Spell - Opulent Decay
Chronique
Spell Opulent Decay
Vous connaissez déjà sûrement ma tendance à préférer mon heavy metal teinté de mélancolie très personnelle et à ralentir un peu la cadence par sagesse, comme mes chroniques sur Lunar Shadow ou Idle Hands ont pu le montrer. Aujourd'hui, j'inclue dans ce cercle très fermé la plus âgée formation Spell, officiant depuis sa naissance en 2007 sous le nom de Stryker avant de changer en 2013 pour celui qu'on connait aujourd'hui, et je l'inclue un peu par hasard je dois dire. Je suis la formation canadienne depuis un certain temps, depuis la sortie de leur premier album The Full Moon Sessions sorti en 2014 à vrai dire, et déjà à l'époque je trouvais à ce groupe une patte artistique assez intéressante. Musicalement, on avait affaire à un mélange de hard rock et de heavy metal imprégné d'occultisme, renvoyant aux méfaits des années 70 de Black Sabbath, Coven ou de Lucifer's Friend, avec une petite touche mélancolique. Je ne la suivais pas de près, cependant, étant donné que leur album était plutôt scolaire : une formule suivie à la lettre, exécutée avec brio mais manquant encore de panache pour se distinguer. Deux ans plus tard sortait For None and All où le groupe se montrait plus audacieux. Il aura fallu attendre quatre années supplémentaires pour qu'en Avril dernier sorte Opulent Decay, un album qui marque enfin la complète émancipation de Spell de son style original pour adopter une patte artistique bien plus libre et personnelle.
La pochette parle d'elle-même : il est peu commun de la part d'un groupe de heavy metal traditionnel de proposer quelque chose épuré de tout logo ou titre, affichant simplement un monde Lovecraftien, comme pour nous mettre en condition avant de se lancer dans l'écoute du disque. Et effectivement, pour du heavy metal, on a affaire ici à des mondes très hallucinés. Certainement sensibles aux fruits psychédéliques des substances douteuses, le groupe teinte certains morceaux comme l'opener "Psychic Death" de mélodies assez aériennes nous propulsant immédiatement dans une autre dimension, avec ces quelques notes introductives qui servent également de refrain. Cette simplicité dessert également une certaine efficacité, à l'image du morceau suivant, l'éponyme, dont le refrain n'a rien de foncièrement renversant mais qui s'imprègne facilement dans l'esprit. Dans "Primrose Path", les riffs deviennent anecdotiques et passent derrière l'ambiance imposée par le couple basse-batterie, avant de plonger dans une atmosphère encore plus poignante sur la fin du morceau, appuyée par des claviers. La courte "Ataraxia" ne comporte rien d'autre que la voix réverbérée formant un ensemble de chœurs aux côtés cérémoniels. Enfin l'introduction de "The Iron Wind" est à mon goût l'ambiance la plus marquante de tout l'album car, de mémoire, je n'ai jamais rien entendu de mélodies pouvant aussi bien coller au terme "grisaille". Presque lugubre, elle est l'antithèse de la nostalgie, en me faisant penser à une scène de vie quotidienne dans les années 20 où l'on ne souhaiterait absolument pas se rendre tant elle est peu attrayante (oui, c'est précis, mais j'ai de l'imagination).
Les ambiances plutôt morbides - sans non plus avoir affaire à quelque chose de dépressif - prennent donc une place prépondérante dans l'album et je n'ai cité que les exemples les plus marquants. Concernant le set instrumental, on ne peut pas non plus passer à côté de cette influence rock gothique avec toutes ces guitares cleans réverbérées qui sont bien souvent au premier plan lors des couplets de "Psychic Death", de "Sibyl Vane", autrement dans "Iron Wind", "Dawn Wanderer", et "Deceiver". Inévitable, également, ce clin d’œil à Iron Maiden plutôt bien appuyé dans la mélodie principale de "Opulent Decay" pouvant être synonyme d'un "Fear of the Dark" ou du lead mélodique de "Dawn Wanderer". Dernier spectre musical influent mais sûrement pas le moins important, l'héritage rock n roll/hard rock balbutiant des années 70. On l'a déjà sous-entendu avec ses côtés psychédéliques et occultes que l'on retrouve tour à tour tout au long de l'album mais on peut également évoquer le cas du premier riff de Sibyl Vane qui me fait furieusement penser à la ligne principale de "Black Dog" de Led Zeppelin. Dans ce registre, "Imprisoned by Shadows" est bien plus terre-à-terre, dans une veine bien plus rock n roll avec ses soli et ses riffs.
Le chant parvient lui aussi à s'offrir une place privilégiée dans cet album, en cela qu'il accompagne véritablement le morceau avec d'une mélodie qui peut être entêtante, procédé déjà utilisé sur le précédent album et que l'on retrouve plus généralement dans des groupes de heavy traditionnel assez mélodiques comme Night. On mentionnera alors les superbes couplets de "Psychic Death", le refrain de "Opulent Decay" et les chœurs cérémoniels et imposants de "Ataraxia".
Je le conçois bien, cette chronique déjà épaisse ne peut rendre fidèlement hommage à cette œuvre en abordant tout ce qu'il y a de remarquable pour éviter la chronique-fleuve mais, pour synthétiser le tout, je me dois de dire que Opulent Decay, savant mélange de rock gothique et de heavy dans la plus pure veine oldschool, est un chef-d’œuvre qui permet véritablement à Spell de se distinguer de la masse de noms dans laquelle il naviguait depuis des années. Aboutissement de plusieurs années de travail, après deux albums réussis mais pas assez osés, cela fait plaisir de voir le groupe prendre enfin son envol en s'affirmant, ce qui ne laisse présager que de bonnes choses pour le futur.
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