant lui. De fait, le contenu de ce disque n’a rien de bien nouveau puisque ne serait qu’aux Pays-Bas, Asphyx, Pestilence ou Thanatos avaient déjà commencé à ouvrir la voie quelques années auparavant. Pour autant, cela n’enlève strictement rien à la qualité de cet album qui a défaut de briller par son originalité, excelle par la qualité de ses compositions. D’autant que Nocturn n’a pas choisi la facilité avec des titres relativement longs (sept minutes en moyenne) construits sur la base de séquences multiples à géométrie variable. Jamais très brutal, le Death/Thrash des Hollandais privilégie la mise en place d’atmosphères sombres et inquiétantes sans pour autant sacrifier à la question du rythme. En effet, nombreuses sont les cavalcades thrashisantes tout au long de ce premier album et autant vous le dire tout de suite, vous risquez fort de la secouer cette tête, que vous le vouliez ou non. Aux tchouka-tchouka et autres délices du même acabit se succèdent également de nombreuses séquences mid-tempo, certaines plombées ("Delirum Tremens" à 2:44, l’introduction bien lourdingue d'"Altered Evolution", "Sacred Infamies" à 1:43...) d’autres au groove plus évident ("Estranged Dimensions" à 4:22, "Altered Evolution" à 3:34, "Century Of Execration" à 4:04...). Une dynamique qui permet à l’auditeur de ne jamais s’ennuyer malgré ces formats allongés. Certains passages auraient peut-être pu être raccourcis mais dans l’ensemble, le résultat se montre extrêmement efficace à tel point que je me demande pourquoi un album comme celui-ci n’a pas fait davantage parler de lui à l’époque de sa sortie.
Bien entendu, là n’est pas la seule justification à la très bonne note de cet album. On peut également évoquer la qualité des riffs qui jamais ne déméritent. Bien qu’il n’y ait rien de révolutionnaire dans le jeu de Brian Haverkamp et d’Edwin Woerdman, les deux garçons font tout ce qu’il faut pour varier les plaisirs et ne jamais tomber dans une forme de routine ennuyeuse. Riffs abrasifs à cheval entre l’urgence et la frénésie du Thrash (les excellents "Estranged Dimensions" et "Century Of Execration" en guise d’exemple le plus marquant) et le côté plus lourd et menaçant du Death Metal, passages lents et sombres, accélérations salvatrices, breaks et riffs au groove indiscutable, jeu de réponses entre les deux guitaristes, solos survoltés et/ou aux mélodies épiques, leads sinistres… En sommes, il y a donc largement de quoi faire pour rendre cet album de plus de soixante minutes tout à fait captivant de bout en bout.
Enfin, le growl arraché et rugueux de Boudewijn Bruggeman n’est pas non plus étranger au charme évident qui émane de ce Estranged Dimensions. Une voix quelque peu différente de ce que l’on pouvait entendre à l’époque dans le Death Metal et qui n’est pas sans rappeler celle de Pat Lind de Morbid Saint pour ce côté haineux particulièrement exacerbé.
Petite pépite oubliée des années 90, Estranged Dimensions est le genre d’album qui me fait dire que la chance ne sourit pas toujours aux personnes qui le méritent. Heureusement, certains labels sont là aujourd’hui pour tenter de redonner une seconde vie à certains de ces disques qui n’ont pas eu le succès qu’ils méritent. Et même si cette réédition ne touchera une fois de plus que peu de personnes, elle n’en reste pas moins du pain béni pour tous les amateurs de vieilleries d’un autre temps et autres curieux toujours à l’affût de groupes méconnus dignes d’intérêt. Une fois de plus, merci au label The Crypt pour ce beau travail d’excavation. L’underground a encore bien des secrets à nous révéler.
| AxGxB 1 Juin 2016 - 754 lectures |
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2 COMMENTAIRE(S)
01/06/2016 23:37
01/06/2016 13:21