Lunar Shadow - The Smokeless Fires
Chronique
Lunar Shadow The Smokeless Fires
Promesse tenue. Cette expression, je pourrais tout aussi bien l’appliquer à moi-même, qui avait détrôné « Mana » de mon propre chef dans ma précédente chronique en annonçant haut et fort que le prochain album allait sans conteste remporter cette place unique d’album of the year, comme je pourrais également l’appliquer au groupe dont il est question aujourd’hui, par bien des aspects. Je pense avoir pas mal bassiné mon entourage avec Lunar Shadow, en répétant à quel point c’était mon groupe de metal préféré de ces dernières décennies. Ici, sur Thrashocore, je leur avais témoigné mon amour bien plus indirectement, d’abord au travers de l’interview que j’avais réalisée en Février dernier puis au travers de ma dernière chronique en date. Et pourtant, jusqu’à présent, aucun article concret (entendons « aucune chronique ») n’avait été réalisée sur ledit groupe. Rattrapons donc ce temps perdu.
Lunar Shadow est un groupe allemand formé en 2014 et officiant dans un heavy metal aux fortes racines old-school ponctué de nuances plus sombres et mystiques qui se détachent assez nettement, le groupe n’hésitant pas à revendiquer certaines influences black metal. Le groupe se démarque aussi par une certaine complexité dans les arrangements et dans la construction de leurs chansons, y donnant un petit côté « prog » et pouvant être comparées à certains travaux d’Iron Maiden ou de Slough Feg. Le groupe se compose de cinq membres, Max « Savage » Birbaum et Kay Hamacher aux guitares, Sven Hamacher à la basse, Jörn Zehner aux fûts et Robert Röttig au chant. Cette jeune formation n’a que trois sorties au compteur, un EP nommé « Triumphator » en 2015, un premier album « Far From Light » en 2017 et un deuxième, dont la sortie officielle est prévue pour le 21 Juin prochain mais déjà disponible sur plusieurs plate-formes de streaming, « The Smokeless Fires ».
Maintenant que les présentations sont faites, revenons au tout début: pourquoi « promesse tenue »?
Quand j’ai écouté « Far From Light » pour la première fois, je n’en revenais pas. Je ne suis pas forcément friand de black metal (ce genre a d’ailleurs plutôt tendance à m’agacer même si je peux prendre mon pied sur certains groupes) et je n’accroche pas au prog autant que certains de mes amis mais pourtant j’ai bien dû reconnaître que c’était ces influences-là qui donnaient une saveur si particulière au groupe. De cette manière, je ne pouvais même pas concevoir qu’une telle musique pouvait être composée; l’oeuvre m’apparaissait mystérieuse, inaccessible quelque part, mais j’étais irrémédiablement attirée par elle. Je la trouvais parfaite, alors que pourtant quelques points demandaient à être revus, mais bien sûr je ne pouvais pas faire preuve d’un tel recul, surtout quand cette oeuvre était également la dernière en date. Maintenant que « The Smokeless Fires » est sorti, les rares faiblesses de « Far From Light » apparaissent plus nettes, montrant que le groupe a évolué et a avancé, sans néanmoins renier ses racines.
L’album s’ouvre sur « Catch Fire » et sur quelques magnifiques accords jouées au piano. Directement, nous découvrons la première surprise de cet album: comme Max me l’avait dit il y a quatre mois, cet album voit l’apparition d’un piano en guise d’instrument secondaire (parfois principal, comme dans le morceau « Pretend » sur lequel nous reviendrons plus tard). Cette mélodie est intéressante: mélancolique, pouvant rappeler la période romantique, les mélodies sont construites sur les mêmes gammes que celles joués par les guitares; en somme, cette introduction nous joue un premier riff, plus doux et plus calme. Les guitares arrivent rapidement et l’on y retrouve la marque de fabrique du groupe: quelques mélodies jouées en twins guitars, des guitares dont les mélodies se complètent très bien l’une l’autre, avant de faire place au premier main riff de cet album. Ici, deuxième surprise: le groupe a ajouté une nouvelle influence à son deck, celle du thrash. Le riff est bien moins mélodique qu’on pouvait attendre et est nettement plus rapide et efficace, soutenu par une batterie très dynamique – assez rare, venant de ce groupe.
Cette nuance de thrash metal n’est pas passagère: au contraire, elle forge l’identité de cet album, qui se révèle être bien plus dynamique que son prédécesseur, plus rêveur, comme si la passion était non plus un moteur d’espérances mais de dynamisme et d’entrain. Dès lors, on trouve bon nombres de passages bien énervés: le riff de transition de « Catch Fire », le refrain de « Conajohara No More » et son blast beat, « Laurelindorenan », qui mélange habilement heavy, speed, power et thrash metal et qui utilise des codes plus modernes, notamment la double pédale, et quelques passages dans « Hawk of the Hills » dont, ici aussi, nous reviendrons plus en détails.
Qui dit Lunar Shadow, dit, forcément, riffs magnifiques et passages instrumentaux à rallonge. Ici aussi, le groupe a tenu sa promesse, car sans se répéter ni sans radicalement changer, il nous offre toute une nouvelle palette de riffs mémorables, de différents types, qu’on aura du mal à se sortir de la tête tant on les aura écoutés. Citons en vrac: le main riff de « Catch Fire », les mélodies en tremolo picking qui suivent, le riff de transition de « Conajohara No More », le riff de transition, à mi-chemin, de « Roses », le sublime lead de « Laurelindorenan » et l’intégralité des notes de « Hawk of the Hills » (ouais, j’aime bien ce morceau). Concernant les passages instrumentaux, on aura quelques pépites, notamment celle de « Red Nails » avec ses multiples changements, passant de breaks à riffs à soli et le solo de « Conajohara », très complet, composé en plusieurs parties.
Mais une fois que vous aurez assimilé toute cette foultitude de riffs et de mélodies, de passages instrumentaux, de breaks divers faisant appel à des guitares cleans ou sèches, il vous faudra porter votre attention… sur tout le reste. Oui, cette oeuvre est presque inépuisable tant elle regorge de contenus variés. L’album est « prog », en cela qu’une simple écoute ne suffira pas à tout comprendre, il teste de nouvelles sonorités, tente de nous faire éprouver de nouvelles émotions… en soi, chaque morceau fonctionne indépendamment, il raconte une histoire, une aventure musicale en quelques sortes, dont il faudra de la patience pour bien la maîtriser.
L’album tempère son dynamisme au travers de deux morceaux notables. Le premier, « Roses », qui est, à mon goût, le titre qui décrit au mieux l’identité du groupe. Il pourrait s’apparenter à une semi-balade: on y retrouve beaucoup de guitares clean, qui donnent un petit côté « new wave » au morceau, qu’on pouvait également trouver chez Idle Hands. Le chant est bien plus calme et mélodique, le refrain et le pré-refrain sont accrocheurs et le riff de transition est absolument magnifique, complétant parfaitement les nombreuses mélodies vocales. Les accords à la guitare clean qui suivent, eux, rappellent quelque part « Gone Astray », la balade de leur premier album. Le second titre suit « Roses », « Pretend », qui est la fameuse balade au piano dont Max m’avait parlée lors de son interview. On retrouve ici aussi les guitares clean et leur son unique, hypnotique, ainsi que de belles mélodies au piano rappelant celles de « Catch Fire ». Une chanson sobre et discrète mais efficace et qui trouve parfaitement sa place dans l’album.
Le dernier morceau, « Hawk of the Hills », est considéré comme étant le meilleur, à en voir les critiques des fans – étant moi-même de cette avis je ne trouverais rien à en redire. Quelque part, c’est le plus « Lunar Shadow » de leurs morceaux, dans le sens où les codes que le groupe s’est lui-même défini y sont le plus fidèlement appliqués. Il commence avec plusieurs accords doux à la guitare sèche qui nous le fait instantanément aimer puis, une progression très classique de mélodies en tremolo picking, ponctué de blast beat, avant de nous introduire de supers riffs que l’on retrouvera dans le refrain. Passé la moitié du morceau, les riffs sont plus lourds mais toujours aussi prenants, et l’on est presque triste qu’il se termine… mais il faut se faire une raison et le titre se conclue d’une manière assez sobre mais suffisante pour terminer correctement un album.
Quand je parlais de faiblesses sur « Far From Light », il fallait plutôt entendre « points que j’aurais aimé voir retravaillés », à savoir, un son de guitares léger, bien pour toutes les mélodies mais assez faiblard pour les parties plus heavy ainsi qu’un chant trop en retrait. Ici, mes voeux se sont vus exaucés: de par les influences plus thrash, le mix donne un son plus lourd aux guitares et le chant du nouveau Robert Röttig est nettement plus marquant, à l’image des cris impressionnants qu’il pousse dans « Hawk of the Hill » ou dans « Conajohara No More ».
Les passions les plus ardentes des musiciens (ces fameux « feux sans fumées », à l’image de ce couple sur la pochette) et la persévérance auront aboutis à cette oeuvre épique, aux influences multiples, qui sait se garder mystique, mystérieuse et sombre, et qui plaira à un vaste panel d’oreilles sensibles. Dès lors, paraphrasant Lautréamont, plût au ciel que l’auditeur trouve son chemin à travers les marécages désolés de ces chansons pleines de poison.
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