Je l'aurais attendu, celui-là, non sans méfiance.
Quand je suis allé voir
BEYOND CREATION aux côtés de
DISENTOMB,
PSYCROPTIC et
DYING FETUS, j'avais été ravi de discuter avec Simon Girard et Philippe Boucher, respectivement guitariste-chanteur et batteur du groupe. Des personnes adorables qui, au détour de la conversation, m'ont dit : « Ah ben prépare-toi, on aura notre nouvel album en 2018. »
Autant dire que j'étais déjà impatient face à cette annonce exclusive !
Mais pourquoi étais-je méfiant, me direz-vous ? Parce que, en terme de Tech Death, 2018 a été une année qui a pu m'apporter un lot de découverte (
THE BEAST OF NOD avec son gros travail sur les arrangements et ce synthé qui ajoute un plus non négligeable), de surprises (
OBSCURA qui m'a enfin convaincu avec un Diluvium plus équilibré et
IRREVERSIBLE MECHANISM qui a changé de cap pour un Immersion de qualité) mais aussi de déceptions : je ne parlerai pas de PESTILENCE qui a été, pour moi, un pétard mouillé, ni de AUGURY que je n'ai pas trouvé aussi fringuant et immense qu'à l'époque de leurs premiers disques.
Beyond Creation a préféré mesurer sa communication, en commençant, au court de cet été, à donner la date de sortie et à proposer l'écoute de quelques extraits au fur et à mesure. Et j'avais été à la fois emballé et craintif : c'était solide, bien fichu, mais je trouvais déjà que l'écriture se répétait entre quelques morceaux.
Je lance l'album, qui s'ouvre sur une piste orchestrale qui met bien l'ambiance et qui, je m'en doute, sera utilisée pour démarrer les lives.
C'est parti.
Si les québecois ont gagné en popularité au cours des années 2010, c'est bien par leur Technical Death progressif au son calibré avec précision et, également, avec cette basse si particulière – Dominic Lapointe étant un très grand technicien. Mais cette facette est également la principale critique que je peux entendre de certains amateurs du genre : Beyond Creation a un style à eux, et ça n'a pas beaucoup changé entre
« The Aura » et
« Earthborn Evolution ». Certains ajouteront qu'ils font ce qu'ils font, rien de plus ; et que, pire encore, leur style est un peu trop propre, pas assez brusque, trop léché.
Eh bien avec cet album, on va rapidement balayer ces principales critiques. C'est que le quatuor semble avoir été attentif aux retours !
Maintenant, dîtes-moi, je commence par quoi ?
Prenons « In Adversity » qui propose une musique résolument plus Death metal, car bien plus agressive dans son riffing qui lorgne dans une brutalité moderne qu'on n'aurait pas soupçonnée. Là, ça matraque sec ; de quoi attirer ceux qui ont toujours critiqué la formation québecoise d'être trop dans le Tech Prog. Ils s'essaient à un morceau court plus straigth-forward, et ça les réussit ! Cette utilisation d'un riffing plus énervé se sentira également dans « Surface's Echoes ». Ce deuxième morceau surprend avec une ouverture résolument Prog moderne, digne de
ANIMALS AS LEADERS dans les notes employées. Éthérée, aérienne, elle fait place à un son limite Djent – vous avez bien lu, Djent – composé de ruptures. Le chant arrive, me coupe un peu la chique car il revient sur leur style habituel. C'est dommage car j'appréciais bien ce petit changement de ton. Après, la suite n'est pas dégueulasse du tout, et propose un Tech Death Prog d'ultra bonne facture qui revient malgré tout sur des riffs qui butent : je reste sidéré par leur qualité dans les transitions et articulations, tout s'enchaîne sans jamais tomber à plat, même lorsque la guitare lead entre dans un solo en cour de route, ça prend le train en marche avec fluidité. Ces musiciens maîtrisent leur sujet, notamment l'accélération à 3:52, qui fout la patate après ce solo. Et ça c'est bon, lorsque tu crois être en haut, mais que tu montes encore ! Ils ont des effets, et ils les utilisent avec précision et mesure. Puis ça enchaîne dans un voyage entre différentes parties : c'est tissé d'une main de maître. Et ce finale, ouh la la, j'en ai des frissons tellement ça donne un coup là où il faut !
Puisqu'on y est, parlons de leur touche habituelle. Beyond Creation, à mon sens, c'est un groupe qui peaufine au maximum chaque élément de leur musique. C'est dans ce sens qu'ils ont teasé au fur et à mesure « The Inversion », « Algorythm » et « Entre Suffrage et Mirage ». J'avais été inquiet car ces titres faisaient un peu redondants.
En effet, « The Inversion » et « Algorythm » sont structurés de la même façon : ça prend son temps sur 3-4 minutes, ça se développe, vient un break, ça remonte doucement, et alors explose une idée musicale brillante sur le dernier cinquième. Pas que c'est mauvais, loin de là, mais ça a pu avoir tendance à me lasser. Heureusement, ces titres sont séparés dans l'album par d'autres aux éléments bien identifiables, et ça permet d'éviter l'effet « lassitude », d'autant que Beyond Creation reste puissant dans l'art du développement, et un morceau comme « Algorythm » est superbe dans ses mélodies qui gagnent en nuance secondes après secondes.
De l'autre côté, « Entre Suffrage et Mirage », qui ouvre l'album, arrive en terrain connu tant leurs musiques chantées en français montre encore plus les marques de leur style : alternances growls et cris, le tout avec une basse feutrée et une batterie bien présente, sans oublier ces leads cosmiques qui viennent bien ciseler l'ensemble. Pourquoi est-ce plus visible en français ? Parce que j'ai découvert Beyond Creation avec « Sous la Lueur de l'Empereur » et que je trouve que, dans cette langue, le phrasé est vraiment particulier. D'ailleurs, les deux morceaux se ressemblent, si ce n'est que les guitares semblent plus marquées, et le son plus en relief sur « Entre Suffrage et Mirage ».
On aura aussi droit au moment qui rompt le flux : dans « Sous la Lueur de l'Empereur », c'était une partie à la basse, dans « Entre Suffrage et Mirage » c'est les percussions du premier titre introductif, pour un solo tout en douceur. On ne sera pas surpris, mais on appréciera cette caresse si on aime le son de Beyond Creation qui est, je trouve, un des rares à autant maîtriser cette tonalité tendre malgré la lourdeur environnante.
Cette inquiétude balayée, et fortement impliqué dans les écoutes de cet album, je me laisse embarquer, et je découvre avec stupeur d'autres surprises que distille le groupe.
Et la plus grande pour moi a été « Ethereal Kingdom » (hey, ils se passé le mot avec Obscura qui a fait un « Ethreal Skies »?!). Pourquoi est-ce qu'elle m'a cloué sur place ? D'abord, le titre ne ment pas, en commençant de manière envolée et paisible – éthérée, quoi. Et ceci nous amène à un traitement du son inhabituel pour le groupe : le plan à la guitare, les nappes derrière, la basse qui s'invite sur une batterie très jazzy. Puis vient la mélodie en tapping à 1:02, s'ajoute un growl lent... Tudieu, mais c'est vraiment du
GOJIRA dans le texte ! Et vous savez à quel point je suis moyennement fan de ce mastodonte français...
Là, ça fonctionne tellement bien, car ça ajoute de la variété, de la diversité à leur style qui a pu être jugé trop figé.
Cependant, je sens une question que vous pourriez vous poser : à tenter plusieurs choses, ne sont-ils pas en train de se perdre ?
Au contraire, et soyez-en assurés ou assurées : leur quête de nouveaux horizons est profitable, et même judicieuse tant ça apporte de la pertinence.
Dans le rendu global, les titres alternent entre leur style habituel et leurs éléments neufs, qui vont jusqu'à s'éloigner du Death Metal. Ainsi, « Binomial Structures » pose un style à la EXIVIOUS pour commencer. Que ce soit dans la batterie, la basse ou les notes de guitare, on a quelque chose de très Jazz Metal, et je pense que c'est là que peut se trouver la suite de Beyond Creation. Mettre de côté le Tech Prog pour du Jazz Prog Fusion aux couleurs variées, plus audacieuses mais aussi plus dangereuses – car ce serait entamer une totale métamorphose. On a là un morceau instrumental qui n'a rien à voir avec « Abstrait Dialog » qui proposait une version sans voix du style Beyond Creation. Ici, on sent la volonté d'aller plus loin dans les arrangements, de remplacer la voix par d'autres pistes. C'est excellemment bien mené, et je salue cette prise de risque de vouloir explorer d'autres facettes de leur musique sur un registre différent, finalement bien loin du Death Metal, et plus proche d'un Prog léché.
On en vient alors au seul défaut qu'on pourrait signaler : est-ce qu'on va accrocher à ce voyage ? Là-dessus, je ne peux pas dire grand chose, il faudra accepter des parties typiques de Beyond Creation et, pour voir si vous allez les apprécier, prenez « The Inversion » : ce véritable tube de l'album reste dans la droite lignée du morceau
« Earthborn Evolution » avec cette basse qui caresse les oreilles et cette rupture qui conduit à des murmures simplement délicieux. Rien à jeter, pour moi on est dans une perfection de leur style.
Une impasse peut-être ? Car après trois albums, je vois difficilement ce qu'ils pourront faire ensuite. Je leur souhaite bien du courage, ça va être difficile de franchir une nouvelle étape. Mais ils ont suffisamment de ressources pour parvenir à nous surprendre et à nous guider vers un autre voyage.
Peut-être est-ce justement ces ressources nouvelles qui vous laisseront de marbre ? Dîtes-vous que l'ensemble termine sur un « The Afterlife » qui est... Comment dire ? Disons que ça appuie ce que j'ai déjà signalé : ils vont beaucoup, beaucoup plus loin dans leur jeu sur les nuances. Chaque élément est parfaitement agencé, réfléchi tout en étant à sa place de manière organique, et ce même pour les éléments orchestraux. C'est élégant sans forcer, beau sans prendre la pose et se regarder le nombril. C'est finement mesuré, tout en étant sincère, en évitant l'écueil de vouloir afficher ses artifices. C'est équilibré.
C'est
juste – et j'insiste sur la pureté nue de cet adjectif isolé.
Je suis sans doute moins porté que par Earthborn Evolution qui m'avait mis une réelle baffe quand je l'avais écouté en 2015 – dans des dispositions personnelles qui ont fait que j'étais ultra réceptif à cette musique certes moins digeste, mais plus tranchée, plus radicale. Plus équilibré, Algorythm parvient à me plaire de plus en plus. Il faudrait être de mauvaise foi pour ne pas lui reconnaître de grandes qualités : le groupe a cherché à élargir son champ musical, notamment en faisant des morceaux plus variés, avec des touches vraiment reconnaissables et identifiables, sans transiger quoi que ce soit dans leur style d'origine. C'est d'une cohérence solide et d'un sens du dosage qui me font me dire : « Qu'est-ce qu'on aura après ? Parce que là, quand même, y a du niveau. » Je suis curieux de voir comment le groupe arrivera à proposer quelque chose d'aussi fort après un tel niveau.
Bien joué les québecois !
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