3 ans après un convaincant
E qui avait largement divisé sur votre webzine préféré, finissant parmi les « déceptions de l'année » malgré un point de vue résolument positif de mon collègue Neuro, le mois d'octobre 2020 aura marqué le discret retour de l'un des piliers du black metal norvégien qui s'apprête à fêter ses 30 ans de carrière l'année prochaine.
Enslaved aura réussi le tour de force d'évoluer magistralement depuis le classique absolu qu'est
Vikingligr Veldi (1994) et le morceau emblématique « Vetrarnótt » qui m'avait provoqué une transe incroyable lors du concert donné au Trabendo le 25 novembre 2017. Les Norvégiens ont toujours eu le pouvoir de remettre l'église au centre du village, de me rappeler pourquoi je ne pourrai jamais me débarrasser du black metal, que ce soit lorsque j'avais découvert « The Watcher » à la faveur d'un sampler Metallian en 2008 à l'occasion de la sortie du révolutionnaire
Vertebrae, lorsque mon « sensei » du metal me sommait d'approfondir leurs premiers albums ou encore lorsque je me jetais compulsivement sur leurs sorties récentes dans l'espoir de retrouver les sensations éprouvées sur
RIITIIR (2012), chroniqué ici dans une autre époque.
C'est avec la même compulsion que je me suis donc jeté sur ce nouvel album le jour de sa sortie.
Utgard est compact et prend le contrepied de son aîné en accélérant le tempo et en réduisant la durée des compositions, alors même qu'
E prenait son temps pour poser des atmosphères contemplatives et majestueuses. Iver Sandøy, nouveau batteur du groupe, accélère le rythme en réintroduisant quelques blast beats bienvenus et des patterns efficaces mais n'oublie pas, non plus, de servir le propos expérimental du groupe lorsqu'il en a besoin, notamment sur le début d'« Urjotun » et ses petits breaks raffinés. Malgré de multiples changements de line-up, le drakkar reste mené par les deux historiques de Bergen, Grutle Kjellson, hurleur à la tessiture immédiatement identifiable qui n'a pas bougé d'un iota depuis sa prime jeunesse et Ivar Bjørnson, guitariste polyvalent aux motifs tantôt alambiqués et complexes, résolument progressifs (« Fires in the Dark »), tantôt diablement efficaces (le début de « Jettegryta »). Dans cet opus qui évoque le territoire des géants à Jötunheim dans la mythologie nordique, les compositions du groupe sont tiraillées en permanence entre ces deux extrêmes.
En effet, après l'avoir laissé mariner et refroidir pendant plusieurs semaines,
Utgard me fait l'effet d'un album coupé en deux, comme l'équipe du Paris Saint-Germain version fin 2020 lorsqu'elle est privée de Marco Verratti et qu'elle doit tenir un score à la soixantième minute d'un match disputé. Tantôt offensifs, les Norvégiens reviennent à un black metal plus organique dès « Jettegryta », qui adresse un clin d'oeil rageur aux atmosphères vikings et viriles de leurs anciens méfaits. Ce morceau, partagé entre un rythme pagan très classique, un blast beat percutant et un refrain rythmé par une superbe cymbale ride martiale, s'essouffle toutefois dans un pont prog assez dispensable et trop court pour qu'on puisse en profiter pleinement. De même, on comptera plusieurs passages résolument black metal et épiques sur cet album, comme ce tube absolu qu'est « Homebound » et son refrain atmosphérique lumineux guidé par la voix claire de Håkon Vinje, nouveau claviériste chargé des voix claires depuis 2017.
Tantôt défensifs, les Berguénois se retranchent dans des expérimentations diverses, à l'image d'« Urjotun » et son feeling new wave qui aura de quoi étonner. Si cette incursion hors-sol a le mérite d'être totalement désarçonnante, elle ne me paraît pas réussie pour autant. Après le teasing assuré par l'interlude « Utgadr », totalement inutile d'autant plus sur un album si court, le morceau met trop de temps à démarrer et ne prend pas suffisamment le temps d'installer son atmosphère pour pleinement satisfaire les plus curieux qui seraient intrigués par ce motif de clavier inhabituel. Alors oui, on pourra penser à
Dead Can Dance par moments, notamment lorsque l'alliance de voix claires déclame une ligne de chant ritualiste, mais l'ensemble reste trop convenu. De la même manière, « Sequence », morceau presque prog rock qui cultive ce décorum floydien très cher aux Norvégiens s'avère terriblement anecdotique, en tout cas beaucoup moins intéressant que pouvait l'être un « Path to Vanir » en son temps. Le final de l'album, « Distant Seasons », donne à son tour dans un feeling progressif et contemplatif (devenu classique chez le groupe) totalement dominé par la voix claire et se révèle lui aussi beaucoup moins excitant que ce que le groupe a pu proposer par le passé, y compris récent.
Vous l'aurez compris, le soufflet est retombé... néanmoins, les Norvégiens auront toujours quelque-chose à dire sur leurs albums, finement travaillés et admirablement produits depuis longtemps. C'est encore le cas ici, avec une production cristalline qui sublime tous les instruments et fait une belle place aux soli de Ice Dale, notamment celui du milieu d'« Homebound » ou de « Storm of Utgard », qui vient illuminer et conclure en beauté le morceau. Mais malgré ces quelques éclairs, c'est non sans une certaine tristesse que je réduis
Utgard au rang d'anecdote.
Enslaved m'a tellement porté vers les sommets du black metal, classique comme expérimental, que mon exigence à leur égard est devenue proportionnelle à leur aura : immense.
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