L'évolution chez les groupes de brutal death, c'est aussi courant qu'une victoire de l'OM dans un match de Ligue des Champions. C'est pas souvent, quoi. D'autant que là on parle de véritable changement, de nouvelle direction artistique, pas juste un peu moins de blast-beats par-ci, un peu plus de gruiks par là. Il y a bien eu Deeds of Flesh mais le cas récent le plus comparable vient sans doute de Beheaded qui, d'un brutal death assez technique d'obédience américaine fait désormais dans le death metal plus européen. Exactement ce qui arrive à Blasphemer sur ce nouvel album
The Sixth Hour sorti en début d'année sur Candlelight Records.
Passer de Comatose Music au label anglais pouvait déjà interpeller. Le nouveau logo sobre et lisible également (on pense justement à Azarath sur son
Blasphemers' Maledictions), tout comme cette belle pochette noir et blanc typée gravure moyenâgeuse qui rappelle un peu
Evangelion de Behemoth. Si avec tout cela, on ne se doutait pas d'un changement chez les Italiens ! Qu'est-il donc arrivé au combo, des changements de line-up ? Oui mais pas seulement. Cela avait déjà été le cas pour
Ritual Theophagy (2016) sorti huit ans après le premier album
On the Inexistence of God et six après l'EP
Devouring Deception, qui n'avait toutefois pas été abordé en ces pages en raison d'un manque de motivation du chroniqueur pour un opus moyen qui ne bouleversait pas la donne. Le bassiste Clod "The Ripper" De Rosa a donc pris les commandes et tient désormais aussi le micro à la place du chanteur originel Paolo Maniezzo. Darren Cesca n'a fait qu'une brève pige à la batterie, remplacé par Davide Cazziol (ex-Helion). Les Lombards ont aussi recruté un deuxième guitariste en la personne de Nicolò Brambilla (Ekpyrosis, ex-Daemoniac) pour épauler le seul membre d'origine Simone Brigo, qui joue également depuis quelques années dans ... Beheaded ! Tiens donc !
Il est clair que le duo De Rosa / Brigo a vu ses goûts en matière de death metal évoluer. De là surtout vient la raison de ce nouveau son. Toujours très anti-religion (ils n'ont après tout pas changé de nom), moins USBDM. Plus du tout, même. Disons pour schématiser que la formation passe de Deeds of Flesh à Behemoth. D'un brutal death assez technique à l'américaine à un death metal à la polonaise. Cela a peut-être déplu à certains, pas à moi. Car si Blasphemer n'a jamais démérité, l'évolution sur ce
The Sixth Hour s'avère salvatrice, les faisant passer de sympathique à grosse claque dans les gencives. Malgré cette transition d'un brutal death à un death metal plus classique, le côté brutal et intense n'a en effet pas du tout été rayé de la carte, bien au contraire. Le groupe n'a pas perdu au change avec Davide Cazziol qui blaste à tour de bras, un régal, surtout avec cette production musclée et ce son de batterie moderne sans être imbuvable. Une puissance que l'on retrouve aussi dans le chant de De Rosa, un growl moins gruiké et donc plus compréhensible que sur les précédentes réalisations, moins varié aussi puisque les Transalpins s'adonnaient à du triple voire quadruple chant, mais qui pue le Mal et en impose grave. Parfaitement adapté à la tournure des événements. Le tout dégage une efficacité incroyable, on beuglera les refrains tout simples de "Hail, King of the Jews!" et "Lord of Lies", le morceau le plus radical du lot (quelle jouissance !), le poing serré avec sa grimace la plus evil.
Et les guitares là-dedans ? Que du bon ! Du riff en tremolo picking la plupart du temps qui ne réinvente rien mais qui parasite le cerveau avec insistance ("The Stumbling Block" à 1'48, juste miam !). Intense et bouillonnant, là encore l'efficacité est de mise. On trouve même quelques très bons solos mélodiques ("Let Him Be Crucified" à 3'08, "Lord of Lies" à 1'19, "The Robe of Mockery" à 1'47, "The Deposition" à 2'35), dommage que le groupe n'ait pas mis davantage l'accent dessus. Difficile toutefois de faire la fine bouche, les Italiens nous offrant tant d'autres choses par un jeu de guitare finalement assez varié. Blasphemer ne passe ainsi pas non plus son temps à blaster. Le combo se débrouille aussi très bien pour groover dark (Morbid Angel) et sur les quelques ralentissements qu'il opère comme sur l'intro à la Incantation de "Let Him Be Crucified" et à 2'30, "I.N.R.I." à 2'23 ou "Via Dolorosa", instrumental entièrement mid-tempo. Le groupe avait déjà fait le coup avec brio sur le sombre "Blessed Are the Wombs That Never Bore" mais en acoustique. Autre fait notable, l'inclusion de dissonances décidément très à la mode mais dont les Italiens n'abusent pas, les utilisant toujours avec intelligence dans les moments plus modérés afin d'appuyer sur l'atmosphère (début de "The Stumbling Block", "Via Dolorosa", l'outro "De Profundis", etc.). Eh oui il y a de l'ambiance sur ce
The Sixth Hour qui dégage vraiment quelque chose, une vraie intensité dramatique prenante. Clairement le signe des grands albums !
Car un grand album,
The Sixth Hour l'est assurément. On n'était pas loin du 9/10. Blasphemer a peut-être perdu au passage quelques fans ne jurant que par le brutal death US et on pourrait éventuellement y voir un peu d'opportunisme (Behemoth, dissonances ...). Peu importe tant le quatuor vient de passer plusieurs caps d'un seul coup. Si on se doutait depuis quelques temps que la formation évoluerait, j'avoue que je ne m'attendais pas à une telle réussite. Les Transalpins ne proposent pourtant rien d'original (quoique le chant clair hurlé sur "The Sixth Hour" à 1'53 ou les arpèges sur un pattern de batterie peu commun au démarrage de "I.N.R.I." étonnent pas mal à la première écoute) puisqu'il s'agit d'un death metal à la polonaise que l'on connaît bien. Néanmoins, comment ne pas fondre devant une telle maîtrise, un tel talent de composition ?! Le groupe nous propose une belle panoplie de tout ce que le death metal a à nous offrir sur une œuvre d'une brutalité jouissive qui n'en oublie pas pour autant de varier un minimum afin de rester intéressante pendant près de trois quarts d'heure. Ça bourre, ça trémoloïse, ça groove, ça dissone, ça mélodise, ça maîtrise, ça ambiance, il y a de quoi faire sur ce
The Sixth Hour délectable. À part une légère redite qui se fait sentir vers la fin de "The Deposition", les saccades indignes de "The Sixth Hour" à 3'01 qui plus est introduites par un bass drop et qui s'imposent comme la seule faute de goût du disque ou encore deux-trois séquences balourdes de semi-blasts, il n'y a pas grand chose à reprocher à Blasphemer qui signe là un des, si ce n'est le, meilleurs albums death metal de l'année. Un véritable coup de maître !
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