L'Esprit est le Diable
Non qu'Urfaust cherche à vous effrayer pauvres mortel(le)s ˗ bien au contraire ˗ le groupe n'a cessé de s'évertuer au fil des sorties et expérimentations en tous genres à vouloir bousculer son auditorat. L'interpeller par une musique à la fois singulière et difficile d'accès, toute en paradoxe, qui fait appel à votre réflexion mais aussi à votre imagination afin de vous ouvrir de nouveaux horizons. A l'image de leur ténébreuse entité, IX et VRDRBR (Heretic, Botulistum) souhaitent vous élever de la masse en corrompant vos esprits, preuve en est avec un premier album déjà haut perché ˗
Geist ist Teufel ˗ sorti en 2004.
Le duo néerlandais commence donc lentement mais sûrement son travail de sape avec une première œuvre d'où s'élève un parfum de folie douce-amère, déconcertant mélange de black mid/low tempo primitif ˗ qui pourrait se traduire par Burzum (des débuts bien entendu !) meets Ildjarn meets Isengard ˗ d'ambient et d'occulte. Un tout assez original et déconcertant qui pose les bases d'Urfaust tant au niveau des sonorités que de l'imagerie très soignée, avec un artwork réalisé ici par Manuel Tinnemans (Comaworx). Le chant clair de IX y est pour beaucoup, tranchant avec la musique crue et repoussante, mais insufflant des aspects à la fois malsain, maladif et ritualiste qui vous saisissent d'angoisse dès le titre d'ouverture. Un peu à l'image de ce prêtre démoniaque figurant sur la pochette et que l'on retrouve d'ailleurs sur leur dernier EP à paraître
Apparitions.
Des ambiances aussi lugubres que funèbres viennent accentuer ce côté dérangeant et torturé notamment sur l'introduction atmosphérique nimbée d'une profonde mélancolie, avec des violons plombants à souhait. Il en va de même sur « Die kalte Teufelsfaust » ainsi que « Auszug aller tödlich seinen Krafte » où les cris aiguës et plaintifs de IX semblent provenir du fond d'une grotte. Le son étouffé de la batterie très nonchalante laisse à penser que VRDRBR joue de façon mécanique et monotone comme sous l'emprise de substance, luttant de ses dernières forces afin de ne pas sombrer dans l'inconnu. L'ensemble est mis en abyme par des guitares saturées et stridentes ainsi qu'une production brute et sans fioriture enregistrée dans un endroit propice aux rituels et égarements sans nombre.
D'ailleurs « Drudenfuß » ˗ le seul morceau dansant et festif ˗ vient magnifiquement illustrer ce propos suintant l’excès et l'orgie à plein nez. L'esprit démoniaque prend différentes formes, délaissant ses atours sévères et pesants. Il sonne ici comme une invitation à la légèreté voire à la débauche se tenant autour d'un grand feu de joie. Après vous avoir frappé de stupeur et d'angoisse sur les deux premiers titres, le groupe se fait plus entêtant avec un chant plus chaud et aviné ainsi que des instruments plus joyeux avec un côté pagan. Cependant la noce est de courte durée laissant place à une monstrueuse gueule de bois sur « Auszug aller tödlich seinen Krafte » où vous vous battez contre vos propres démons et essayez d'émerger durant plus de dix longues minutes, accompagnés de la voix plaintive et maladive de IX. Une bande son cauchemardesque avec un titre majoritairement low tempo des plus traînants qui vous aliène au fil de l'écoute vous faisant sombrer définitivement à la sixième minute avec IX toujours plus perturbé et déchirant.
Les guitares aussi prennent un tour plus inquiétant couplées à des samples mélangeant noise et vieux films d'épouvante, des images déformées et angoissantes défilant sous vous yeux. Vous avez beau secouer la tête en tous sens, rien n'y fait. Votre rythme cardiaque s'emballe comme étroitement lié à la musique qui augmente elle-aussi la tension d'un cran, déversant sa violence. Vous suffoquez et paniquez à la désagréable sensation de mort imminente. Puis vient la délivrance avec « Geist ist Teufel » signant le retour des violons vous plongeant dans une atmosphère à la fois feutrée et désabusée. Un titre dégoulinant de nostalgie à la fois grave et touchant où la douce Mort drapée de mystère semble vous tendre la main afin de vous conduire en des lieux impénétrables et merveilleux. Sous le profond sentiment d'abattement qui vous écrase, surgit peu à peu une lumière étincelante sur la majestueuse outro ambient, appelant au repos et vous faisant découvrir les merveilles du cosmos. Un morceau instrumental très minimaliste, à l'image du groupe, mais d'une incroyable pureté contrastant avec l'aspect morne et tourmenté de l'ensemble de l’œuvre.
Urfaust délivre un premier opus original marquant la scène black metal de son empreinte. Toutefois la production très à l'arrache risque d'en rebuter plus d'un(e) : cette dernière aurait en effet mérité ˗ pour cette réédition ˗ un léger dépoussiérage ainsi qu'un peu plus de puissance comme cela avait été le cas pour la compilation
Ritual Music for the True Clochard.
Geist ist Teufel est certes difficile à appréhender à la première écoute, vous offrant un voyage douloureux et éprouvant, mais celui-ci en vaut largement la peine.
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