Et ainsi se termine mon retour sur Grief, le meilleur des meilleurs groupes de sludge. Oh, je sais bien qu’il en reste encore un peu à dire, quelques dessins à faire dans les marges – je m’en occuperai peut-être un jour, si jamais j’estime que les gribouillis de Eric C. Harrison ne sont pas encore assez présents sur ce site bien trop propre.
Mais pour le moment, arrêtons-nous avec ce disque. Ce disque que j’ai longtemps cherché à un prix décent, avant de finir par l’acheter trop cher écorné, délavé, les coins rabougris, juste pour le tenir dans mes mains, joyeux comme à Noël. « Et pourquoi donc autant d’efforts pour une telle illustration, Ikea ? » Parce que faire des efforts pour de la merde, c’est sludge tiens ! Bon, et surtout parce que ce torse cadavérique qui pète en direction de l’abîme est la seule image qui convienne à Grief. Tu ne le vois pas toi, ce coup de crayon dégueulasse qui tapisse sa bêtise dès « I Hate Lucy » ? Ce gros majeur punk, sale-sa-mère, avec lequel le géant te malaxe façon préparation de l’argile avant sculpture, on mouille, on écrase les bulles d’air à l’intérieur, on tord, on déchire, on met sur plaque et on jette le résultat à la benne car on a enfourné trop tôt ? Et tout ça pour plus d’une heure de sludge lourd, non pas comme un six tonnes, un pachyderme ou je-ne-sais-quelle analogie courante ; lourd comme un mollusque, plus d’os, plus de vertèbres, on traîne sa maison d’ordures sur le dos, lentement, avec l’entrain du quotidien.
Et on est heureux, dans cette poubelle ! Car oui, comme crié lors de mes chroniques de
Miserably Ever After et
...And Man Will Become the Hunted, Grief est un groupe qui rend heureux. Ivre d’un bonheur pollué, « Polluted » évidemment en tête de gondole des preuves à apporter. Ce morceau absurde, qui commence avec sa batterie de sauriens faisant de l’accrobranche à toute vitesse et en masse, ce riff qui frôle les fausses notes comme on surfe... Ce groove ! Elle a beau ne pas avoir toutes ses dents, cette mélodie sourit si franchement qu’on ne peut que l’accompagner, altier sous les ponts, lumineux sous la nuit, mes chiens sont mes potes et ma tente trouée un palais climatisé. On est bien, on déguste dans tous les sens, pour ne plus jamais redescendre.
Après ? Après, c’est la débandade continue, le bonheur dans la coulée interminable, tout feu tout flamme, plus d’esprit, de « Amorphous » jusqu’à la conclusion exaltée qu’est « Tar ». Une sorte de retour à l’extrême lenteur nihiliste de
Come to Grief, à ceci près qu’elle paraît ici satisfaite de son impuissance, les menaces absentes, la générosité prenant place dans la diction empâtée des horreurs de tous les jours, assumant pleinement sa joie à étaler, grand enfant ayant remplacé sa fascination pour les flaques de boue par celle pour le sordide de la vie réelle, s’étirant de plaisir sans jamais vouloir finir, comme cette phrase que tu lis. Rhaaaaaaa...
Même en faisant un tracklisting à peu près scolaire, il reste difficile d’exprimer ce qui fait que le fan de Grief est... fan de Grief. De dire ce que ces guitares qui ont des gueules de rien, cette voix qui vomit sans se poser des questions de rythme, ce batteur seul dans son monde, ont de définitif, d’incroyable, même plus de vingt ans après. Au point de marcher sur des œufs, de risquer de faire croire au passant que
Torso et ses frères sont des œuvres intellectuelles, abstraites, où l’intérêt est dans une forme de pensée du sludge. Pourtant, celui qui plongera dans le trou Grief verra qu’il n’y a rien de tout cela, que ces images de marginalité franche n’ont rien de conceptuelles, que la jouissance que la formation apporte n’est en rien mentale, qu’elle s’inscrit directement dans la chair pour ne plus la quitter, directe, idiote, « absoludge ».
...Bah, après tout, je ne t’apprends rien, toi qui vis les dimanches comme moi : il y a une béatitude à se laisser couler, à éteindre les lumières intérieures, à vivre pleinement sa procrastination comme une fin en soi. Grief, c’est plein de choses mais peut-être un peu plus ça – la félicité de n’être rien, ne vouloir rien, de tout remettre à plus tard, la vie bloquée à coups de bélier entre deux belles parenthèses. Soit deux sourires, un de chaque côté.
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