L'année 1985 voit l'Union Soviétique entrer dans une nouvelle et dernière phase politique de son existence avec le début des réformes de la
perestroïka, menées par Mikhaïl Gorbatchev. Cette politique qui vise à moderniser un Etat en retard sur bien des points (nous n'entrerons pas dans les détails, n'étant pas spécialiste de cette période et ne considérant pas utile le fait de devoir approfondir davantage) a des répercussions sur le domaine de la culture et celui de la musique, qui se calque davantage sur le modèle américain où la scène thrash metal bat alors son plein. De ce fait, le label d'Etat Melodiya élargit son catalogue pour intégrer Aria, comme vu dans la chronique précédente, comme une preuve d'ouverture sur l'Occident - il suffit de chercher sur Internet des documents d'archives listant tous les groupes et artistes cultes de hard rock de heavy metal et autres musiques "occidentales" interdits en URSS afin de s'en convaincre.
Le succès d'Aria entamé sur
Geroi asfalta (1987) peut donc en partie s'expliquer par cette politique d'ouverture sur l'Occident - en plus de la qualité de la musique, cela va sans dire. Il faut deux ans pour que Aria aboutisse à un quatrième album, titré
Igra sagnom à une époque où la chute d'une URSS délabrée est proche et avec elle s'accompagne déjà un premier sentiment de nostalgie pour cette période révolue : certains titres, une fois traduits, sont assez évocateurs ("Qu'avez vous fait de votre rêve ?", "Ebranlons ce monde", "Esclaves de la peur" ou "Le combat continue"). L'album, quant à lui, se nomme
Igra sagnom ou "Playing With Fire" et nous propose une des pochettes les plus marquantes du heavy metal, avec ce robot limite kitsch aux aspects tout à fait rétro. Toutes les chansons sont composées par Dubinin, le bassiste, et par Kholstintin, le guitariste. Les paroles, quant à elles, sont signées de la main de la parolière Margarita Pushkina.
Musicalement, peu de choses démarquent
Igra sagnom de son prédécesseur et, avec une formule toujours aussi efficace et des compositions suffisamment variées pour ne pas avoir une impression de déjà-vu, Aria signe ici l'un de ses plus grands albums, qui est tout particulier à mes yeux puisque c'est par celui-ci que j'ai découvert les Russes. Plus particulièrement, j'ai été marqué par l'opener "What Have You Done With Your Dream ?", à la cadence particulièrement soutenue et au ton plus qu'épique (ce tapping durant le pré-refrain, bon sang !). Le morceau a tout pour plaire : une intro avec de belles guitares cleans, une montée qui nous met en haleine, des power chords furieux dans le couplet, un Kipelov déchainé dans ses paroles, du tremolo picking par moments, des leads en mineure harmonique, un refrain terriblement catchy que je chanterais probablement tous les jours s'il avait été écrit en anglais, un solo très inspiré avec une performance remarquable dans le shred des deux grands guitaristes Sergei Mavrin et Vladimir Kholstintin et une structure globale relativement simple à comprendre (intro - couplet - refrain - couplet - refrain - solo - refrain - pont - fin) qui donne un côté accessible et "tubesque" au morceau.
Tout le meilleur d'Aria réside donc dans ce titre et sa pôle position le rend incontournable. Mais il arrive des fois qu'un album mette toute son énergie dans un premier titre plus catchy que les autres pour relâcher ses efforts sur les autres. En est-il de même ici ? Bien heureusement non. L'écriture est toujours aussi variée. Niveau riffing, on a tantôt de beaux leads mélodiques en tierce sur "Slaves of Fear", tantôt des riffs plus fédérateurs et "tubesques" à en faire lever le poing avec le
main de Playing With Fire, le morceau le plus ambitieux de l'album avec ses neuf minutes. Les soli sont également inspirés. J'ai déjà parlé de ceux de l'opener mais pas encore des autres : citons le shred de "Fight is Going On", le sweep de "Let's Rock this World" et le solo du morceau-titre comme exemples de composition et d'exécution parfaite. Certaines influences se font également ressentir avec notamment le riff de break de "Fight is Going On" et son tremolo en harmonie moins joyeux et davantage thrash. La plus évidente de ces influences, bien sûr, c'est Iron Maiden : à ce sujet, on peut citer le reste de "Fight is Going On" qui rappelle "Somewhere in Time" ou l'intro de "Let's Rock this World" qui peut faire penser à à peu près n'importe quel titre sur
Piece of Mind. Le break aux cleans de "Playing With Fire" et ses
spoken words, lui, eux, font très Maiden période Powerslave.
Valery Kipelov, toujours en forme, continue de même de nous délivrer de grands moments. Cela passe par les couplets de "What Have You Done With Your Dream" et son ton furieux pour passer sur le refrain épique de "Slaves of Fear" et de "Temptation" ou celui, plus fédérateur de "Let's Rock this World" ou même du dernier titre, "Kick Some Ass!", qui conclut l'album et qui apparait comme le morceau le plus léger de tout l'album avec une atmosphère beaucoup moins sérieuse que sur d'autres titres comme "Fight is Going On" et qui propose une poignée de riffs plutôt sautillants et un chant qui se prend clairement pas la tête. Après un tel album, frôlant parfois l'engagement politique, conclure sur une note légère permet de changer un peu les esprits.
Assurer un album aussi bon que
Geroi asfalta était une tâche compliquée ; mais impossible n'est pas Aria avec ce
Igra sagnom qui, approfondissant la formule ébauchée sur le disque précédent, est un véritable chef d’œuvre du heavy metal, pouvant être rangé parmi les autres monuments du genre. Varié, efficace, catchy, permettant à tous les instruments de briller à un moment où à un autre, alors que Kipelov et Kholstintin sont au meilleur de leur forme, cette pépite mérite d'être remise au goût du jour de temps en temps pour qui n'est pas trop regardant sur les liens un peu trop étroits tissés avec Iron Maiden.
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