Cathedral - The Last Spire
Chronique
Cathedral The Last Spire
Le dimanche cinq février deux mille onze, par un communiqué sur le site du groupe, Lee Dorrian annonçait la fin de Cathedral, avec un concert d’adieu programmé en décembre de la même année, - un très beau souvenir pour votre humble serviteur -, la sortie d’un EP pour cette occasion, A New Ice Age, et, enfin, un dernier album pour marquer le coup et disparaître définitivement. L’on découvrit peu de temps après cette annonce que Leo Smee avait définitivement quitté le groupe pour se consacrer à Chrome Hoof, lui qui avait temporairement laissé de côté la formation entre la sortie de The Garden of Unearthly Delights et The Guessing Game, et qu’il avait été remplacé par Scott Carlson, le Scott Carlson de Repulsion. L’Américain avait déjà assuré l’intérim dans les années mille neuf cent quatre vingt dix. Là où tant de formations ont annoncé enregistrer leur album d’adieu pour revenir quelques années après, souvent appâtés par les très lucratifs festivals d’été, l’on peut encore constater à ce jour que les Anglais ne se sont pas dédits et restent fermes quant à leur séparation. Même si beaucoup de titres furent enregistrés durant ces sessions tenues au studio Orgone de Jaime Gomez Arellano, - faisant renaître au passage, l’éphémère Septic Tank -, dont un titre d’une vingtaine de minutes, et qui sortiront peut être un jour, le groupe n’a plus donné signe de vie, bien que ses musiciens ont multiplié les projets depuis lors ou intégré d’autres formations telles que Death Penalty et Lucifer pour Gaz Jennings, The Skull pour Brian Dixon, et, surtout, With The Dead pour Lee Dorrian.
Qu’attendre d’un album annoncé comme étant le dernier pour toujours, surtout lorsque l’on a été déçu par de tels albums sortis peu ou prou à la même période, j’ai notamment en tête Psalms for the Dead de Candlemass, - présenté tel quel, bien que la suite des événements en sera tout autre. Lee Dorrian avait d’ailleurs expliqué que le fait d’avoir pris la décision avant l’enregistrement de The Last Spire avait libéré le groupe d’une certaine pression. Un premier indice pour le bien nommé The Last Spire, c’est qu’il n’est pas sorti chez Nuclear Blast comme les deux précédents, mais bien sur Rise Above Records, soit le label tenu par Lee Dorrian lui-même, et sur lequel était parue la démo In Memorium en mille neuf cent quatre vingt dix. L’autre détail important c’est le départ de Leo Smee, qui avait marqué de son empreinte sur The Guessing Game: c’en est quasiment fini des aspirations progressives et seventies sur cet album, même si deux ou trois passages nous y ramènent parfois, notamment sur An Observation et ses divers claviers. Et si l’on devait être trivial et assez simpliste, l’on pourrait présenter The Last Spire comme étant le digne successeur de Forest of Equilibrium - c’est à dire le meilleur album de doom metal de tous les temps - et qu’il s’intercalerait très bien entre cet album et l’EP Soul Sacrifice, - la pochette d’Arik Roper étant un gros clin d’œil à celle de Soul Sacrifice, mais les yeux fermés pour le personnage. Oui, Lee Dorrian et Gaz Jennings avaient décidé de mettre les bouchées doubles pour nous servir, enfin, l’album du retour aux sources, ce qui n’avait pas été foncièrement le cas avec Endtyme, même si l’on pourrait y retrouver quelques similitudes.
En effet, rien de tel qu’une mise en bière en revenant à ce doom metal austère et insalubre d’antan, avec ces riffs pesants et hautement passionnés de Gaz Jennings - encore inspiré si j’étais taquin -, et avec un son bien moins brillant et clinquant que sur The Guessing Game, même s’il faut tout de même souligner l’excellence de la production d’Arellano. En effet, Cathedral sonne de nouveau très massif avec un son bien ample tout en ayant retrouvé un côté assez sale et baveux, un peu comme sur l’illustre premier album. Et l’on retrouve ici un côté un peu plus rampant et pernicieux dans la musique et dans les riffs de Gaz Jennings, redevenus plus simples mais avec toujours autant de maestria de la part de ce docteur-ès-doom metal. Qu’il est justement plaisant que ce groupe tellement unique vienne donner une leçon de choses aux jeunes pousses, surtout à une époque de gentrification de ce genre, pour ne pas dire hipsterisation, dont beaucoup ont oublié qu’il était une déclinaison du metal et non une forme de psychédélisme alourdi. Tout cela, on le retrouve dans ce beau manifeste de doom metal qu’est The Last Spire, même si, bien évidemment, ce n’est plus tout à fait les mêmes fanatiques de Black Sabbath que nous avons ici. Et que, forcément, l’on retrouve, ici ou là, quelques traces de leurs riches influences héritées des années soixante dix, comme les acoustiques sur l’excellent Pallbearer ou sur le final tout en mélancolie de This Body, Thy Tomb. Il y a évidemment ces accélérations pataudes dont le groupe a toujours eu le secret, tel un rhinocéros en rut en train de charger et mettant en exergue ce groove unique des Anglais. Effectivement, pour qui suit de plus ou moins loin le quatuor, c’est encore une fois la même chose, avec ces titres à rallonge, cette diction unique de Lee Dorrian, ces riffs directement inspirés de Tony Iommi, et pourtant, c’est fait avec une telle classe, que bon nombre d’apprentis doomsters ont encore de quoi se faire les dents avec cet album.
Il y a en plus cette atmosphère irréelle propre à Cathedral, même si moins portée sur les goules et les Templiers mort-vivants aveugles, avec une coloration plus terne ici, pas aussi suffocante que sur Forest of Equilibrium, certes, mais quelque chose qui se rapporte bien évidemment à la mort. En cela, ne serait-ce que les titres de chaque composition sont on ne peut plus significatifs. L’on peut entrevoir cette construction du caveau pour y déposer le cercueil à la fin d’une procession, mais où l’on exclut toute couronnes et toutes fleurs. Pour une fois, cela sent un peu plus le putride et la décomposition que de coutume, mais avec de la peinture violette pour rendre cela un peu plus grandiloquent. L’entrée en matière ne trompe pas avec ses cloches funèbres et son annonce « Bring out your dead » - mais rien à voir avec les Monty Python - que l’on retrouve aussi sur The Last Laugh. C’est aussi pour cela que le groupe s’est permis d’inviter Chris Reifert d’Autopsy sur Cathedral of the Damned, car qui de mieux que ce dernier pour incarner la mort et la décomposition par ses vocaux singuliers. Qu’il est jubilatoire d’entendre Tonton Lee s’égosiller sur Pallbearer en prononçant ces quatre calamités: « War, famine, drought, disease ». Et en fait, chaque seconde de cet album transpire de cette fin annoncée, de cette épitaphe qui arrive lentement, très lentement devrais-je même ajouter, mais c’est là un pléonasme pour qui fut à ses débuts le groupe le plus lent du monde, et sûrement, avec ce caractère inexorable de ne pouvoir réchapper à cette fin. Et de cheminer depuis l’entrée des Enfers jusqu’à la mise à mort de ce corps en nous rappelant pourquoi ce groupe m’a toujours autant fasciné durant toutes ces années, et me fascine encore, mais aussi d’y trouver quelques clins d’oeil parsemés durant tout ce chemin de croix.
Comme une dernière flèche posée tout en haut d’une cathédrale, The Last Spire est un album digne de la légende de Cathedral, mais ces bâtisseurs là ont tout autant redonné goût à un genre tombé en désuétude aux débuts des années quatre vingt dix qu’ouvert moult portes à tant de musiciens, en nous laissant un édifice à l’épreuve du temps et de l’érosion. La gravité du propos fait que cet album est le plus austère et le plus rigoriste sorti par le groupe depuis des années, notamment après avoir ébaudi son monde avec les précédents albums. Mais il a en même temps un petit soupçon de renoncement, mais ne sombre jamais dans le démonstratif. En cela, The Last Spire est sans doute l’album le plus médiéval du groupe, mais dans ce Moyen-Âge de souffrance et d’épidémies, donc plutôt milieux du quatorzième siècle qu’autre chose, lui donnant un cachet encore plus poussiéreux et dévot. Que dire de plus si ce n’est que The Last Spire vient tout autant mettre fin à une boucle entamée en mille neuf cent quatre vingt dix que clore avec honneur et succès la discographie d’un groupe emblématique et tellement unique en matière de doom metal. Si beaucoup de monde aurait préféré que The Guessing Game eusse constitué une belle épitaphe au groupe, je pense que Cathedral nous devait un tel album et c’est d’autant plus beau que cela fut le cas avec un album qui est le contre-pied de son prédécesseur. Dans tous les cas, les Anglais peuvent se targuer d’avoir réussi à mettre fin à Cathedral avec dignité et ferveur et nous laisser, nous simples disciples, orphelins d’une formation qui aura marqué son temps de son empreinte.
Doom or be Doomed!
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