Lourd, haineux, écrasant, misanthrope, pataud, nihiliste et... lourd et haineux : il n'y pas quinze mille manières de présenter ce premier album de Grief.
En effet, les amateurs de sludge auront beau chercher dans leur dictionnaire ou encore se frotter la tête dans l'espoir que des analogies ou métaphores en sortent,
Come to Grief est essentiellement « lourd et haineux », reprenant la radicalité des œuvres précédentes des Ricains (cf. la compilation
Dismal) au format longue-durée. Cinquante-cinq minutes qui pèsent des tonnes et semblent durer des plombes, dans un extrémisme qui, encore aujourd'hui alors que de nombreuses formations ont repris à leur compte l'objectif affiché ici, fait serrer les dents et se préparer mentalement avant d'appuyer sur le bouton « lecture ».
C'est que, dans cette façon de s'appesantir, de n'offrir que des riffs terrassants et obsédants dans leur descente perpétuelle, on a rarement fait mieux que
Come to Grief. À la fois sorte de cahier des charges et d'aboutissement de ce sludge « sick » [sic], il abandonne tout ce que le style peut avoir de « groove » pour faire ressortir cette détresse particulière, sale, surpuissante dans son écroulement, où l'on veut faire mal aux autres car on a mal soi-même. Certes, Grief n'a jamais été un groupe joyeux. Mais il est ici à son plus triste et implacable.
...Je l'ai déjà dit ailleurs mais cela est encore plus vrai ici : le sludge, cette musique qui fait sienne la misère, la drogue, la crasse, se doit, pour être pleinement convaincant, de ne jamais oublier qu'il est de la musique. Un peu comme pour ces films de genre qui souhaitent mettre un coup de pied dans le cinéma dit traditionnel, ses œuvres marquantes se reconnaissent à ce qu'elles arrivent à transmettre au-delà d'une marginalité revendiquée. Et
Come to Grief, derrière son apparente envie d'être le disque le plus linéaire et idiot du sludge, possède ce petit supplément d'âme qu'il ne doit qu'à lui, cet espèce de romantisme qu'il y a à « aller au fond des choses », décelable jusque dans son titre. « To come to grief », traduction anglaise d'« échouer » aussi bien que d'« avoir de graves ennuis » : il n'en faut pas plus pour montrer où emmènent ces riffs semblant tourner à vide, les quelques rares incartades au tempo d'escargot donnant l'impression d'être des tentatives d'accélération rapidement vouées à l'échec.
Soyez prêt à entendre le même morceau pendant une heure avant de vous enquiller
Come to Grief. Sans doute les quatre notes utilisées à sa réalisation changent d'un titre à l'autre : elles donnent pourtant le sentiment d'être continuellement les mêmes. Par chance, ce morceau est assez bon pour qu'on écoute cet album jusqu'au bout à chaque fois, à genoux devant tant de maîtrise développée à rendre réel un certain fantasme de sludge, celui « heavy as fuck », hostile, malade, où placer ses connaissances en MST et hallucinations vécues lors de bad trips.
« Objectivement » la plus affreuse création de cette bande d'affreux,
Come to Grief n'est cependant pas celle qui me plaît le plus quand je pense à la discographie des Ricains. Le meilleur est encore à venir, là où Grief mettra en surface un peu d'eau dans son vin, pour devenir en réalité encore plus possédé. Indiscutablement extrême, marquant à plus d'un titre, son jusqu’au-boutisme n'est que le premier pas vers un ailleurs qui fera de cette formation encore injustement méconnue cette entité si délicieuse et hors-normes, loin des cadres habituels du sludge. En 1994, Grief montrait déjà qu'il n'était pas un groupe comme les autres. Il ne lui restait plus qu'à montrer qu'il n'y aura jamais d'autres groupes comme lui.
Note : L'album a été réédité en 2010 par Willowtip Records avec un titre-bonus, « Bury the Dead », enregistré pour un film d'horreur jamais sorti (I Am Vengeance
). Un morceau clairement destiné aux insatiables, aimant qu'on leur dise « Il en reste un peu, je vous le mets quand même ? » l'estomac déjà plein, mais que j'avoue souvent passer.
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