Peut-être avez-vous lu ça sur votre fil d'actualité :
Forest of Equilibrium a eu vingt-cinq ans il y a quelques jours. Si vous êtes passés à côté, je ne vous en veux pas, n'étant pas de ceux aimant fêter les anniversaires habituellement.
Mais là, je me suis pris à le ressortir. Peut-être est-ce dû à ces quelques hommages et leurs « j'aime me faire laminer la gueule à coups de riffs doom » (on peut bien donner le sens qu'on veut à ces pouces levés hein) ou alors le fait que je n'arrivais pas à me souvenir de la dernière fois où je l'ai sorti de son placard. Ou alors juste parce que je l'aime beaucoup ce disque.
Et c'est vrai, je l'adore, comme pas mal de monde, même s'il a mis du temps à me plaire. Flashback : « faut l'écouter, c'est un classique », message résumé par mes soins de ce que j'ai pu lire à l'époque du lycée en cherchant quoi écouter de lent, première lancée, « c'est quoi cette voix », « ho mince la flûte », « non mais pourquoi ils mettent trois plombes à changer de mélodies ? », je n'étais clairement pas prêt pour ce genre de disque, le genre qui n'a pas de genre ou plusieurs, doom, vaguement death, un peu folk, progressif si on considère qu'un escargot progresse. C'était simplement trop pour le jeune Ikea, qui s'appelait encore Tristan à l'époque, qui aimait se la jouer sombre avec sa musique bizarre à fumer des clopes avec la fille en T-shirt Burzum et l'autre qui portait toujours une chemise noire même en hiver (Tristan, lui, avait un manteau trop long – Matrix avait tué la mode à cette époque). Trop lourd, trop long, trop n'importe quoi.
Mais Tristan, futur Ikea, il avait envie d'écouter des classiques, de comprendre pourquoi c'en était. Et puis bon, il y avait des gens qui savaient plein de choses qu'il ne savait pas qui disaient que c'était bien, alors ça devait l'être. Il a réessayé. Encore une fois, puis deux, puis trois, puis une fois où ce truc a commencé à lui faire voir des couleurs violentes qu'il ne connaissait pas très bien, comme le magenta ou le pourpre (le quoi ? Le poulpe?), et la pochette à prendre un peu de sens au milieu du bordel ambiant, et la voix à devenir traînante comme un damné dans un labyrinthe de feuilles en sueur, prisonnières comme lui d'une fournaise où les dealers jettent toutes leurs drogues quand les policiers arrivent. « Qu'on lui coupe la tête » ! Il avait fini par être pris dans cette version de
Alice au pays des merveilles où le héros est un clodo, pris par le morceau « Ebony Tears » et sa complainte transformant les cercueils en sacs de larmes, pris dans ces passages folk irréels, léchés et cependant aussi déglingués que le reste.
Par contre, Tristan, actuellement Ikea, en a assez de parler de lui de cette manière pompeuse et ne voit toujours pas en quoi
Forest of Equilibrium est un classique. Car il est, encore aujourd'hui, tout sauf classique : s'il a traîné dans ses coulées d'autres formations amoureuses du monotone, cet album conserve plus d'une chose faisant de lui un intrus aussi étrange que costaud à écouter. Qui d'autre que Cathedral oserait mettre un titre bouge-popotin comme
« Soul Sacrifice » au milieu de ses marches funèbres ? Qui possède un chanteur aussi éteint, addict, et d'une ironie lasse toute anglaise que Lee Dorrian, certes pas encore dans son rôle de leader le plus cool de l'univers mais quelque part encore plus intéressant car plus trouble ? Enfin, qui, dans son doom « ultra », donne pourtant l'impression de dire « Bonne nuit les petits », d'être aussi enfantin, rigolard, dans ses œuvres de maudit, immoral comme avant le bien et le mal, où pleurer et s'enchanter n'ont pas encore été séparés ? Non, dire que
Forest of Equilibrium est un classique est finalement trompeur !
Sûr que Tristan, actuel Ikea et futur rien-du-tout, n'a pas fini de faire le tour de
Forest of Equilibrium. En même temps à-part de toute une scène et de toute une discographie, il possède pourtant, en substance, ce qu'elles contiennent toutes deux. Un disque personnel qui ne peut que devenir personnel, collant, attachant et hallucinogène, beau comme un crapaud.
Voilà, ça m'a rappelé tout ça. C'est pas si mal en fait, les anniversaires.
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