Impossible de commencer cette chronique sans souligner le travail d'Ivan Kocev, gérant de Fuck Yoga. Le label macédonien au nez fin (on lui doit déjà la réédition de l'excellente démo de Noothgrush, entre autres) a eu encore une fois une excellente idée en exhumant cette compilation des débuts de Grief. Autrefois indisponible pour qui n'était pas prêt à surveiller quotidiennement Discogs et dépenser une somme conséquente, elle est enfin republiée dans un format faisant honneur à l'originale, la seule modification apportée étant une remasterisation puissante et conservant le grain particulier des premières réalisations des EPs
Dismal et
Grief ainsi que des titres « Lifeless » et « Fucked Upstairs » issus du split entre les Ricains et Dystopia, toutes regroupées ici. De quoi donner envie d'utiliser google traduction pour remercier qui de droit. Fuck Yoga : Благодарам !
Sinon, la tentation est forte de suivre la tradition d'un certain webzine en concluant de trois mots simples : tout, est, là ! Sans aller jusqu'à faire de Grief l'un des premiers fondateurs du sludge pur et dur au même titre que d'autres plus réputés (encore que ce n'est semble-t-il l'histoire que de quelques mois...), il est clairement celui qui est allé le plus loin à l'époque dans ce que le style possède de plus pouilleux, underground et hostile. Presque dénué d'accélérations (seuls les morceaux « Isolation », « Fleshpress » et « Fucked Upstairs » font de brèves incartades au trot de mollusque sur lequel se calent les instruments), éloigné de notions telles que l'accroche, la composition à tiroirs, voire de la composition tout court, Grief paraît ici à son plus écœuré et écœurant. Une musique que l'on peut qualifier encore aujourd'hui de « définitive », au point que l'on en retrouve des traces grosses comme des cailloux dans les essais de sludge récent les plus bétonniers.
Mais s'arrêter à un bête constat historique pour faire de cette sortie un objet « culte » ne serait pas lui rendre justice. Car, pas loin de vingt-trois ans plus tard,
Dismal n'a rien perdu, ni de son pouvoir, ni de son étrangeté. Suintant la haine par tous leurs pores, la voix étranglée et urbaine de Jeff Hayward en première ligne, ces quarante-trois minutes possèdent cette aura particulière, aussi vindicative que dépressive, des œuvres issues des nineties et leur goût pour la sentence et le cynisme, les samples au diapason (le « It's frantic, frantic noise » de « Shoot Me... (I'm Already Dead) » par exemple). Politique dans sa misanthropie instituée en programme, rêvant de l'annihilation de toutes choses vaguement vivantes, Grief en vient à se stranguler lui-même, ânonnant son mépris de tout, toutes et tous les jambes tremblantes et le regard chancelant, constamment au bord de s'écrouler totalement. Un sludge de débris, humains et autres, de gravats de notes s'effondrant sur elles-mêmes, allant jusqu'à attraper une ambiance fumante et statique d'après-guerre.
Il y a tout et il n'y a rien ici. Jusqu'à sa pochette me renvoyant au
Into Darkness de Winter (pas qu'elle d'ailleurs, ce qu'elle enrobe possédant la même essence terne et radioactive que le disque de l'hiver),
Dismal vénère la destruction, tant et si bien qu'il en est une de ses meilleures mises en musique. Certains pourront dire que Grief possèdera pleinement ce qui fait son identité par la suite et ils n'auront pas tout à fait tort, cette compilation étant jusqu'au-boutiste mais moins impressionnante dans son étalement que les buffets gratuits
Torso et
...And Man Will Become the Hunted, où satisfaire sa passion pour le beurre d'escargot. Un début, certes si semblable à un aboutissement qu'il a fait date, mais restant la naissance d'un groupe qui deviendra grand. Comme un enfant issu des ruines.
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