Sólstafir - Til Valhallar
Chronique
Sólstafir Til Valhallar (EP)
Le tableau est simple: Sólstafír, l’Islande, le milieu des années mille neuf cent quatre vingt dix. Nous sommes à cette époque bien loin de l’aura qu’auront aussi bien ce groupe, grâce notamment à un enchaînement d’excellents albums, que cette scène qui aura été l’une des hypes de la décennie qui vient de s’écouler en matière de black metal. Si les Islandais ont eu une meilleure reconnaissance et visibilité, surtout avec la sortie de l’album Köld, il ne faut pas pour autant nier ce qu’ils avaient fait auparavant, car leur personnalité n’est pas venue de nulle part et s’est forgée petit à petit pendant une petite décennie. Formé en mille neuf cent quatre vingt quinze et après avoir rapidement enregistré une première démo, Í Norðri, en juin de la même année, le trio, à l’époque, a rapidement enregistré cet EP Til Valhallar, qui vaut le détour, et pas seulement pour son côté historique.
À cette époque, Sólstafír proposait un black metal assez direct et dans une obédience assez païenne, les paroles étant pas mal centrées sur les Eddas et la pochette est suffisamment évocatrice pour se dire de quoi il en retourne. La musique fait donc la part belle à un riffing bien ciselé et acéré et des compositions globalement bien rentre dedans, mais qui sait faire la part belle entre parties bien rapides avec des blasts bien exécutés par Guðmundur Óli Pálmason, qui s’en donne bien à cœur joie sur l’ensemble de ces titres, et d’autres plutôt dans une registre mid-tempo, avec quelques breaks également. L’on pourrait parfois penser aux premiers Kampfar, mais sans les aspérités mélodiques des Norvégiens et un peu à Enslaved, notamment avec Blodhemn, les titres n’excédant pas ici les six minutes. L’on y ressent bien cette fougue, imputable sans doute à la jeunesse du groupe, mais c’est comme si tout le côté incandescent d’un volcan près à exploser était omniprésent sur cette réalisation. Et c’est ce qui donne vraiment ce côté païen pour ne pas dire viking à l’ensemble, à une époque où les termes n’étaient pas encore galvaudés par les aficionados de cosplay, et de toute manière l’intro à capella en vieux norrois met directement dans l’ambiance. Le fait que le tout est chanté en islandais, avec des paroles ou bien en provenance des Eddas ou de poèmes du crus renforcent bien cet aspect et apportent bien évidemment ce cachet d’authenticité. Et pour ainsi dire dans cette sauvagerie, l’on y retrouve presque une urgence punk, et c’est là que l’on va rentrer dans les singularités du groupe, car si l’ensemble peut paraître très classique, l’on sent déjà poindre tout ce qui va faire l’originalité de Sólstafír.
J’évoquais l’urgence punk, l’on constate déjà que le chant de Aðalbjörn Tryggvason est un peu à la croisée des chemins entre chant écorché dans une droite lignée, pour ne pas dire tradition, du black metal, mais avec un petit côté hurlé qui nous rapproche du punk/hardcore, même si ce n’est pas encore fait de la même manière que sur l’album Í Blóði og Anda, et sera bien moins rebutant ici que sur cet album. Si sur le papier cela ne donne pas envie, force est de constater que ça fonctionne vraiment bien et renforce bien ce côté non policé. Il s’essaie aussi au chant clair sur Hovudlausn, dans des tonalités plus graves que ce que l’on lui connait maintenant, et si l’on devait faire une comparaison avec quelqu’un dans ce registre, je le rapprocherai de Grutle Kjellson. Mais il n’y a pas que dans le chant que l’on sent poindre la personnalité des Islandais. Il y a déjà ce côté terre de feu et de glace de leur île et qui se décline par divers éléments. Je pense notamment à ces accalmies au milieu des bourrasques, comme ce petit passage moins dense avec un clavier discret sur Ásareiðin, dont les sonorités sonnent déjà très post-punk et ne sont pas sans rappeler Joy Division. Des influences que l’on entrevoie aussi sur Hovudlausn. Je pense aussi à ces arpèges et passages aux sons clairs sur Ásareiðin, Til Valhallar et Dauðraríkið qui tempèrent les choses avant que le groupe ne se lance dans ces cavalcades qui seront sa marque de fabrique et où le chant s’efface pour laisser place à la musique et à la répétition assez importante des mêmes motifs, comme sur l’excellent Til Valhallar, quitte à la faire en son clair puis en son saturé. C’est peut être le titre Dauðraríkið qui pourrait résumer le mieux tout ceci, avec notamment ce passage central sans saturation où le groupe fait monter l’intensité avant de retourner dans des blasts furieux, et qui met en avant ce mélange bouillonnant d’influences qui rend l’ensemble tout sauf ennuyeux. D’ailleurs, la réédition de deux mille trois, comprend deux titres supplémentaires dont l’instrumental Í Helli Pólýfemosar qui montre, déjà, une ouverture vers des sonorités en provenance du rock indépendant, l’on n’est pas encore dans quelque chose d’ouvertement post-rock, mais l’on sentait déjà que le trio ne se fixerait point trop de barrières.
Til Valhallar n’est pas qu’une incongruité perdue dans une discographie qui commence à s’étoffer: il a, avant toute chose, tous les charmes d’une première réalisation où certes tout n’est pas parfait, mais où toute la fougue de la jeunesse s'y ressent et en devient jubilatoire. En prime il y a surtout ces incongruités qui font toute la singularité de Sólstafír dès cette époque, nous sommes tout de même au milieu des années quatre vingt dix, et qui sonne déjà tellement islandais, un peu comme ses compatriotes de Potentiam. Le trio y démontre déjà ce côté tellement éruptif de leur musique où l’on se laisse facilement aller dans ces cavalcades païennes dédiées aux Ases et aux Vanes et soufflent tout autant le blizzard que le feu. Dès ce premier enregistrement, Sólstafír avait déjà quelque chose de différent et qui n’allait cesser de se confirmer années après années.
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