Après une période en mode dilettantisme (2010 à 2016), durant laquelle les Clochards Célestes vous ont néanmoins abreuvé de nombreux courts formats, d’une compilation et d’un album live de qualité, ces derniers semblent être depuis animés d’un feu ardent. Jugez plutôt : des réalisations sortant chaque année dont un longue durée (
The Constellatory Practice, en 2018) ou encore l’excellent split avec Lugubrum,
Bradobroeders (2019). Si le duo m’avait quelque peu égarée avec
Empty Space Meditation (2016), trop hospitalier et policé pour mes oreilles, ses derniers méfaits avaient eu tôt fait d’éclairer de nouveau la voie jusqu’à son ténébreux repère. Puis vint l’annonce inattendue de la parution de
Teufelsgeist, sixième album de la formation. Le Geist, l’Esprit, l’alcool, indissociable d’Urfaust. Afin de marquer davantage cet évènement et pour surligner l’importance que revêt ce dernier opus, des bouteilles de gin frappées du sceau du Diable ont également été élaborées. De l’art de gérer un groupe et son image avec sincérité et passion ! Aux personnes qui doutent encore, voyant ici qu’un joli coup marketing : servez-vous un verre de votre meilleur alcool, lancez ce disque, posez-vous confortablement et laissez-vous porter par les ambiances.
IX et VRDRBR vous convient à un rituel sacré mené de main de maître. Passant par différentes phases et divers états de conscience, vous tutoyez les astres de l’infini cosmos pour – quelques minutes plus tard – vous vautrez dans la fange. Atteindre les hautes sphères demande de la patience et des sacrifices. Il en a toujours été ainsi avec Urfaust. La fumée vous enveloppe et le firmament se dessine peu à peu sur « Offerschaal der astrologische mengvormen ». Ce début de cérémonie étonne et frappe par sa luminosité – comme une version plus grandiloquente et onirique de l’outro de
Geist Ist Teufel. La musique de la formation se drape d’un voile irradiant, déployant des airs majestueux à souhait. Les vocaux toujours aussi profonds et habités de IX ne font qu’embellir les compositions et renforcer le côté addictif de l’ensemble. Votre esprit transcendé s’évade, flotte au-dessus de votre corps inerte. Vous traversez l’univers accompagné de l’instrumental d’outre espace « Van alcoholische verbittering naar religieuze » avec ses sonorités à la fois brumeuses et éthérées. Des chœurs gutturaux vous parviennent également (faisant le lien avec l’EP
Apparitions), mettant en relief l’aspect religieux et renvoyant à des temps ataviques, à d’obscures pratiques oubliées de tous (cf. « Het godverlaten leprosarium »)
Les effluves d’alcool se répandent, plus fortes, et l’initiation continue sur des chemins plus tortueux dès « Bloedsacrament voor de geestenzieners ». Le changement se fait par petites touches avec notamment un chant plus lancinant et anxiogène qui conserve néanmoins tout son pouvoir attractif. Les étoiles se meurent au fur et à mesure de votre avancée, la température baisse soudainement d’un cran et l’amertume succède à l’incandescence. Les yeux toujours grands ouverts d’ébahissement, le sang bouillonnant dans vos veines, vous vous laissez guider par les nappes de synthétiseur et les mélodies épurées mais entêtantes. Par cet envoutement, conjugué à l’excès de boisson divine, l’Esprit du Diable s’immisce captieusement. La musique d’Urfaust revêt des teintes plus sombres et le trouble s’installe malgré les lignes de guitare prenantes sur « De filosofie van een gedesillusioneerde » – très post-punk. L’ambient gagne du terrain au fil des morceaux – et renvoie à des œuvres telles que
Drei Rituale jenseits des Kosmos et
Einsiedler. Les sons aussi pesants qu’acrimonieux, parfois accompagnés d’incantations inquiétantes surgissant et résonnant dans l’infinie noirceur de l’espace, laissent présager d’effroyables desseins. Les deux derniers morceaux, moins accessibles que leurs prédécesseurs, siéent ainsi parfaitement à l’univers inhospitalier qui vous entoure. Fini l’allégresse et les beautés cosmiques, place à d’indicibles horreurs inconnues. Comme pour Le Grand Dieu Pan, tout se paie un jour : grandeur et déchéance !
Teufelsgeist est un rite réservé aux initiés et aux âmes téméraires. L’alcool, doux élixir, y joue un rôle primordial tant dans la transcendance que dans l’intoxication. Une lente et douloureuse descente qui s’effectue graduellement et à laquelle vous y assistez sans offrir la moindre résistance. IX et VRDRBR ont l’art de créer une musique dépouillée (avec des mélodies très simples et répétées en boucle) mais extrêmement addictive, s’inscrivant dans la durée. Une petite pointe de nostalgie fera son apparition à l’écoute de l’album – avec l’envie de ressortir d’anciennes réalisations du groupe – de même que de la frustration. La petite demi-heure passe bien vite et quelques minutes de plus n’auraient pas été de trop – ne serait-ce que pour développer davantage les idées ainsi que les atmosphères entendues sur le magnifique «Offerschaal der astrologische mengvormen ». En dépit de ce petit bémol, ce nouveau long format est une réussite et représente la quintessence d’Urfaust. Je ne pourrai que vous conseiller de tenter l’expérience afin de vous forger votre propre avis.
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