Cathedral - The Ethereal Mirror
Chronique
Cathedral The Ethereal Mirror
Qu’est-ce qui fait que l’on puisse tomber en admiration devant un groupe tel que Cathedral? Et bien outre l’amour pour un genre auquel ils ont beaucoup apporté, c’est aussi cette faculté de se remettre en question et d’évoluer, assez rapidement si l’on regarde le laps de temps entre leur premier album Forest of Equilibrium, le mini intermédiaire Soul Sacrifice et le présent The Ethereal Mirror sorti en mille neuf cent quatre vingt treize. Tout semblait aller vitre, si ce n’est la vitesse des compositions. Et lorsque je dis tout allait vitre, c’est aussi dans le sens où le groupe s’est vu signer chez Columbia qui pensait avoir déniché avec les Anglais les nouveaux Black Crowes, imposant ainsi des photos avec un look tout droit sorti des années soixante dix, avec cette imagerie de groupe passéiste qui allait longtemps coller aux basques du groupe de Coventry, il suffit de voir les clips de l’époque pour s’en rendre compte. Cela leur a surtout permis d’avoir des moyens conséquents pour enregistrer cet album avec un producteur de renom en la personne de David Bianco qui avait participé aux enregistrements des deux premiers Danzig, de l’éponyme de Trouble, mais aussi de Mick Jagger, entre autres noms ronflants. Est-ce que tout ceci allait faire de Cathedral un groupe de vendus?
Et bien la réponse est tout simplement négative et j’aurais bien aimé voir la tête des pontes qui pensaient avoir une nouvelle machine à fric quand ils ont écouté ce nouvel album. Pour autant, certains fans du grandissime Forest of Equilibrium, - le meilleur album de doom metal de tous les temps -, ont du crier à la trahison en écoutant cet album. L’EP Soul Sacrifice l’annonçait et bien The Ethereal Mirror ne fait que confirmer que Cathedral a tourné le dos à son doom metal dépressif et tellement unique de son premier album. La césure est bien confirmée, ce qui a d’ailleurs vu le départ de Mark Griffiths, - qui, pour l’anecdote, figurait sur la première mouture de la peinture faite par Dave Patchett pour la pochette de cet album, avant d’être finalement retiré -. C’est ici donc que Cathedral devient définitivement ce groupe complètement passéiste sonnant comme un des estimables descendants de Black Sabbath, peut être le plus probe avec Sleep, et la majorité des riffs sont ici dignes d’un Tony Iommi, mais avec bien évidemment tout l’apport des influences des musiciens avec des formations telles que Witchfinder General, Bang, Pentagram, Saint Vitus, Trouble et une pléiade de groupes plus ou moins obscurs des années soixante dix dont Gaz Jennings avait eu la bonne idée de citer dans les remerciements, une démarche que le groupe avait eu dès leurs débuts.
L’on pourrait donc penser que l’ensemble devait être assez aseptisé, et bien c’est là que les Anglais surprennent vraiment, aidé en cela par une production phénoménale à faire baver plus d’un apprenti producteur tant elle sonne massive et remplit l’espace tout en laissant respirer chaque instrument, avec un basse audible, que même un certain Bob Rock n’est pas arrivé à faire deux ans auparavant avec, pour autant, ce que tout le monde semble considérer comme la quintessence même de la production metal. Et bien non, elle figure sur cet album et nulle part ailleurs, et elle n’a aucunement perdu de sa superbe quasiment trente ans après. Et c’est ce côté massif qui rend cet album pas si facile d’accès, et je me rappelle d’une publicité de l’époque où l’on nous ventait les mérites de ce disque comme étant le son du death metal, - peut être pas quand même à ce point, en dehors sans doute de l’accordage assez bas, le groupe jouant en si voire en la sur cet album -, allié à l’ambiance d’un Black Sabbath, - là, ils n’ont pas menti sur la marchandise-. Et du coup si ce disque comporte quelques tubes dont les imparables Ride et Midnight Mountain, l’on retiendra tout de même un disque de doom metal authentique et pas si facile d’accès que cela. C’est pour cela que j’aurais bien aimé voir le visage des têtes pensantes de Columbia qui pensaient avoir trouver la poule aux œufs d’or en écoutant le riff d’introduction de Enter the Worms, ou bien les titres Grim Luxuria et Phantasmagoria. En tout cas, il n’y avait rien sur ce disque à faire passer à la radio ou en boucle sur les chaînes musicales.
Oui, parce que mine de rien, passés les accoutrements où l’on a dévalisé les friperies du coin pour faire de belles photos, - propos relatés par les membres même du groupe -, il faut avouer que Cathedral a fait très fort pour ce deuxième album. C’est assez simple finalement: il n’y a rien à jeter sur cet album et l’on est abasourdi dès l’introduction Violet Vortex avec ces riffs rustauds et ô combien pertinents, cet entrecroisement de leads entre Gaz Jennings et Adam Lehan, cette basse tenue par Gaz Jennings qui virevolte quasiment tout le temps, tout est déjà un régal. Et bien dîtes vous que le reste est à la hauteur de tout ceci. Évidemment, l’on va parler de riffs, mais comment peut-il en être autrement lorsque l’on parle de doom metal? Et surtout lorsque l’on a ici une leçon magistrale de riffing. Que ce soit quand ils sont simples, comme sur Ashes You Leave, et encore plus lorsqu’ils sont d’une rare efficacité comme sur Ride, mais surtout quand ils se font plus alambiqués comme sur la majorité de ce disque, mais je citerai Jaded Entity ou Enter the Worm pour étayer ce propos. Chaque riff transpire du génie de ses géniteurs et c’est assez fou de se dire qu’il n’y a pas à un seul moment une baisse de régime. L’on n’insistera d’ailleurs jamais assez sur cette belle complémentarité entre les deux guitaristes qui s’en donnent à cœur joie sur cet album au niveau du travail mélodique, car c’est assez touffu et tellement bien pensé, que nous sommes vraiment en présence de musiciens touchés par la grâce.
Et puis, c’est à partir de cet album que Cathedral va aussi trouver cette autre facette qui va le distinguer de tous les autres groupes du monde: ce groove unique. Car oui, il faut bien parler de groove, et même Lee Dorrian insiste bien sur cet élément sur Midnight Mountain avec cette fameuse ligne: « Wah! Can you feel the groove? ». Effectivement, il faut l’avouer, il est difficile de rester de marbre en écoutant ce disque, car il y a là un groove unique, mais aucunement dans le style fusion ou funk, mais dans cette manière de transcender le rythme et que même quand un passage est joué de manière lente, il comprend pourtant cette dynamique qui te fera, à minima, secouer la tête, - et là je défie quiconque de demeurer stoïque en écoutant le titre Ride -, voire rentrer dans une sorte de transe sur certains passages, et notamment sur ce fameux Midnight Mountain. Évidemment, cela passe par un tempo qui est bien moins lent que sur Forest of Equilibrium, même si de temps à autres les Anglais viennent nous rappeler qu’ils étaient les plus lents du monde il n’y a pas si longtemps que ça, je pense notamment au titre Jaded Entity, peut être le plus noir de tout cet album.
Bien entendu, l’ambiance n’est plus la même qu’auparavant et on a laissé de côté cette facette dépressive pour quelque chose de plus irréel, de plus surréaliste, mais en tout cas de vraiment en dehors de ce monde. C’est comme si l’on dansait la danse de Saint Guy avec des goules en ayant absorbé pleins de champignons ou fumer de cigarettes qui font rire, et, en tout cas, la pochette réalisée par Dave Patchett, dans ce style si proche de Hieronymus Bosch, est une parfaite description de ce qui nous attend sur cet album. Du coup, c’est tout de même bien plus enjoué et plus entraînant, l’on pourrait presque dire plus positif, s’il n’y avait les titres Fountain of Innocence, Ashes You Leave ou Imprisoned In Flesh, pour venir contredire cette impression, ou en tout cas la contrebalancer. Surtout lorsque l’on a subit cette trilogie de titres imparables que sont Ride, Enter the Worms et Midnight Mountain, qui est tout bonnement fantastique. Évidemment, ce sont là les titres les plus concis et plus faciles d’accès dont il est question, mais il est difficile de se remettre de cet enchaînement tant il impose le respect. Évidemment, ils font la part belle à cette patte sabbathienne que le quatuor a fait sienne et pour un bon moment d’ailleurs, et surtout des refrains on ne peut plus imparables.
Pour autant, cet album est loin d’être univoque: c’est même un kaléidoscope de saveurs et d’émotions. En cela, l’on ne peut qu’être subjugué par autant de créativité de la part du quatuor, et surtout le fait que c’est finalement assez diversifié sur cet album. La preuve la plus probante est sans doute le titre Fountain of Innocence qui alterne entre passages aériens aux acoustiques, avec un effet sur le chant qui n’est pas sans nous rappeler le Planet Caravan de Black Sabbath, et ces refrains bien plus plombés. C’est là que l’on voit que les longues listes de groupes des années soixante dix ne sont pas de l’esbroufe, mais bel et bien une passion de la part des musiciens et surtout pour Lee Dorrian et Gaz Jennings, chose qui se développera au fil des années. Ces acoustiques vont refaire leur apparition sur le court Imprisoned In Flesh qui sera une conclusion légère après une bonne cinquantaine de minutes bien denses et pachydermiques. Mais ce ne sera pas les seuls titres où ces influences des années soixante dix, et plus précisément celles du progressif vont se faire sentir, on les sent également sur des titre comme Ashes You Leave, Jaded Entity et Phantasmagoria. Certes, c’est encore assez léger et nous ne sommes pas encore dans les extrémités dans lesquels ils vont aller quelques mois plus tard.
Et Lee Dorrian dans tout ça? Et bien il excelle en maître de cérémonie avec ce chant si personnel et caractéristique, pas tout à fait clair, mais tellement expressif avec cette diction qui lui est propre et cette manière de placer les mots d’une manière singulière. D’ailleurs, ses textes sont loin d’être aussi simplistes qu’il n’y paraissent, et encore mois débiles, et je suis toujours assez admiratif du vocabulaire employé. L’on notera pour l’anecdote qu’il a improvisé sous LSD les paroles de Phantasmagoria, d’où leur absence dans le livret. Là encore, outre la musique, l’on note tout de même les progrès affichés par Tonton Lee, et je pense qu’il était inimaginable quatre ans plus tôt quand il était le chanteur de Napalm Death qu’il puisse s’en tirer avec un chant clair aussi mélodique et aérien, comme c’est le cas sur certains passages de Fountain of Innocence ou sur Imprisoned In Flesh. Il s’impose définitivement comme le leader parfait pour cette formation, et y ajoute un grain de folie à tout ceci, avec ces gimmicks devenus légendaires, il suffit de prêter l’oreille attentivement pour s’en rendre compte. Mais en fait, il y a une cohésion et une solidité à toute épreuve sur cet album, que l’on en reste subjugué et au final, il n’y a pas un musicien qui tire vraiment la lumière sur lui.
Écouter une première fois The Ethereal Mirror c’est comme pénétrer dans un monde inconnu, dans quelque chose qui peut rebuter car l’on ne sait pas à quoi s’attendre. Et puis l’on se laisse aller au jeu avec ces couleurs alternant entre le vert émeraude et le violet chatoyant et tout ce côté mirifique qui vous fait rentrer dans une sorte de transe et fait en sorte que l’on ne peut faire autre chose que de vénérer Lee Dorrian et ses acolytes, ne serait-ce que pour avoir sorti un album aussi magnifique que The Ethereal Mirror. Évidemment la lourdeur et la densité de la chose pourraient effrayer. Alors qu’au final, l’on a tout simplement l’un des meilleurs albums de la discographie du groupe, un deuxième coup de maître consécutif de la part des Anglais, et surtout une leçon en matière de doom metal. Une leçon dans le sens où le groupe n’a aucunement trahit ce qu’était la quintessence même du genre. Ils n’ont pas renié qu’ils étaient un groupe de metal mais ils ont en même temps montrer qu’ils savaient incorporer des influences seventies dans leur musique. Et malheureusement pour le doom metal, ils sont nombreux à avoir oublier que le doom metal était un dérivé du metal et pas autre chose. Il n’y a pas de ça sur cette réalisation qui fait aussi la part belle aux dogmes du genre sans pour autant perdre sa personnalité et son aura, tout en rendant un très bel hommage à leurs influences. Il n’aura pas fini de vous enchanter cet album, et c’est aussi là l’un des tours de force réalisé par Cathedral avec The Ethereal Mirror, nous rappeler, même en deux mille vingt et un, qu’il demeure l’une des meilleures formations de doom metal de tous les temps.
Doom or be doomed!
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