En 1991 Type O Negative n'est pas encore ce groupe romantico gothique qui nous servira le somptueux
"October Rust", il conserve la voracité hard core, l'agressivité et le cynisme du défunt Carnivore (ex groupe du regretté Peter Steele) en y ajoutant une grosse dose de doom blafard et de metal industriel étrange, sombre et énervé. Depuis quelques mois le monde est englouti par une déferlante death metal qui vient de balayer brutalement la scene thrash et un groupe s'en cogne royalement, un groupe qui du fond de sa cave New Yorkaise lève un doigt bien tendu à tout le monde en proposant avec classe quelque chose de différent qui n'avait pas été entendu avant et ne le sera plus après. Type O Negative ou la version sans sucre du génial Faith No More, à contre courant, seul au monde et à qui le talent permet toute l'arrogance et l'effronterie du monde.
Même si ce premier album se démarque des suivant il contient tout ce qui fera l'approche, le son et le style du groupe. Les mélodies font déjà mouche, la guitare fuzz dans les middle avec ce grain si particulier pour mieux se mélanger à la basse saturée et dominatrice, celle qui annonce les riffs qui comptent, du géant Steele dont la voix grave et hargneuse commence à se faire langoureuse par endroits. Le clavier, quant à lui, instaure déjà une atmosphère quasi religieuse, noire et verte, dans laquelle baignera magiquement le groupe jusqu'à la fin. Tout y est déjà mais rien n'est encore sous contrôle, la bête n'est pas encore domptée et c'est cette incivilisation exposée au grand jour qui anime chaque seconde de l'album pour en faire un chef d'œuvre de créativité sincère et impulsive.
Type O Negative pour son entrée en matière se permet tout, un titre à rallonge "The misinterpretation of silence an its disastrous consequences" pour 1 minute de silence total succédant à un étrange "Glass walls of limbo" proposant 6 minutes de chœurs solennels, désespérés et épiques.
Les morceaux sont (dés)articulés sur des structures à tiroirs, difficiles à appréhender et à maîtriser. Type O Negative ne se pose aucune question et enchaîne plans hard core, riffs punkisant, moments tragiques d'une lourdeur accablante sur nappe de synthé déchirante et ambiance mystico-urbaine façon rituel des bas-fonds dans un Brooklyn humide et poisseux, sans soigner plus que ça ses transitions (et bizarrement on s'en fout). Il y a de la hargne, de la spontanéité, de la violence brute, de l'exaltation, de l'urgence et de la beauté ici, le tout servi en vrac mais avec génie.
Les moments de bravoure sont légions sur cet album d'un autre monde, ce cultissime et surréaliste "I know you're fucking someone else" repris en cadence sur une mélodie festive, naïve, par une chorale burlesque "He knows you're fucking someone else" marquera à jamais votre mémoire. Les premières mesures inquiétantes, lourdes, industrielles de "Der Untermensch" que le temps n'a jamais su abîmer, le " Waste Of Life" du même morceau déclamé avec vigueur par quatre voix vindicatives déclarant tout leur amour aux parasites sociaux de tous genres. Magistral également l'énorme "Prelude To Agony", sa lourdeur écrasante, ses chœurs dramatiques et son riff Sabbathien. Chaque morceau de cet opus contient ses instants de gloire.
La production est elle aussi en décalage avec les standards de l'époque, pas de Scott Burns en vue (merci !), pas de grosses caisses toc toc et pas de grosses guitares vrombissantes, juste un héritage légué par les Grands Anciens, Black Sabbath, Deep Purple en proue pour confectionner un son organique, vieux avant l'âge mais délicieusement personnel et intelligemment adapté à la musique du groupe.
"Slow Deep And Hard" était un OVNI quand il est sorti, en pleine explosion death metal et il le reste 20 ans après. Une liberté artistique qui pourrait faire rêver en ces temps de formatage, un son unique qui tranchait radicalement avec toute une scène musicale et surtout l'impression, à chaque nouvelle écoute, d'ouvrir une petite boutique des merveilles cachant des dizaines d'instants magiques qui illuminent cette pépite de la première à la dernière seconde. A mon sens le meilleur album du groupe qui, s'il sortira d'autres œuvres majeures par la suite, ne retrouvera jamais cette impertinence et cette capacité insolente à faire cohabiter tant d'univers musicaux au sein d'un même morceau. Le grand Peter n'était pas qu'un grand sexe sur grandes pattes, pas qu'un fantasme clichesque à la musculature débordante (et non je ne suis pas gay), il était aussi, et surtout, un artiste intelligent et extraordinairement talentueux qui laisse derrière lui une œuvre classieuse dont cet album charnière pourrait être l'apogée.
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