Cathedral - Caravan Beyond Redemption
Chronique
Cathedral Caravan Beyond Redemption
Les premières fois l’on s’en souvient toujours. Il n’est aucunement question de faire ici une allusion graveleuse mais juste de donner une explication qui sorte un peu du rationnel pour expliquer pourquoi j’apprécie beaucoup ce cinquième album de Cathedral, Caravan Beyond Redemption, qui porte pourtant une mauvaise réputation dans la discographie des Anglais, au même titre que Supernatural Birth Machine. La raison en est toute simple. C’est par une froide et grise journée de janvier mille neuf cent quatre vingt dix neuf, profitant d’avoir encore de l’argent de poche sur moi et de ne surtout pas avoir dépensé mes étrennes que je me suis rué vers les bacs d’une célèbre enseigne de produits culturels. Et là, il y avait une pochette bigarrée qui me faisait de l’œil, avec un nom que j’avais déjà tellement croisé dans les magazines de metal, voire même à l’automne mille neuf cent quatre vingt seize, à la sortie de Supernatural Birth Machine où j’avais bien aimé ce que j’avais entendu à l’époque, mais étant sans le sou, impossible de me le procurer. Je vous parle d’un temps occulte où l’on n’avait pas encore internet dans les foyers et qu’il était rare d’avoir des samplers dans les magazines. Ledit album était en écoute sur une borne et il ne m’a pas fallu très longtemps pour être charmé par ce que j’écoutais et donc de profiter du prix vert pour embarquer ce disque avec moi. C’est ainsi qu’est né mon amour inconditionnel envers Cathedral et qu’il dure encore et toujours, presque dix ans après sa séparation.
Tout cela pour vous dire que si bons nombres de personnes - de mauvais goûts - méprisent assez souvent cet album, et bien non seulement il a chez moi un capital sympathie assez important mais surtout il recèle d’excellents titres. De toute manière, contrairement à moult formations dans le genre et même au-delà, Cathedral ne s’est jamais fourvoyé en sortant un mauvais album durant son quasi quart de siècle d’existence, même lorsqu’il a voulu expérimenter et laisser libre court à sa créativité. Sans doute que ce désamour envers cet album provient du fait que le quatuor ne s'est pas évertué à nous faire un The Ethereal Mirror part III ou un The Carnival Bizarre part II. Cela étant dit ce cinquième album s’inscrit toutefois un peu dans la lignée de son prédécesseur, Supernatural Birth Machine. L’on y retrouve ainsi des titres plus directs et assez accrocheurs et ce sont évidemment les points d’attache avec la scène stoner, nombreux sur cet album, qui déplaisent. Il est vrai que cet album est sorti pendant ce mini boom stoner de la seconde moitié des années quatre vingt dix, après les disparitions de Sleep et de Kyuss, et qui a vu l’éclosion de formations telles que Orange Goblin, Electric Wizard, Acrimony, sHeavy et tant d’autres formations qui mettaient en avant leur amour pour les groupes des années soixante dix, dont Black Sabbath en tête. Pas étonnant que Cathedral se retrouve rattaché à cette scène parce que quelques années auparavant c’était l’un des rares groupes à mettre ces influences en avant. Et puis, trois des groupes suscités étaient signés à l’époque chez Rise Above Records, le label de Lee Dorrian, qui a pas mal contribué à la popularité de ce genre, avec ces formations devenues assez référentielles dans le domaine.
En fait cela serait trop simple de faire rentrer Cathedral dans certaines cases, dont celle du stoner pour ce qui nous concerne, car ce groupe ne ressemble aucunement aux autres. Il y a évidemment quelques rapprochements avec ce que l’on nomme communément le stoner, dont certains riffs comme sur The Unnatural World, Satanikus Robotikus ou bien encore sur Heavy Load, ou bien ce côté plus enjoué que l’on retrouve sur un Freedom ou sur un Revolution. Effectivement, dans ces moments là, il est loin le temps du Cathedral dépressif du tout début de la décennie. Il faut dire qu’il y a des titres plus directs et moins fournis sur cet album et il est vrai que peu de titres s’étirent au-delà de six minutes ici, ce qui ne veut pourtant pas dire que le groupe a décidé de simplifier son schéma d’écriture. Car l’on retrouve toujours quelques ponts et parties instrumentales au milieu de structures plus récurrentes, les velléités progressives ont cependant été laissées de côté, pour le moment. Cela étant dit, si l’écriture est moins aventureuse qu’auparavant, à part peut être sur Voodoo Fire, Revolution, The Omega Man et Captain Clegg, cela ne veut pas pour autant dire que les Anglais avaient bâclé les compositions de cet album. Sans doute que Lee Dorrian et consorts avaient compris et évalué les quelques défauts de Supernatural Birth Machine, car l’on ne retrouve guère ici de titre d’une qualité moindre. C’est même assez homogène au niveau de la qualité et même assez diversifié, l’on n’a pas ici de seconde partie d’album un peu en roue libre. Cela se ressent d’ailleurs au niveau de la production de cet album, réalisée par Andy Sneap, et qui est fabuleuse tant elle est massive et laisse bien respirer chaque instrument, et ne prend d’ailleurs pas une seule ride.
Cette production permet ainsi de se délecter d’un groupe en pleine possession de ses moyens et clairement inspiré et, c’est surtout en cela que Cathedral ne peut être à mon sens rattaché à la scène stoner, qui sait toujours faire preuve d’une telle lourdeur. Et oui, c’est cliché de dire cela pour l’un des chantres du doom metal traditionnel, mais qui a su s’affranchir de ses influences primaires et affermir rapidement une personnalité unique. L’on retrouve bien évidemment, sur l’entièreté de cet album, des riffs bien massifs et toujours aussi géniaux de la part de Gaz Jennings. D’ailleurs, le riff central de Dust of Paradise vient bien nous rappeler que lorsqu’ils le veulent encore, les Anglais peuvent devenir étouffants. C’est toujours aussi bluffant de se dire que cet homme reste encore une fois autant inspiré avec des riffs pas aussi simplistes que l’on pourrait le croire. Et l’on reconnait assez rapidement sa patte, sa manière de jouer, ses gimmicks et certains licks, mais c’est clairement du grand Art. D’ailleurs, c’est aussi en cela que le quatuor se démarque tellement de la mêlée, c’est par cette constance dans la créativité et l’inspiration, et que l’on peut très bien être un fervent admirateur d’un Tony Iommi, au même titre qu’un Matt Pike, mais d’avoir sa propre personnalité. Cela va de soi qu’il est tout autant inspiré pour ce qui des arrangements des titres entre leads mémorables, je pense notamment à celle de l’introduction de Captain Clegg ou celle préfigurant le break de Voodoo Fire. Bien entendu, ce n’est pas sur cet album qu’il va falloir chercher des titres très lents, c’est assez rare que le groupe ralentisse la cadence. Ce n’est pas pour autant devenu un groupe de speed metal, mais l’on est plutôt dans quelque chose d’assez entraînant, dans un registre mid tempo, mais bien plombé.
Ne vous inquiétez pas pour autant, car ce que l’on va retenir de ce choix pour des rythmes un peu plus entraînants, ce qui nous rapproche aussi du stoner, c’est que l’on a volontiers ces rythmiques un peu bovines sur quasiment tout cet album, mais, et surtout, un groove assez unique. Et oui, c’est sans doute l’album le plus groovy de bout en bout de Cathedral. C’est d’ailleurs cela qui m’avait bien plus dès sa découverte et qui me fait toujours autant plaisir à chaque écoute: il y a quelque chose d’assez communicatif et de purement jouissif sur cet album et cela provient de ce groove assez unique, quelque chose que n’avait aucunement la concurrence, cela dit en passant. Un exemple qui pourrait faire taire toutes remarques sarcastiques, le titre The Unnatural World est quasiment sautillant tout en étant enfoui tout de même sous cette couche de lourdeur. Vous avez déjà imaginé une danse perpétuée par des hippopotames? Et bien je pense que c’est l’image qui sied le mieux aux effets induits par la musique prodiguée ici par les Anglais. C’est là qu’il faut souligner l’importance primordiale du bassiste Leo Smee sur cet album, car le groove imprimé par les riffs de Gaz Jennings ne serait rien s’il n’était complété à merveille par les lignes de basse de Leo Smee. On le pressentait déjà sur les précédents enregistrements mais ici cela éclabousse nettement que c’est un excellent bassiste et qu’il virevolte très souvent de-ci et de-là entre les lignes de guitares de son compère. Les petits soli de basse sont assez nombreux et cela vient bien compléter et surtout très bien étoffer chaque titre, car, il faut le souligner, c’est sur chaque titre qu’il se démarque. Ne serait-ce que le refrain ultra dansant de Freedom et sa ligne de basse sublime suffiraient clairement pour étayer le propos. Il bénéficie clairement de l’excellente production d’Andy Sneap qui l’a rendu bien plus qu’audible.
Comme évoqué plus en avant, si les titres sont plus concis, - pour du Cathedral, cela s’entend -, il y a toujours un élément, voire plusieurs, qui vont permettre aux titres de s’émanciper du schéma couplet - refrain, qui est pourtant la donne ici. L’on a souvent des breaks instrumentaux qui permettent aux musiciens de s’exprimer pleinement et ainsi montrer l’étendu de leurs talents, car il y en a ici. D’ailleurs, à ce petit jeu, Brian Dixon est loin de démériter derrière ses fûts, et le groove qui découle d’une très grande partie de ces titres n’y est pas étranger. Et puis l’on a ces quelques percussions comme sur le break de Voodoo Fire, mais tellement pertinent vu la thématique de ce titre, ou bien cette cowbell sur Heavy Load. Dans ce même ordre d’idée, je trouve que les quelques samples provenant de films d’horreurs ou d’autres supports sont super bien intégrés. Le groupe l’avait déjà fait avec le fameux Hopkins (The Witchfinder General) mais le reprend très bien ici. L’on a toujours des thématiques centrées sur les film fantastiques de la fin des années soixante et des années soixante dix. Je trouve que le côté libertaire des sixties se retrouve bien sur des titres comme Revolution ou Heavy Load, enfin c’est l’image que me donne cette cohérence entre les samples, les paroles et la musique. D’ailleurs, c’est assez amusant de voir Lee Dorrian renouer un peu avec certains message de Napalm Death, mais de manière plus poétique et évasive, avec un titre comme Freedom. Il est d’ailleurs excellent, comme à son habitude, en tant que maître de cérémonie. Si son chant peut être un frein pour pas mal d’auditeurs, il n’y a pourtant pas une seule autre voix qui puisse coller à cette musique. Et puis, sa manière d’articuler ou de chanter, sa diction particulière, ainsi que ses fameux « oh yeah » ou « all right » sont toujours aussi plaisants.
Résumer ce Caravan Beyond Redemption comme étant l’album le plus groovy serait lui faire injure, pas dans le sens où cela n’est pas vrai, mais dans le fait qu’il ne faudrait pas le réduire à cela. L’on a bien évidemment des titres ultra accrocheurs et bien groovy dont les deux titres d’ouvertures, Freedom et plus loin dans l’album l’excellent Heavy Load. Mais il n’y a pas que cela sur cet album, ce qui renforce bien sa durée de vie, et le rend très attachant. L’on a des moments plus posés, avec notamment cet instrumental The Caravan bien plus éthéré avec ces acoustiques qui prennent les devant et le retour du mellotron, pour quelque chose d’assez planant, qui ne sera pas sans rappeler un certain Planet Caravan, mais sans chant. Il est d’ailleurs bien placé dans cet album, permettant une petite respiration, vu que le titre qui suit est bien touffu. Dans le même ordre d’idée de titre plus détendu, il y a cette pseudo ballade Kaleidoscope of Desire, où là encore les acoustiques reprennent le devant, et où la saturation est laissée de côté. Ce n’est pas la première fois que groupe tente ce genre de chose, je pense à Blue Light sur The Carnival Bizarre, mais le rendu est toujours assez plaisant. L’on a aussi un titre qui se démarque du reste avec sa dualité couplets soft et refrains bien plombés avec The Omega Man. C’est donc sur ces couplets que l’on va retrouver des éléments plus seventies, comme cette flute traversière du plus bel effet. La fin de l’album est d’ailleurs moins enjouée, aussi bien avec The Omega Man qu’avec Dust of Paradise, sur lequel le groupe renoue un temps avec ses compositions à tiroir, avec là encore un final plus nostalgique. Le titre Captain Clegg rappellera peut-être un peu un autre titre mythique du groupe, et l’on y retrouve ici une facette plus pêchue et moins groovy, avec là encore un très beau passage au mellotron au milieu de ce titre. Comme quoi, l’on est assez loin de l’album bourratif et inconsistant qui nous est souvent présenté.
Autant dire que ce Caravan Beyond Redemption est une belle réussite et surpasse tout de même, de peu certes, son prédécesseur. Cathedral a réussi une très belle oeuvre avec ce cinquième album, qui certes n’a pas l’aura des trois premiers albums, mais possède toutefois d’énormes qualités pour ravir un auditoire avide de découvrir un groupe unique et qui n’hésitait pas aller à fond dans certaines directions. Il y a ici une collection de titres qui font tout autant preuve de génie, de travail, de soucis du détail et d’une imagination assez débordante. Il ne faut en aucun cas réduire cet album à la seule présence du tube Voodoo Fire - même si ce titre est juste énorme, il faut l’admettre - car les onze autre titres valent leur pesant d’or. Alors, c’est sûr, ce n’est pas là-dessus qu’il faut chercher un doom metal dépressif et ô combien morne, ou bien encore quelque chose empreint d’un amour prononcé pour les groupes de progressifs des années soixante dix. L’on est loin de tout cela ici, c’est clair, et évidemment que la frontière entre doom metal et stoner est parfois assez ténue, c’est un fait, mais c’est aussi cela qui fait le charme de cet album. De toute manière, lorsque l’on regarde ce que sont devenues ces deux scènes actuellement, l’on ne peut que regretter l’absence d’un tel groupe qui était nettement plus inspiré que la majeure partie des groupes de stoner qui éclosent toutes les semaines. L’on sent bien d’ailleurs que les Anglais ont lâché la bride en direction d’un doom metal plus enjoué depuis quelques albums, et que ce Caravan Beyond Redemption en est, d’une certaine manière, une forme d’aboutissement. Mais ce fut à un point où Lee Dorrian commença à se sentir gêné d’être rattaché à la scène stoner, mais cela, c’est une autre histoire, car pour le moment, je vous conseille de ne pas laisser passer devant vous cette très belle caravane rédemptrice.
Doom or be doomed !
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