Crowbar - Odd Fellows Rest
Chronique
Crowbar Odd Fellows Rest
Il y a parfois des injustices dont sont victimes certaines personnes et qui peuvent les marquer à vie, notamment lorsque l’on a un physique ingrat et que l’on est un peu la risée de tout le monde, que l’on passe pour un rebut de la société et que peu de monde semble concerné par ce qu’il vous arrive. C’est peut être un peu le vécu de Kirk Windstein, avec son regard de chien battu et son embonpoint légendaire, qui trace sa voie entre déréliction et addictions dès la fin des années quatre vingt depuis sa Nouvelle-Orléans natale aussi bien avec Crowbar, que dans Down avec ses copains. Et puis, tant qu’à parler de la malchance, Kirk a tout de même subit l’affront de voir la pochette de ce cinquième album être plagiée par un très célèbre groupe pour l’une de ces énièmes rognures discographiques. Dans tous les cas, il était temps de faire rentrer Crowbar par la grande porte dans cette éminente maison qu’est Thrashocore et d’évoquer cet excellent Odd Fellows Rest.
Pourquoi commencer d’ailleurs par Odd Fellows Rest et pas par un autre, - cela viendra un jour ou l’autre - et bien tout simplement parce qu’il a ce côté quintessenciel pour vous faire entrer dans le petit monde de Crowbar et est sans doute le plus accessible pour les non connoisseurs. Comment qualifier la musique du quartet autrement qu’en employant le terme sludge ou doomcore, c’est selon les degrés d’appréciation de chacun et de chacune. Évidemment, au vu de l’origine géographique, il y a évidemment de ce côté fangeux et pâteux dans la musique de Crowbar, de ces journées nonchalantes à broyer du noir au bord du Bayou dans cette ville qui a toujours été en quelque sorte damnée. Si l’on voudrait être plus précis, l’on n’est pas dans le côté extrême d’un EyeHateGod ou dans une folie furieuse d’un Soilent Green, ni dans un éclectisme à la Acid Bath. Pour autant, l’on a tout de même bouffé de ces mêmes classiques qui ont forgé ce son si caractéristique avec entre autres Black Flag, Melvins et Saint Vitus, suffit de voir un des nombreux tatouages de Windstein pour s’en rendre compte. Sauf que ce dernier aime tout autant Type O’ Negative et Trouble, il suffit de voir ses autres tatouages, et que cela se ressent dans ce côté plus mélodique de la chose, notamment dans l’agencement des guitares, avec souvent des harmonisations et quelques twin leads, je pense notamment à cette introduction de disques et à ces nombreux plans sur cet album. C’est ça aussi la patte Crowbar et c’est ce qui rend ce groupe aussi captivant.
C’est une évidence mais la musique de Crowbar se veut lourde et grasse, et l’on s’interdira toute analogie avec la corpulence des musiciens ici présents. Et ce qui caractérise bien cette formation, ce sont ces riffs mémorables, sur tous les titres, tous aussi efficaces qu’entêtants, alternant entre moments extatiques et d’autres plus véloces, parfois dans la même séquence. C’est même ceci qui rend Crowbar assez unique dans cette scène. Des riffs parfois très simples mais qui vont rapidement vous laminer le moral et vous écraser, lentement, car, et c’est là une singularité de cet album, c’est que le côté hardcore a été mis de côté, pas totalement, mais c’est ce qui ressort le moins de ce Odd Fellows Rest. L’on a ainsi bien moins souvent de passages plus enlevés comme c’était de coutume sur les précédents albums. Ici l’on prend son temps même si l’on a également des moments plus rageurs, mais tout se décline de façon très naturelle. C’est d’ailleurs ce qui fait très plaisir avec cette réalisation lorsque l’on sait qu’il y eut une nouvelle fois du turn over pour le line-up. Si le fidèle Todd Strange oeuvre toujours à la basse, qu’un certain Jimmy Bower est une nouvelle fois derrière les futs, l’on retrouve Sammy Pierre Duet à la guitare, transfuge de Acid Bath et aussi membre de Goatwhore. Autant dire que l’on a ici le haut du panier comme musiciens de la scène de NOLA et cela se ressent notamment dans l’excellente complémentarité entre Kirk Windstein et Sammy Pierre Duet, peut être la meilleure paire de guitaristes qu’eût Crowbar. Sans doute est-ce pour cela que ce disque tend vers quelque chose de plus mélodieux, voire intimiste comme sur le très beau titres éponyme, avec toutefois une production bien ample et chaude qui rend justice à tout ceci.
Toujours est-il que ce Odd Fellows Rest, en hommage à un cimetière de la Nouvelle-Orléans, est l’album qui va permettre une ouverture vers d’autres horizons au quatuor, parfois plus lumineux, - enfin plutôt gris clair que gris foncé -, et célestes, que le fait de croupir dans la poussière et la boue à maugréer dans son coin, même si l’on trouvait déjà ces éléments sur Broken Glass. Car ce qui n’a pas changé, c’est que Kirk Windstein souffre toujours autant et que sa musique transmet bien cette palette d’émotion, un peu à la manière d’un bluesman, sauf que là c’est fait par un tough guy qui a un coeur d’artichaut. Et cela se ressent dans les nombreux arpèges qui viennent émailler de nombreux titres, comme ceux sur le final de Scattered Pieces Lay ou ceux de December’s Spawn. Cela nous donne aussi un titre tout en émotion avec Odd Fellows Rest, bien loin des attaques en règles que l’on retrouve aussi sur cet album comme New Man Born et To Carry the Load. Et surtout cela nous donne un titre d’anthologie avec le tube Planets Collide, tout en nuance et en mélodie. Oui, cet homme souffre encore et toujours et n’en a pas fini de se battre contre ses démons, mais il le fait avec une certaine retenue et une certaine concision, et, surtout, avec une grande classe. Bien sûr, cela ressemble un peu toujours à la même chose, mais il y a au moins cette sincérité dans ce propos: Kirk Windstein et ses acolytes ne trichent pas, ce sont certes des monstres mais ils sont tellement humains dans leurs fêlures et dans leurs fragilités.
Voilà ce qui fait la différence entre Odd Fellows Rest et le reste de la discographie, même s’il faut nuancer ce propos car chacun a forcément un disque préféré de Crowbar, et qui le rend très attachant, comme le parfait compagnon de ces journées chaudes de fin d’été où l’on s’éprend d’un certain spleen et de regretter avec amertume que le temps défile et que rien ne semble changer mis à part que la douleur reste. Ce cinquième album est une très belle réussite et ouvre, à certains égards, la deuxième séquence de la discographie de Crowbar vers quelque chose d’un peu plus mélodique, et qui aura sans doute permis d’élargir certaines perspectives à d’autres musiciens, je pense notamment à un groupe de Bâton Rouge, car ce n’était pas forcément quelque chose de courant à l’époque. De toute manière, un album qui comprend une mise en abîme ne peut être foncièrement mauvais. Plus mélancolique que ses prédécesseurs, cette cinquième réalisation est peut être une bonne porte d’entrée, si ce n’est la meilleure, dans le sludge singulier de Crowbar et n’a pas perdu de sa consistance malgré les années. Après, au vu de la longue liste d’excellents disques sortis par la formation, il est difficile de dire si celui-ci est le meilleur, il fait en tout cas partie de mes préférés.
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