Voilà déjà deux ans qu'est sorti
Far From Light, l'album avec lequel Lunar Shadow franchissait un nouveau cap musical et qui m'avait parfaitement emballé. Voilà déjà deux ans également que leur tête pensante, Max Birbaum, m'a donné une interview que vous pouvez retrouver en ces lieux, une interview au sein de laquelle il m'évoquait, entre autre, sa volonté de quitter progressivement la sphère metal pour embrasser celle du post-punk, une volonté confirmée l'année dernière lors de l'annonce de ce troisième disque,
Wish to Leave, sorti chez la même écurie et comptant les mêmes compagnons d'arme. Et effectivement, depuis la sortie de leur premier EP
Triumphator en 2015, il est impossible de nier l'évolution musicale du quintette allemand. Désormais, il serait plus pertinent de comparer Lunar Shadow avec des groupes comme In Solitude pour leur iconique
Sister ou Idle Hands - récemment renommé Unto Others - avec leur non moins culte
Mana, ce genre de heavy metal pessimiste qui incorpore à sa musique des influences tirées du rock gothique des années 70, par l'utilisation abusive de guitares cleans et de reverb ou par l'incorporation de synth bass. Pour autant, Lunar Shadow reste lui-même et tout ceux ayant déjà écouté un de leurs précédents albums reconnaitra immédiatement leur patte artistique au commencement de "Serpents Die". Pour autant, si cet album se rapproche davantage de
The Smokeless Fires que de n'importe quel autre, il lui ressemble un peu trop au point d'en être parfois une copie, parfois en moins marquant. Avec une telle volonté réitérée par le maestro du groupe, l'on pourrait s'attendre à voir Lunar Shadow prendre un nouveau tournant bien marqué ; il n'en est rien, du moins ce tournant n'est que timide, comme s'il n'était pas encore bien assumé.
L'on sent bien pourtant que le groupe a voulu oser un nouveau changement de cap avec toutes ces sonorités lugubres et alternatives que l'on retrouve dans le disque ; d'ailleurs, le ton est donné dès l'opener
Serpents Die, dont la première moitié de couplet repose sur un duo batterie au pattern simpliste / bass synth sur lequel se rajoute ensuite la voix, à la manière d'un Cure ou d'un New Order ou l'intro de "I Will Loose You" au style Joy Division en version plus sensible et romantique. Le groupe s'essaie aussi aux pads ambiants, aériens, avec un bruit de fond sourd mélangeant vent et noise qui accompagne la totalité de "To Dusk and I Love You" et qu'on entend clairement à la fin du morceau, lui conférant un côté éthéré et sombre. Dans d'autres registres, le groupe ne renie pas non plus ses autres influences avec ce riffing très heavy, limite thrash, reposant sur de la corde à vide bien hachée sur "Delomelanicon". On compte également, pour la touche "rock de papy", ce solo discret dans "To Dusk and I Love You" qui peut rappeler les méfaits des vieux Wishbone Ash, une des grandes inspirations de monsieur Birbaum, ou bien ces quelques accords d'orgue façon Deep Purple en arrière-plan de "And Silence Screamed". Enfin, et le groupe ne s'en est jamais caché non plus, on retrouve également cette touche black metal qui a toujours accompagnée le groupe en toile de fond ; si la première partie du couplet de "Serpents Die" rappelle le rock gothique le plus traditionnel, la seconde s'apparente davantage au métal noir avec des riffs en tremolo picking. Si dans certains morceaux comme celui-ci ou comme "And Silence Screamed" cette influence est bien timide, elle est au contraire totalement assumée dans le morceau de conclusion, "The Darkness Between the Stars" avec une seconde partie qui s'énerve et qui part en riffing black accompagné de blast beat et qui compte même un excellent couplet chanté en voix très rauque, à la limite du chant guttural, avant de se calmer vers 7 minutes, comme après le passage d'un orage.
Le chant, d'ailleurs, n'a jamais été le fort de Lunar Shadow - force est de le reconnaître. Pour un groupe dont les débuts sont très "manowariens" - il suffit de voir la pochette de leur Ep
Triumphator et de lire les paroles des morceaux -, l'on est loin, très loin même, d'un nouveau Eric Adams. Pourtant, le chanteur actuel de la formation allemande, Robert Röttig, n'est en poste que depuis 2018, pour la sortie de leur second disque
The Smokeless Fires, et son prédécesseur ne se distinguait pas non plus par son coffre exceptionnel et son talent à monter dans les aigus, ce qui laisse entendre que cette voix timide, presque faiblarde par moments, est une volonté artistique de la part du reste du groupe. Force est également de constater que pour un heavy metal de cette trempe, tout en mid-tempo - l'on en compte bien plus que dans les disques précédents -, en breaks, en guitares cleans et en sonorités post-punk, un chant doux et tendre correspond bien mieux qu'un Rob Halford, un Udo ou un Eric Adams capable des hurlements les plus forts. Pour autant, ce qui apparait ici comme une force montre également son principal défaut tout au long du disque ; le chant n'a rien de vraiment marquant à proposer. Aucun grand refrain fédérateur, aucune mélodie qui reste dans la tête, tout juste "And Silence Screamed" qui affiche un côté plus accessible permis non pas par le chant mais par les riffs plus catchy et accessibles que les autres mélopées langoureuses que l'on retrouve partout ailleurs. Lunar Shadow est pourtant capable de lier les deux et
The Smokeless Fires en est un excellent exemple : lent, triste, sombre mais souvent capable de mélodies vocales qui s'envolent parfois complètement et qui restent bien en tête. Ici, donc, malgré une formule presque synonyme, le chant reste un peu trop en retrait.
Synonyme, cette formule l'est d'ailleurs un peu trop à mon goût, et constitue le principal tord que l'on peut adresser à la formation allemande. L'une des caractéristiques les plus marquantes de Lunar Shadow, c'est cette volonté d'aller toujours plus loin dans le processus de création, quitte à s'éloigner complètement de ses origines et ce très rapidement ; il n'y a en effet plus beaucoup de rapports entre
Triumphator - sorti il y a "seulement" six ans ! - et
Wish to Leave. Cette transition, vous vous en doutez, ne s'est pas faite instantanément d'un jour à l'autre ; les morceaux doublent en longueur, en complexité et en noirceur dans le magistral
Far From Light, adoptent un côté rock gothique dans
The Smokeless Fires et muent complètement en post-rock avec
Wish to Leave... du moins, c'est ce que Max Birbaum aurait aimé. Dans les faits, et malgré toutes les nouveautés apportées, ce nouvel album renvoie beaucoup trop souvent à son prédécesseur, comme un oisillon trop jeune pour quitter le nid et cherchant la protection de son parent. Il suffit d'écouter le titre final "The Darkness Between the Stars" pour s'en convaincre ; pour sa grande majorité, ce titre est un copié - collé moins marquant du final du précédent disque, "Hawk of the Hill". La construction y est très similaire : intro aux guitares cleans, solo de gratte puis envol avec un riffing qui vire franchement black metal par moments, sans oublier cet aspect apothéose représenté par la longueur du titre (sept minutes pour "Hawk of the Hills", presque dix pour "The Darkness Between the Stars"). Le couplet suit ce même mimétisme : première partie bien calme et accélération par la suite - un procédé que l'on ne retrouve d'ailleurs pas que dans ces deux morceaux, puisque l'opener "Serpents Die" rappelle celle de
The Smokeless Fires, "Catch Fire", sans les douces notes de piano. En fin de compte, malgré tout le talent d'exécution de ce nouvel album et malgré son orientation timide post-punk, les plus grands reproches que l'on puisse faire à
Wish to Leave sont de trop ressembler à son prédécesseur malgré une volonté affichée de changement, et que ce changement en question ne soit que trop timide. Un véritable album de shoegaze / post-punk par Lunar Shadow, sans presque aucune influence metal ? Je signe immédiatement. Pour ça, il faudra attendre encore sûrement quelques temps, mais peut-être pas bien longtemps, le groupe n'étant pas connu pour rester sur ses acquis.
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