Il faudra vous y faire, la Pologne est, décidément, pourvoyeuse de formations de grande qualité. Tu pensais en avoir fait plus ou moins le tour ? Avoir écouté ce que sa scène pouvait proposer de plus intéressant ? Perdu. Tu n'es jamais à l'abri d'une surprise, parfois de taille, pendant tes pérégrinations sur Bandcamp, Youtube, ou lors de tes habituelles visites dans ta distro préférée. Ars Magna Umbrae s'inscrit dans la droite lignée de ces formations qui sortent de nulle part, et proposent un art de haute-volée, à la fois pétri d'influences et très personnel, tout en se payant le luxe d'avoir fait son petit bout de chemin tout seul, dans son coin. Le one-man band qui nous intéresse aujourd'hui ferait presque figure de petit prodige, à la fois très jeune (à peine un an d'existence), et auteur d'un simple essai l'année dernière, petit EP de vingt-deux minutes, vite transformé par le full-length qui a débarqué sur Bandcamp en Octobre dernier.
Personnellement, c'est toujours, bien avant les extraits ou l'historique d'un groupe, la pochette d'un disque qui me décide - ou non - à me pencher sur son contenu. Le Black Metal étant l'un de mes genres de prédilection, j'ai bien vite saturé des habituelles photographies en noir et blanc de forêts, des typographies gothiques Old London et tout le
decorum habituel. Vu le nombre de sorties qui nous passent sous les yeux, c'est devenu un vrai critère de pré-sélection. Autant dire que la superbe pochette de ce
"Lunar Ascension", peinte par le talentueux
Babar Moghal, m'a décidé à acquérir l'opus et à m'y pencher. Minutieusement exécutée, fourmillant de détails, et formant pourtant un ensemble diablement attirant et prenant, elle est à l'image de l'album tout entier.
"C'est presque une pochette qu'on pourrait retrouver dans le roster d'un célèbre label italien qui monte, monte, monte..." Bonne intuition, puisque ce premier
full-length d'Ars Magna Umbrae bénéficiera d'une sortie chez I, Voidhanger Records en Janvier prochain.
D'ailleurs, musicalement,
"Lunar Ascension" ne fera pas tâche d'huile à côté de ses nouveaux camarades de classe. Il en serait presque insolent : réussir son premier long-format à ce point, c'est quand même fort, à en susciter des jalousies. Loin d'être un premier de la classe, où d'être vantard (alors qu'il le pourrait, quand d'autres formations bien moins qualitatives ne se privent pas pour faire mousser leurs daubes), K.M. semble faire ses bricoles dans son coin. Si ça plaît, tant mieux, si ça ne plaît pas, ça ne l'empêchera pas pour autant de continuer.
Dans ce sous-genre qu'est le Black Atmosphérique, il est toujours tentant de céder à l'appel de la tartine, c'est-à-dire sortir des morceaux et albums à rallonge, étaler trois accords sur deux minutes en épaississant la sauce avec un clavier rachitique et faire passer ça pour de l'art. Ars Magna Umbrae tire son épingle du jeu, en réussissant à ne jamais lâcher l'attention de l'auditeur, grâce à la durée raisonnable de l'album et de ses morceaux (le plus long fait moins de six minutes) mais surtout à ce talent, rare, de condenser toutes ses bonnes idées et les exécuter avec brio dans le temps qui lui est imparti. Et le bougre se paye le luxe de nous mener en bateau ! "Through Thorns and Bones", dès le démarrage, fait craindre le pire : Encore un énième clone de DsO ? Fort heureusement, non, ce n'est que l'ouverture. Le reste des huit titres sait s'affranchir de l'ombre du Maître.
Que c'est plaisant, de retrouver une production aussi léchée sur un premier album... Une boîte à rythme correctement mixée, qui ne se contente pas des samples de base, des guitares qui ne prennent pas toute la place dans le mix, une voix correctement posée... D'autant qu'elle est au service de compositions fort bien écrites.
"Lunar Ascension" est bien plus que sa pochette pourrait laisse imaginer. En gardant pour fil rouge un
feeling très imposant, presque majestueux, Ars Magna Umbrae pioche chez ses pairs ce qui fonctionne pour les incorporer à sa mixture - qui fonctionne. "Daughter of Endless Light" et ses tremolo enflammés rappellent les plus belles heures d'un Darkspace, par exemple. On pourrait aussi s'attarder sur cet espèce de son "à l'Islandaise", presque étouffant par moment, immensément ésotérique, qui sied parfaitement à l'opus. Quoiqu'il en soit, le bonhomme sait composer, c'est indéniable, puisque les morceaux violents ("Dying Sun Divination") fonctionnent aussi bien que les longs passages contemplatifs, plus posés (le superbe morceau titre), n'oubliant jamais de riffer de façon irrésistible (le motif principal de "Fallen Star's Light"). Qu'on aime son BM quand il est tordu ou beaucoup plus frontal, on trouvera forcément quelque chose à grignoter sur ce premier
full-length.
Décidément, la fin d'année nous aura permis de découvrir bon nombre de petites formations qui, si elles ne payaient pas forcément de mine, se sont révélées être bien plus intéressantes que d'autres groupes bénéficiant de plus d'exposition. Pour un tout premier album, Ars Magna Umbrae défend son steak avec une force et une inventivité qui forcent le respect. Jamais lassant, toujours surprenant dans la minutie de son artisan et impressionnant lorsqu'il s'agit de décaper,
"Lunar Ascension" est un petit bijou brut à découvrir au plus vite.
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